Il n'existe pas de liberté de circulation en Europe sans transports performants et peu coûteux. Aussi, ce secteur stratégique a-t-il connu une libéralisation qui s'est traduite par l'ouverture à la concurrence des secteurs maritimes, aériens et routiers.
Aujourd'hui, la politique des transports constitue une composante fondamentale des politiques de l'Union européenne. Il n'est pas faux de soutenir que l'essentiel des législations nationales dans le domaine des transports provient de la transposition de la législation européenne. La très forte expansion de ce secteur s'est traduite, par exemple, par le développement des compagnies aériennes à bas coûts, ou par l'explosion du transport routier de marchandises.
Dans cet univers libéral, tel le village d'Astérix, un secteur rechigne à l'ouverture et demeure arc bouté sur ses monopoles historiques, le rail. Dans tous les pays, à l'exception du Royaume Uni, la politique d'ouverture à la concurrence s'accompagne de combats d'arrière-garde, où les compagnies européennes s'accusent mutuellement de velléités protectionnistes, tout en se préparant à une ouverture déjà partiellement réalisée.
Au moment où une réforme des directives relatives au « paquet ferroviaire » est engagée, il est temps de dresser un premier bilan de la politique conduite ces dernières années.
L'accélération de la mobilité affecte tous les modes de transport, qu'il s'agisse de l'aérien, de la route, du ferroviaire, du fluvial ou du maritime, mais un constat s'impose, le secteur ferroviaire n'est pas celui qui a le plus profité du développement des transports.
La Commission européenne dresse, dans sa communication de 2009, un bilan très positif de la politique des transports européenne initiée ces dix dernières années. A ses yeux, les orientations fixées en 2001 ont permis des avancées importantes dans des domaines tels que la sécurité, la tarification, les conditions de concurrence et l'interopérabilité, mais elle admet toutefois un échec relatif en matière de réduction de l'impact environnemental des transports. En effet le mode de transport qui s'est le plus développé, le transport routier, est également le plus polluant.
Cette évolution contredit ainsi la politique de développement durable, que l'Union européenne souhaite promouvoir, et qu'elle a actée par des engagements internationaux, en particulier le protocole de Kyoto, qui impliquent de concilier croissance économique, progrès social et protection de l'environnement.
Il est important de souligner que la diminution importante du prix du transport routier a favorisé et amplifié la délocalisation industrielle qu'a connue notre pays ces dernières années.
Le développement rapide du transport routier s'explique par trois raisons principales : il est plus souple, plus rapide et moins cher que le transport ferroviaire.
En se fixant comme objectif « la mise en place d'un système de transport durable qui réponde aux besoins économiques, sociaux et environnementaux de la société et qui soit propice à l'instauration d'une société ouverte à tous et d'une Europe parfaitement intégrée et compétitive », la Commission européenne conclue sa communication de 2009en rappelant qu'il s'agit, désormais, d'optimiser le fonctionnement d'un système de transport intégré.
Mais, force est de constater que tous les Etats de l'Union européenne ne sont pas disposés à avancer au même rythme, par exemple en matière de tarification des coûts externes, c'est-à-dire la facturation des dégâts environnementaux ou de l'insécurité routière, leurs réticences conduisent à l'adoption de directives minimalistes, par exemple l'« écotaxe transports ».
Or, si le développement du transport ferroviaire est aujourd'hui un objectif consensuel, le marché unique n'a pas que des avantages, La gestion à flux tendus et la recherche des coûts de production les plus faibles expliquent en partie le développement du transport routier de marchandises et les nuisances qu'il génère. Cette remarque ne signifie pas bien sur qu'il faille remettre en cause le marché unique, le positif l'emporte sur le négatif mais, le sentiment européen ne doit pas conduire à nier les faits.
Il est clair que dans le domaine aérien le développement de la concurrence a eu des vertus indiscutables. S'agissant du transport routier de marchandises l'accroissement du volume des marchandises transportées est plus contestable lorsqu'il s'appuie sur le dumping social.
