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Intervention de Jacqueline Fraysse

Réunion du 15 mars 2011 à 21h30
Droits et protection des personnes faisant l'objet de soins psychiatriques — Motion de renvoi en commission

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJacqueline Fraysse :

…prescrire des neuroleptiques et rendre compte des manquements de leurs patients.

Vous avez la même approche à l'égard des juges, puisqu'ils sont, autant que le permet la récente décision salvatrice du Conseil constitutionnel, écartés du processus d'enfermement, ce qui fait de la France le dernier pays européen à refuser l'intervention du juge dès les premiers jours de l'hospitalisation sans consentement. Je rappelle que le juge, garant des libertés individuelles, doit l'être également dans le cadre de l'hospitalisation sous contrainte. S'il n'est pas là pour décider des traitements, c'est à lui qu'il revient d'apprécier l'opportunité des privations de liberté, y compris dans ce contexte.

Avec de telles conceptions, ce sont quarante ans d'évolution de la psychiatrie – ces quarante ans qui ont été nécessaires pour la faire passer d'un outil de relégation sociale à un outil de soin – que ce texte nie. Rompant avec le processus de désinstitutionnalisation entamé au début des années 1970, vous avez rehaussé les murs autour des établissements psychiatriques, mis en place la vidéosurveillance et renforcé l'enfermement des patients. C'est donc l'approche sécuritaire qui sous-tend ce projet de loi – évidemment présenté en urgence.

Si l'on ajoute à cette conception rétrograde la marchandisation de la santé que vous instaurez progressivement, la tarification à l'activité et la loi HPST, véritable machine de guerre contre les hôpitaux publics, c'est à un vrai recul de société que vous nous conduisez, et pas seulement en matière de psychiatrie.

Les plus modestes seront touchés en premier – comme toujours – mais, à terme, c'est toute la population qui sera pénalisée, comme le seront l'activité des soignants et des chercheurs ainsi que le rayonnement de notre pays, pourtant jusqu'ici reconnu pour la qualité des travaux de ses équipes médicales.

Si nous ne disposons pas d'études précises sur les hospitalisations et traitements sans consentement, nous disposons en revanche de nombreux rapports sur la psychiatrie en France. Leur lecture est très instructive et montre qu'au-delà des horizons et points de vue très divers, leurs auteurs se rejoignent sur un certain nombre de constantes et de principes fondamentaux.

Tout d'abord, sur la nécessité d'une loi générale sur la psychiatrie en France. Édouard Couty, conseiller maître à la Cour des comptes, considère, dans son rapport de 2009, qu'une loi de santé mentale se devrait « d'intégrer les différentes facettes de l'accompagnement et des prises en charge des usagers en santé mentale, des familles et des proches des malades ». Il cite ainsi le repérage et le diagnostic précoce, l'accès aux soins rapide et adapté, le suivi personnalisé et continu, la réhabilitation sociale, la prévention des risques, la recherche autour des déterminants de la santé mentale, l'organisation rénovée des dispositifs nécessaires aux hospitalisations sans consentement, et l'organisation des soins aux détenus.

Ces rapports se rejoignent également sur le rôle du psychiatre et l'importance de l'adhésion du malade, son consentement, sa confiance à l'égard des soignants. Pour Hélène Strohl, inspectrice de l'IGAS et auteure d'un rapport sur la psychiatrie en 1997, « l'évolution de la psychiatrie doit se situer dans une logique sanitaire et sortir définitivement de la logique sécuritaire ».

Le docteur Feberey, qui vient de remettre un mémoire sur l'hospitalisation sans consentement, fait remarquer que « lorsque nous disons “sans consentement”, nous supposons qu'il manque quelque chose et que ce consentement puisse être recherché et éventuellement obtenu dans le cadre d'un travail relationnel avec le patient, qui est l'essence de notre métier de soignants en psychiatrie ».

