La proposition de loi organique dont nous sommes saisis est issue d'un texte déposé par M. Louis-Constant Fleming, sénateur de Saint-Martin, et M. Michel Magras, sénateur de Saint-Barthélemy, qui a été adopté par le Sénat en première lecture le 14 février 2011.
Ce texte tend à approuver quatre accords de nature fiscale entre l'État et des collectivités territoriales d'outre-mer relevant de l'article 74 de la Constitution : une convention entre l'État et la collectivité territoriale de Saint-Martin en vue d'éviter les doubles impositions et de prévenir l'évasion et la fraude fiscales ; trois accords conclus entre l'État et, respectivement, Saint-Martin, la Polynésie française et Saint-Barthélemy, concernant l'assistance administrative mutuelle en matière fiscale.
Du fait de leur accession, en 2007, au statut de collectivité d'outre-mer (COM), Saint-Martin et Saint-Barthélemy ont obtenu une compétence fiscale générale. Comme les autres COM, elles ont mis en place des régimes fiscaux distincts de ceux de la métropole. Elles se trouvent ainsi, au regard du droit fiscal, dans une situation comparable à celle des pays étrangers. Il devient donc nécessaire non seulement de définir la notion de résident fiscal de la collectivité concernée, mais également d'édicter des règles permettant d'éviter les doubles impositions et de prévenir l'évasion et la fraude fiscales, comme le ferait l'État avec les autres pays ou entités disposant de la souveraineté fiscale. C'est pourquoi l'État est amené à négocier avec ces territoires des accords qui s'apparentent dans leur contenu aux conventions fiscales internationales.
Par ailleurs, les dispositions relatives à l'entraide administrative au sein de la convention fiscale de 1957 entre l'État et la Polynésie française nécessitaient d'être complétées. En effet elles ne prévoient actuellement d'échanges d'informations que pour les impositions relatives aux revenus de capitaux mobiliers. Or l'article 15 de la loi du 27 mai 2009 pour le développement économique des outre-mer, la LODEOM, a permis de relancer les négociations en prévoyant que le bénéfice de l'ensemble des dispositifs de défiscalisation spécifiques à l'outre-mer serait subordonné à la qualité des échanges de renseignements entre l'État et les collectivités d'outre-mer concernées, à compter du 1er janvier 2010.
Par ailleurs, dans ses décisions relatives à la constitutionnalité des deux lois organiques du 25 janvier 2010, le Conseil constitutionnel a été amené à préciser que ces conventions fiscales devaient être approuvées par une loi organique, dans la mesure où elles affectent l'exercice des compétences transférées par le législateur organique.
Les dispositions de la convention et des trois accords sont largement inspirées du modèle de convention fiscale concernant le revenu et la fortune adopté par l'OCDE ; elles intègrent les modifications que la France souhaite traditionnellement apporter lorsqu'elle négocie des accords fiscaux avec des pays étrangers.
La convention fiscale conclue avec Saint-Martin vise à éviter la double imposition des personnes et des entreprises. En effet Saint-Martin a largement repris et adapté les impôts directs prévus par le code général des impôts. La convention définit donc le lieu d'imposition de chaque catégorie de revenus.
La principale particularité de cette convention fiscale concerne l'imposition des fonctionnaires de l'État français sur le territoire de Saint-Martin. Contrairement au modèle de convention prévu par l'OCDE, le millier de fonctionnaires appartenant à la fonction publique d'État en poste à Saint-Martin – soit 6 % de la population active – sera imposable à la fois par la collectivité et par l'État, un crédit d'impôt rendant cette opération financièrement neutre pour les intéressés. Cette modification devrait engendrer pour l'État une moins-value fiscale d'environ deux millions d'euros par an, mais elle n'est pas inopportune pour Saint-Martin, au vu de ses difficultés économiques et financières.
Diverses clauses ont été introduites, afin d'empêcher les abus, pour rendre la convention fiscale inapplicable à certaines structures juridiques et éviter des pratiques telles que l'utilisation de prête-nom.
Au contraire de Saint-Martin, Saint-Barthélemy n'a mis en place aucun impôt direct, à l'exception d'une imposition des plus-values immobilières. En posant le principe d'un crédit d'impôt généralisé, la loi organique du 25 janvier 2010 a rendu sans objet la conclusion d'une convention fiscale avec cette collectivité.
Les trois accords d'assistance administrative mutuelle en matière fiscale relèvent d'une logique différente.
Ils ont pour objectif de lutter contre la fraude et l'évasion fiscales, en permettant à chacune des autorités fiscales concernées de demander communication d'informations pour appliquer sa réglementation fiscale et recouvrer des créances fiscales. Ces informations peuvent être fournies d'office, comme le prévoit dans le cadre de l'Union européenne la directive relative aux revenus de l'épargne, ou à la demande d'une autorité fiscale. Dans ce cadre, l'autorité fiscale « doit mettre en oeuvre les pouvoirs » dont elle dispose, afin d'obtenir ces informations notamment en exigeant des banques, des établissements financiers ou des mandataires implantés sur son territoire la communication des renseignements demandés « même si ce territoire n'en a pas besoin à ses propres fins fiscales ».
Les clauses des trois accords soumis à approbation vont plus loin que celles prévues par le modèle de l'OCDE, en offrant notamment à l'État la possibilité de contrôler sur place la réalité des opérations ayant ouvert droit à une défiscalisation, ainsi que de procéder à l'imposition des personnes installées à Saint-Martin et Saint-Barthélemy et fiscalement considérées comme résidentes de l'État.
Pour terminer, je voudrais souligner certains enjeux de ces accords, notamment du point de vue de la politique internationale de la France en faveur de la transparence et de la lutte contre l'évasion et la fraude fiscales.
Les collectivités d'outre-mer sont le plus souvent laissées hors du champ d'application géographique des conventions fiscales et accords d'assistance en matière fiscale conclus par la France. Cependant la loi organique de 2007 a prévu l'obligation, pour Saint-Barthélemy et Saint-Martin ainsi que pour Saint-Pierre-et-Miquelon et Mayotte, de participer à l'exécution des engagements de la France en matière de coopération fiscale. Ainsi un État ou un territoire tiers pourra, par l'intermédiaire de l'État français, demander à ces collectivités de fournir des renseignements de nature fiscale en sa possession. En revanche, il pourrait refuser de fournir des renseignements en sa possession destinés à l'application de la réglementation fiscale de Saint-Martin et Saint-Barthélemy, en opposant à la France que ces territoires et ces systèmes fiscaux sont hors du champ d'application de la convention qui les lie. Cette asymétrie devra être examinée et, le cas échéant, corrigée. Par ailleurs, on peut regretter que cette obligation de coopération internationale ne figure pas dans l'accord signé avec la Polynésie française.
Dans tous les cas, si la coopération fiscale d'une collectivité d'outre-mer apparaît insuffisante, il sera possible au législateur organique de prescrire des mesures limitant la compétence fiscale de cette collectivité, afin d'organiser efficacement la lutte contre l'évasion et la fraude fiscales affectant aussi bien l'État français que les autorités fiscales étrangères.
C'est pourquoi je vous propose d'adopter cette proposition de loi sans modification.