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Intervention de Annick Girardin

Réunion du 8 mars 2011 à 17h00
Commission des affaires européennes

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaAnnick Girardin, rapporteure :

C'est en tant que députée de Saint Pierre- et- Miquelon que mon attention sur le projet d'accord de libre-échange entre l'Union européenne et le Canada a, dans un premier temps, été attirée. Par la suite, j'ai tiré les fils d'un écheveau complexe qui m'a conduit à m'interroger, de façon plus générale, sur le bien fondé de la politique menée actuellement par la Commission européenne , la signature tous azimuts d'accords bilatéraux de libre-échange, comme en témoignent la reprise des négociations avec le Mercosur ou l'accord récent avec la Corée du Sud.

Les négociations avec le Canada ont été lancées en 2009, largement portées par le Président Nicolas Sarkozy lors de la présidence française de l'Union européenne. Le rythme des négociations a été dans une première phase rapide. Les sujets irritants l'ont ensuite ralenti. Les deux prochaines rencontres, en avril et juin, seront déterminantes, d'autant qu'a été évoquée la semaine dernière la possibilité d'une action de la Commission européenne auprès de l'Organisation mondiale du commerce contre les importations de carburants issus de sables bitumineux ,qui seraient contraires aux engagements européens pris à Copenhague.

Ce projet d'accord s'inscrit dans la ligne définie depuis quelques années par la Commission européenne qui consiste à signer des accords de libre-échange au lieu et place ou en attendant une hypothétique conclusion du cycle de Doha. Les relations commerciales entre l'Union européenne et le Canada sont anciennes et en relative expansion. Cependant, elles ne sont, pour aucune des parties, prioritaires. De plus, elles s'inscrivent sur fond de contentieux , comme celui de la viande aux hormones de croissance, des OGM ou des produits dérivés du phoque. L'Europe a certes des intérêts offensifs sur certains produits agricoles à forte valeur ajoutée, les indications géographiques et surtout les services. Cependant, une étude du Centre d'études prospectives et d'informations internationales a montré qu'un accord serait plutôt favorable au Canada. Cela s'explique par la différence de taille entre les deux économies , qui constitue une contrainte pour l'Europe sur un marché nettement plus petit que le sien, comme en témoignent les chiffres de 35 millions de consommateurs canadiens contre 500 millions dans l'Union européenne. La reprise des négociations sur un accord qui avait été enterré il y a quelques années est le fait d'un lobbying d'un certain nombre de grandes entreprises canadiennes et européennes, dont la liste figurera en annexe du rapport.

Certains points de la négociation sont particulièrement délicats. J'en citerai quatre. Comme tous les accords de libre-échange actuellement négociés, l'essentiel des négociations ne portent pas sur les aspects tarifaires, dans la mesure où les barrières douanières sont ,en moyenne, faibles. Cependant dans la mesure où des pics tarifaires sont appliqués à des produits sensibles, notamment en matière agricole et de pêche, il conviendra d'y être particulièrement vigilant. Par ailleurs, le régime des règles d'origine est important car les droits applicables dépendent de la provenance des produits importés. Le Canada étant intégré dans une vaste zone de libre-échange, l'Alena, on peut craindre qu'un accord avec le Canada soit un biais pour les produits des Etats-Unis et du Mexique d'accéder au marché européen sans droit de douane. S'agissant des services, la Commission européenne a accédé à une demande des canadiens de négocier sur la base d'une liste négative, c'est-à-dire que tout est en principe libéré, sauf ce qui est expressément exclu. La société civile canadienne est particulièrement préoccupée de la libéralisation de certains services publics comme la poste, l'eau, la santé, l'enseignement et l'opinion européenne la rejoint. Enfin, la négociation sur les marchés publics qui est un des points offensifs pour l'Union européenne est rendue difficile par les réticences des provinces canadiennes qui ont une grande autonomie en matière économique. Dans la mesure où la réciprocité des concessions dépendra pour une large part de leur adhésion, l'Union européenne a demandé à ce qu'elles soient dans la boucle de la négociation. Mais cela ne se fait pas sans difficultés. A ces préoccupations générales, s'ajoute celle, particulière, du territoire européen le plus proche du Canada, Saint-Pierre-et-Miquelon qui, du fait de son statut de pays et territoire d'outre mer (PTOM), ne fait pas partie du mandat de négociation de la commission. Pourtant, cet accord aurait un large impact sur l'archipel. Les PTOM ont en effet un régime commercial spécifique. Saint Pierre a ainsi pu bénéficier d'une dérogation aux règles d'origine grâce à laquelle certains produits de la pêche canadienne peuvent être transformés sur ce territoire. Par ailleurs, y est utilisée la faculté de transbordement qui permet aux produits non originaires des PTOM d'être réexpédiés vers l'Europe sans droits. Si, à la disparition de ces facilités, s'ajoute la libéralisation de certaines lignes tarifaires sur la pêche, c'est tout l'équilibre économique de l'archipel qui sera menacé.

Au-delà des problèmes délicats posés par cet accord, ce projet est révélateur des questions plus générales sur la légitimité et la cohérence de la politique commerciale européenne. Depuis l'entrée en vigueur du traité de Lisbonne, le Parlement européen doit en principe être informé sur l'état des négociations. Or on constate un refus de la Commission européenne d'aller au-delà de notes générales et brèves. Par ailleurs, peu d'études d'impact préalables ont été réalisées. Or c'est un moyen d'avoir une vision globale des conséquences d'un accord sur l'ensemble des filières dont certaines comme l'agriculture et la pêche seront déstabilisées. Actuellement, des enquêtes ont lieu dans les ports pour estimer les conséquences de l'accord sur les espèces, comme le homard ou les pétoncles sur lesquelles le Canada peut mettre ses quotas sur les marchés. Il me semble fondamental que, sur des problématiques aussi lourdes de conséquences, notre commission inscrive le sujet des accords bilatéraux de libre-échange à l'ordre du jour de leur prochaine rencontre avec les parlementaires européens. C'est d'autant plus important que les Parlements nationaux ne seront pas obligatoirement saisis de cet accord pour ratification si la commission européenne estime qu'il ne s'agit pas d'un accord mixte, c'est-à-dire contenant des dispositions autres que commerciales.

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