Quant au sénateur Alain Milon, auteur en 2009 d'un rapport pour l'office parlementaire d'évaluation des politiques de santé, il considère que « l'on ne peut penser que l'obligation de soins, même étendue à la médecine ambulatoire, permettra une amélioration du niveau de santé mentale des patients s'ils ne sont pas encouragés à participer aux traitements et que ceux-ci leur sont imposés. En psychiatrie plus qu'ailleurs, poursuit-il, la prévention des rechutes est liée à l'observance, à l'adhésion aux traitements prescrits, et celle-ci passe par la compréhension des raisons du traitement par le malade. »

Ces travaux se rejoignent également sur la notion de dangerosité appliquée aux malades mentaux, prétexte à l'enfermement et à une stigmatisation qu'il faut combattre. Nous ne pouvons accepter, en effet, le présupposé de ce texte, qui suggère que les personnes en souffrance psychique sont potentiellement dangereuses. Le sénateur Milon écrit à ce propos : « À partir de cas tragiques, l'opinion publique a pu être encouragée à voir la personne atteinte de maladie mentale comme nécessairement incurable et récidiviste. »

Quant à Jean-Marie Delarue, le contrôleur général des lieux de privation de liberté, il fait remarquer que les considérations d'ordre public invoquées par les préfets pour s'opposer aux sorties d'essai demandées par les médecins pour certains patients réputés dangereux, s'appuient sur des éléments antérieurs à l'hospitalisation alors, justement, que des soins sont intervenus entre-temps.

Jusqu'où peut-on aller au nom de la notion floue d'ordre public ? Quelles sont les frontières entre la santé des malades, la sécurité des citoyens et la liberté des individus ? J'ai pu constater que notre rapporteur se posait également ces questions et j'ai entendu ses arguments lors du débat sur les amendements que nous avons déposés en commission.

Notre préoccupation n'est pas éteinte pour autant. Elle rejoint celle formulée par Hélène Strohl qui, dans son rapport, affirmait que la sécurité publique ne peut justifier à elle seule l'enfermement dans un hôpital psychiatrique, et que c'est le juge, garant de la sécurité publique, et non pas le psychiatre, ni même le préfet, qui est chargé de protéger la société en ordonnant la détention pour sécurité publique.

L'hospitalisation sans consentement doit rester une mesure exceptionnelle de contention, justifiée par les troubles mentaux et les comportements qu'ils induisent, et non pas une mesure d'enfermement et de sanction. Car, comme l'indique très justement M. Delarue, « la sécurité est un ogre dont l'appétit ne cesse jamais » – je trouve que cette formule est très juste et vous invite à la méditer.

La question fondamentale qui se pose aujourd'hui, à la fois pour la santé des personnes concernées, la sécurité de leurs concitoyens et le respect des libertés publiques, est celle du suivi des malades. Hélène Strohl explique très bien que « les progrès du soin psychiatrique permettent de sortir la majorité des malades de l'état de refus et ils peuvent, bien suivis, bien accompagnés, vivre sans jamais devoir être enfermés, ou alors pour des temps très courts ». « Bien suivis, bien accompagnés » : le problème se situe bien là, en effet, dans l'accès et la continuité des soins, tant à l'hôpital que dans les structures ambulatoires de secteurs.

Le rapport sénatorial cite les propos du professeur Philippe Batel, chef de l'unité fonctionnelle de traitement ambulatoire des maladies addictives à l'hôpital Beaujon, qui, lors de son audition, a déclaré : « Aujourd'hui, pour avoir un rendez-vous dans l'unité dont j'ai la charge, il faut entre trois et six mois d'attente, ce qui est pour moi une souffrance majeure par rapport à l'idée que je me fais de l'engagement du service public. Ce délai d'attente sélectionne les patients qui ont le moins besoin de moi et qui sont issus des catégories socioprofessionnelles les plus élevées ! »

Le Haut conseil de la santé publique estime ainsi qu'un tiers des schizophrènes, la moitié des dépressifs et les trois quarts des patients souffrant d'abus d'alcool n'ont pas accès à un traitement ou à des soins simples et abordables.

Comment, dans ces conditions, répondre au besoin de soins ? Comment s'étonner que l'hospitalisation à la demande d'un tiers soit détournée de son objet initial et n'apparaisse, dans bien des cas, que comme le seul moyen d'obtenir une hospitalisation rapide en cas de crise, sans avoir à attendre plusieurs mois ?

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