C'est pourquoi je considère qu'une politique européenne de réorientation du transport de la route vers le rail ne pourra obtenir des résultats que si elle est globale, d'envergure et non limitée à la politique de la concurrence.
Le développement du rail ne pourra pas reposer exclusivement sur les lois du marché et impliquera la mise en oeuvre de politiques plus dirigistes, mais l'acceptation d'un zeste de colbertisme constitue un tabou difficile à lever à Bruxelles.
A la différence de la route, que tout véhicule peut emprunter, les chemins de fer européens ont été élaborés, avec des normes distinctes, rendant difficile la circulation entre les réseaux.
La mutation du système ferroviaire est engagée depuis près de deux décennies et cette nouvelle organisation a atteint sa phase de stabilisation. Cela se vérifie avec les directives soumises à notre examen qui apportent des clarifications et des précisions mais ne modifient pas fondamentalement l'architecture du système.
A l'exception du fret, où les opérateurs privés représentent aujourd'hui 20 % du marché, la libéralisation du transport ferroviaire, qui est traduite dans notre droit, a eu peu de conséquences concrètes. Toutefois, la transposition des directives par la France fait l'objet d'une contestation par la Commission européenne.
La gestion des infrastructures a été séparée de celle de l'exploitant ferroviaire, la SNCF, par la création en 1997 de Réseau Ferré de France (RFF), qui est propriétaire d'une partie de l'infrastructure ferroviaire, les voies et les terrains qui entourent les voies et bâtiments. Toutefois deux problèmes n'ont pas été tranchés : la gestion du réseau et celle des gares. La volonté de la SNCF de demeurer une entreprise intégrée le plus possible, a conduit à une réforme a minima, parfois peu lisible ; par exemple la SNCF demeure propriétaire des gares, mais RFF possède les quais.
Cela explique également que RFF ne dispose pas des moyens de gérer l'exploitation des voies qui fait l'objet d'un contrat avec la direction de la circulation ferroviaire, entité indépendante au sein de la SNCF qui regroupe l'essentiel des effectifs affectés au réseau, environ 40 000 personnes, RFF étant une structure légère de moins de 2000 personnes.
Les autorités françaises considèrent avoir transposé dans les temps le premier paquet ferroviaire. Toutefois, la Commission européenne a estimé qu'elles ont manqué à leurs obligations et le 9 octobre 2009, a émis un avis motivé arguant de la persistance de l'insuffisance des mesures prises pour la mise en oeuvre du premier paquet ferroviaire.
Dans cet avis motivé, la Commission a retenu trois griefs : le manquement aux obligations relatives à l'indépendance des facilités essentielles ; le non respect des dispositions relatives à la tarification de l'accès à l'infrastructure ferroviaire ; le non respect des dispositions visant la création d'un organisme de contrôle, ce dernier point étant aujourd'hui réglé.
En outre, l'association qui regroupe les principales entreprises du secteur, en dehors de la SNCF, l'AFRA, conteste l'obligation pour les régions d'attribuer l'exploitation de leurs réseaux ferrés à la SNCF et estime la législation française incompatible avec la réglementation européenne.
Cette question est d'une grande importance car si ce point de vue était suivi par les tribunaux, le monopôle actuel de la SNCF sur le transport régional volerait en éclat, comme cela va être le cas en Allemagne.
Il faut être clair, la France avance prudemment vers la libéralisation ferroviaire, pour deux raisons : le bénéfice de l'ouverture à la concurrence du secteur du rail n'apparaît pas clairement pour l'opinion, faute d'avoir été mis en oeuvre, et les conditions d'une concurrence équitable ne sont pas réunies, en particulier en matière sociale.
