Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous allons nous répéter une dernière fois : le Défenseur des droits est une belle idée gâchée, notamment après la réunion de la commission mixte paritaire, dont on aurait pu espérer qu'elle améliore les textes. À la sagesse du Sénat, qui a tenté d'y réintroduire quelques garanties, vous avez en effet opposé un refus total.
La Haute Assemblée avait ainsi rétabli la consultation systématique des collèges, renforcé le rôle des adjoints, obligé le Défenseur à motiver ses avis. Des députés de la majorité n'ont pas caché d'ailleurs leur préférence pour ces amendements, mais vous leur avez préféré le pouvoir solitaire de l'homme ou de la femme qui aura à traiter 90 000 dossiers par an et n'aura plus à justifier ses refus. Quant aux conditions de nomination du Défenseur des droits, elles amènent tous les observateurs politiques et associatifs à penser que son indépendance ne sera pas totale.
La mise en place de cette structure nous inquiète, notamment parce que son efficacité et sa visibilité seront moindres que celles qu'avaient conquises les autorités administratives indépendantes.
Vous avez d'ailleurs compris ce risque, puisque vous avez cédé sur la défense des droits des enfants en créant finalement un défenseur spécial et en permettant que celui-ci rende un rapport distinct, ce qui prouve que ces dispositions étaient nécessaires.
Cela étant, même sur le droit des enfants, vous n'avez pas convaincu. Je lisais hier l'analyse de l'UNICEF qui regrette que les discussions finales « n'aient pas été l'occasion de mettre au premier plan l'intérêt supérieur de l'enfant, ni d'assurer l'indépendance et l'autonomie du Défenseur des enfants ». Personne n'est donc dupe du costume étriqué que vous venez de dessiner au Défenseur et surtout à son adjoint chargé des droits des enfants, sans réels moyens ni liberté de ton. Je passe sur les difficultés de la CMP à entendre les exigences de parité et la demande d'une représentation équilibrée des hommes et des femmes dans les collèges, qui aurait pu être plus incitative.
J'en viens à la suppression, à l'article 21, d'un alinéa adopté par le Sénat qui donnait le pouvoir au Défenseur des droits de « formuler des recommandations tendant à remédier à tout fait ou à toute pratique qu'il estime discriminatoire ou contraire au respect des règles de déontologie par les personnes exerçant des activités de sécurité sur le territoire de la République ou contraire à l'intérêt supérieur de l'enfant ou à en prévenir le renouvellement ». Que signifie cette suppression ? J'y vois un indice supplémentaire de la volonté que le Défenseur des droits soit en fait un défenseur des personnes ne traitant que des cas individuels et s'interdisant toute généralisation, toute alerte sur des choix politiques ou réglementaires dont les conséquences seraient supportées par de nombreux citoyens.
En rendant ces organes de régulation moins efficaces, moins visibles, en inféodant le Défenseur des droits, en limitant son expression publique, vous cherchez à bâillonner les contre-pouvoirs. Vous ne m'avez pas répondu, mardi dernier, lorsque je vous ai fait part des doutes d'un certain nombre d'autorités administratives. Une fois ces textes adoptés, les rapports du Défenseur ne devraient plus vous gêner !
La HALDE, qui travaille actuellement sur les discriminations dont sont victimes les femmes au travail, la Défenseure des enfants, qui alerte sur le thème « enfance et précarité », la CNDS, qui s'inquiète sur la garde à vue, ou le Médiateur, qui vient de rendre son dernier rapport sur la maltraitance financière des personnes âgées, pourront-ils encore, à l'avenir, rendre public le fruit de leurs réflexions sur des thèmes de ce type ? Je crains, pour ma part, que les contre-pouvoirs ne soient démantelés.
Monsieur le ministre, permettez-moi de vous rappeler la mise en garde à laquelle se livrait Jean-Paul Delevoye, Médiateur de la République, dans son rapport de 2009. Son remarquable éditorial paraît aujourd'hui prémonitoire : « Notre société est fracturée. [...] un sentiment de fragilité et d'isolement qui ne laisse en partage que la souffrance [...]. L'époque où le “vivre ensemble” se fondait sur l'existence de règles communes, sur des autorités de proximité les faisant respecter, et sur des citoyens qui les connaissaient et y adhéraient semble révolue. Les espérances collectives ont cédé la place aux inquiétudes collectives et aux émotions médiatiques. Notre société gère son angoisse par une décharge d'agressivité là où nous attendions un regain de solidarité. »
Le Médiateur nous disait percevoir « la vitesse et la prégnance avec lesquelles le sentiment d'injustice se diffuse dans la société », percevant également « l'urgence et la difficulté qu'il y a à contrer ce sentiment, mêlant angoisse et rancoeur, prêt à se déverser dans les pires exutoires ». Les « pires exutoires », mes chers collègues ! Dans le contexte actuel, ces phrases résonnent fortement, et la responsabilité de votre gouvernement est d'autant plus lourde après cet avertissement.
Je vous l'ai dit, nous craignons de ne pas retrouver demain ce type de travaux, de cette qualité et bénéficiant de cette liberté d'expression. Pouvez-vous nous dire, monsieur le ministre, ce que vous avez fait de ces rapports ? Vous êtes-vous saisi de cette alerte du Médiateur ? En quoi ces rapports ont-ils contribué à infléchir l'action de votre gouvernement ? Enfin, que ferez-vous du rapport – le dernier sous cette forme – que vous présentera le Médiateur la semaine prochaine ?
Notre société a, plus que jamais, besoin de lieux d'écoute. Nos concitoyens ont besoin d'une autorité forte et indépendante, d'un équilibre entre autorité légale et respect des personnes, comme le disait M. Delevoye l'an dernier. Votre texte ne répond à aucune de ces attentes.