Monsieur le président, madame la secrétaire d'État, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, l'objet du projet de loi qui nous est soumis est majeur en démocratie, mais le domaine dont il traite est particulièrement complexe et difficile. Nous devons en effet tenter de trouver un juste équilibre entre la liberté de la personne et la nécessaire protection d'elle-même, de ses proches, des soignants et de la société, tout en sachant que le risque zéro n'existe pas. Peut-on la laisser sortir avec un risque calculé dans le cadre d'un projet de soins ?
De plus, tout en en ayant conscience, il convient de s'abstraire des faits divers et d'éviter de légiférer sous le coup de l'émotion.
La loi du 27 juin 1990 aurait dû être réformée depuis longtemps. Il était d'ailleurs prévu qu'elle le soit dans les cinq ans, c'est-à-dire en 1995. Nous en sommes bien loin.
Le présent projet de loi prend en compte la décision du Conseil Constitutionnel du 26 novembre 2010 et la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme.
L'article 66 de la Constitution exige que toute privation de liberté soit placée sous le contrôle de l'autorité judiciaire, gardienne de la liberté individuelle, afin d'éviter les décisions arbitraires liées à des intérêts personnels ou politiques, ce qui n'est pas encore le cas dans notre pays mais qui existe dans des pays voisins.
Le Conseil Constitutionnel a estimé que cette hospitalisation sous contrainte ne pouvait être prolongée au-delà de quinze jours sans l'intervention d'un juge. C'est une bonne nouvelle au regard à la fois des libertés individuelles et des normes européennes. Mais, comme nous le verrons, son application sera difficile.
L'hospitalisation sous contrainte, ou mieux contre le gré de la personne, déroge au principe essentiel du libre consentement aux soins du patient et de son adhésion à ceux-ci.
Définir la dangerosité d'une personne dans un contexte le plus souvent d'urgence, porter un diagnostic sur la pathologie, décider si les soins peuvent être effectués en milieu ouvert ou en milieu fermé est particulièrement délicat et nécessite une grande expérience dont seuls les experts disposent. Mais ils ne sont pas à l'abri d'erreurs, d'autant que la démographie des professionnels de santé ne permet pas de disposer d'un temps médical disponible important.
Dans ce domaine, où intervient l'autorité administrative, le chemin est étroit entre la lettre de cachet, que nous avons connue il y a quelques siècles, et la privation de liberté d'une personne pouvant être dangereuse pour elle-même, ses proches ou la société.
Des drames, souvent médiatisés, peuvent survenir car il est difficile de prévoir un raptus avant qu'il ne se produise.
Le texte du projet de loi, compte tenu de son avenant, nous semble équilibré. Il prévoit un protocole de soins avant la soixante-douzième heure, établi par un psychiatre de l'établissement, définissant les soins à dispenser, le lieu de leur réalisation et leur périodicité ; la possibilité de soins en établissement ou en ambulatoire ; l'intervention du juge des libertés au quinzième jour, puis tous les six mois ; l'intervention d'un collège pour les patients dits difficiles ; le renforcement du rôle des commissions départementales des soins psychiatriques, qui devront obligatoirement intervenir pour examiner la situation des personnes admises en soins en cas de péril imminent ou dont les soins se prolongent au-delà d'un an.
Loin d'être le texte sécuritaire que certains y voient, ce projet de loi propose, au contraire, des mesures renforçant la protection de la personne hospitalisée sans son consentement. On souhaite toujours rendre le patient acteur de sa santé, en toutes circonstances. Si ce principe est valable pour les pathologies organiques, son application est beaucoup plus délicate lorsque le patient n'a pas conscience de sa dangerosité pour lui-même ou son entourage. Il convient cependant de le protéger contre des tiers mal intentionnés ou intéressés, ou contre des abus de l'État qui pourrait souhaiter mettre à l'écart des opposants en les taxant de déviants ou de malades.
Ce texte semble équilibré, mais plusieurs points demandent encore à être précisés ou améliorés.
L'intervention du juge des libertés au quinzième jour correspond à un souhait de protection de la personne. Mais comment le juge prendra-t-il sa décision ? Il se référera très probablement, comme vient de l'indiquer le ministre de la justice, aux certificats médicaux. Dès lors, où est le progrès ?