La Cour des comptes, dans son rapport public pour 2010, souligne que les « ressources humaines de la SNCF conditionnent le succès de la réforme ferroviaire engagée en France en 1997 dans la perspective de l'ouverture à la concurrence des réseaux ferrés en Europe. La gestion de ses personnels constitue en effet pour la SNCF un des principaux leviers de sa transformation interne et une des clés de son adaptation à un environnement de plus en plus concurrentiel. »
Le bilan dressé par la Cour conduit à faire quelques remarques sur la gestion sociale de la SNCF. La mise en oeuvre de la réforme des 35 heures entre 1999 et 2001 a entraîné une hausse des effectifs estimée entre 7 000 et 7 500 agents. Les personnels ont souvent une durée réelle de travail inférieure à leurs obligations statutaires. Le temps de travail des personnels de la SNCF est sensiblement inférieur à celui de leurs homologues européens. Face à une concurrence de plus en plus vive, la SNCF doit améliorer sa productivité, tributaire de la durée et de l'organisation du travail, du volume des effectifs et du coût salarial et social de ses agents.
Les pouvoirs publics ne peuvent pas faire l'économie d'un dialogue social véritable qui sera dynamisé par la mise au point d'un projet de développement de la SNCF, enthousiasmant pour les personnels et soutenu financièrement par les pouvoirs publics, Etat et collectivités locales.
La Cour des comptes présente les termes du débat de manière semble-t-il incontestable : la SNCF ne pourra pas lutter à armes égales avec ses concurrents, en particulier lors de l'ouverture à la concurrence du transport régional, avec un surcoût variant selon les catégories de personnel de 12 à 30 % de la masse salariale.
Conscient du problème, j'ai donc auditionné les principales centrales syndicales dont les contributions seront annexées au rapport. Je partage par exemple le point de vue de la CGT sur le nécessaire respect de la subsidiarité par le projet de directive.
Il me semble qu'un accord de principe existe entre les entreprises ferroviaires et les syndicats pour mettre sur pied une convention collective des « travailleurs du rail », pour reprendre l'expression de Sud.
Dans un rapport particulier du 16 avril 2008, la Cour des Comptes porte le jugement suivant sur l'organisation du système ferroviaire français : « Une réforme inachevée, une stratégie incertaine ». Je partage très largement le jugement de la Cour et une partie de ses recommandations à propos de la loi du 13 février 1997, qui en transférant l'infrastructure ferroviaire à RFF a aussi transféré 20,5 milliards d'euros de dettes à la SNCF.
La loi a créé un dispositif institutionnel unique en Europe, dans lequel RFF est contraint de déléguer la plupart de ses fonctions à la branche infrastructures de la SNCF, dont il est pratiquement le seul client. La confusion des responsabilités qui en résulte crée de sérieux dysfonctionnements, par exemple lorsqu'il s'agit d'établir les horaires, d'attribuer les droits de circulation des trains ou de programmer les travaux.
Le débat sur l'ouverture à la concurrence du système ferroviaire est complexe, car les pays européens ont dans le passé développé des réseaux incompatibles, avec, par exemple, des écartements de voies différents, et disposé d'opérateurs puissants en situation de monopole. D'autre part, à la différence du ciel, de la route ou de la mer, qu'un nouvel opérateur peut emprunter librement, le réseau ferré comporte une limite physique de capacité. Or, en France, ce dernier est souvent saturé ou vieillissant. En outre, l'ouverture à la concurrence, très progressive depuis 2001, a nécessité la mise en oeuvre de trois paquets ferroviaires, jugée insatisfaisante par la Commission européenne, qui poursuit treize Etats en manquement.
Il est aujourd'hui trop tôt pour mesurer d'éventuels bienfaits de la concurrence qui, contrairement à ce que nous pourrions penser, concernera peu la « grande vitesse » mais pourrait, si la question sociale est harmonieusement réglée, avoir des conséquences significatives dans le transport régional. Il convient également de ne pas dissimuler l'échec rencontré dans le développement du fret ferroviaire. Ce secteur nécessite des solutions volontaristes qui imposent le transfert « autoritaire » d'une partie du trafic de transit des poids lourds en France ; il y va de la qualité de l'air que nous respirons et de la sécurité routière.