Le certificat au huitième jour est-il utile puisqu'il est à distance du quinzième jour, ce qui laisse un laps de temps pendant lequel l'état du patient peut s'améliorer ou s'aggraver ?
L'avis de deux psychiatres, s'il est souhaitable, est lourd compte tenu de la charge de travail de ces derniers et de la démographie médicale. L'avis du psychiatre responsable des soins ne serait-il pas préférable ?
D'après le texte, le malade devra le plus souvent être transporté au tribunal. Si son état ne le permet pas, et à défaut de moyens audiovisuels, ne doit-on pas prévoir la venue du juge dans l'établissement ? Mais sera-t-il disponible ? Les juges des libertés ont de lourdes responsabilités. Ils sont très sollicités et n'ont que peu de disponibilités. Ne pourrait-on pas laisser le président du tribunal désigner un juge éventuellement disponible ?
Quelque 62 000 patients sont hospitalisés sans consentement. Plus de la moitié d'entre eux sortent avant le quinzième jour. Les juges seront malgré tout concernés par 30 000 décisions, qui viendront s'ajouter à leurs tâches actuelles. Ce n'est pas rien, d'autant qu'il s'agit de décisions difficiles.
Pour les cas graves, il est institué un collège de trois personnes comprenant deux psychiatres et un cadre soignant. Pourquoi pas ? Une décision collégiale est intéressante. Mais la décision à prendre est essentiellement médicale. En cas de divergence entre les deux psychiatres, c'est le cadre soignant qui fera pencher la balance. Est-ce son rôle ? Il ne semble pas que les cadres le souhaitent. Ils peuvent cependant, bien entendu, donner leur avis. En cas de désaccord entre deux chirurgiens, est-ce le cadre qui devrait trancher ? Personne ne le pense. Un troisième psychiatre ne serait-il pas préférable ? Encore faudrait-il qu'il soit disponible.
La possibilité de mettre en oeuvre des soins ambulatoires sans consentement, notamment à partir du troisième jour, est une initiative intéressante, mais elle pose également des problèmes difficiles à résoudre. Comment obliger un patient qui a besoin de soins mais qui ne se sent pas ou ne se croit pas malade à suivre un traitement ? Peut-on lui faire, en ambulatoire, des injections médicamenteuses retard contre sa volonté ? Quelle est la responsabilité pénale du médecin ? Comment peut-il dénoncer le patient ne suivant plus son traitement ?
La tâche des psychiatres libéraux est également difficile. Elle suppose un climat de confiance, établi souvent difficilement, entre eux-mêmes et leur patient. Il semble que ces psychiatres n'acceptent pas d'être obligés de dénoncer à l'autorité administrative les patients ne suivant plus le protocole de soins. Je comprends leur inquiétude. Cependant, s'agissant de patients présentant un risque pour eux-mêmes, leur entourage ou la société, n'y a-t-il pas une obligation de protection ? Des conventions peuvent être passées avec les services de police ou de gendarmerie pour la recherche des patients fugueurs.
Je voudrais maintenant aborder la question de la sectorisation.
Les hôpitaux psychiatriques, comme les CHU d'ailleurs, ont été quelque peu oubliés dans la loi Hôpital, patients, santé et territoires.
La psychiatrie est sortie de ses murs et, grâce à la sectorisation, de nombreux liens ont été tissés entre les services hospitaliers, la médecine de ville, les paramédicaux et les services sociaux. Des structures extra-hospitalières ont été mises en place. Il n'est pas possible de ne pas en tenir compte.
Les territoires de santé ne correspondent pas aux secteurs psychiatriques. Les enjeux de la continuité des soins, de la responsabilité et de la sécurité sanitaire devraient impliquer l'inscription du dispositif dans une logique de responsabilité territoriale sectorielle claire, permettant d'offrir des modalités de soins sans consentement, à la fois hospitaliers et ambulatoires, suivis par la même équipe.
Enfin, il serait souhaitable de reconnaître le rôle des aidants, comme le demande l'Union nationale des amis et familles de malades psychiques – l'UNAFAM – et de veiller à ce que les établissements aient les moyens humains et financiers de soigner correctement ces patients.