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Intervention de Philippe Chalmin

Réunion du 8 mars 2011 à 17h15
Commission des affaires économiques

Philippe Chalmin :

Je m'exprimerai, d'une part, en ma qualité de président de l'Observatoire des prix et des marges, d'autre part en tant que professeur à l'Université de Paris-Dauphine et président du cercle Cyclope. Comme vous l'avez rappelé, l'Observatoire dans sa forme actuelle a été institué par la LMAP. Il réunit l'ensemble des acteurs liés aux filières alimentaires. Son originalité tient au fait qu'il est présidé par un universitaire, donc par une personnalité indépendante et irresponsable. Je m'appuie pour l'essentiel sur les équipes de FranceAgriMer : nous n'avons d'ailleurs pas de personnel, ni de budget propres. Nous avons répondu en premier lieu à une demande de M. Bruno Le Maire, ministre de l'agriculture et de la pêche, concernant la filière de la viande bovine, à un moment où la situation était particulièrement tendue. Sous ma seule responsabilité, nous avons rendu un rapport préliminaire sur les prix et les marges dans cette filière. La prochaine échéance importante sera la remise de notre rapport au Parlement à la fin du mois de juin 2011. Ce document sera la résultante des études de plusieurs groupes de travail que j'ai mis en place, qui concernent non seulement la viande bovine mais également la viande porcine, la volaille, les produits laitiers, et les fruits et légumes. Nous aurons vocation par la suite à couvrir tout le champ agricole, y compris le vin, les céréales et les produits de la mer.

Je souhaiterais maintenant préciser le contexte dans lequel s'inscrivent nos travaux. En premier lieu, la France est probablement le seul pays dans lequel les négociations entre industrie et grande distribution donnent lieu à une telle dramatisation. Le respect du contrat est étranger à l'esprit français, au moins en ce domaine : il faut en tenir compte. Notre Observatoire n'a d'équivalent dans aucun autre pays ; son existence est justifiée par l'opacité qui lie les acteurs de l'industrie, de la production et de la distribution. Par exemple, les dernières négociations entre l'industrie et la distribution se sont déroulées dans des conditions particulièrement difficiles et un certain nombre de filières sont encore bloquées ; c'est sans doute la raison pour laquelle il y a autant de textes en France qui réglementent la concurrence.

Le deuxième élément de contexte à prendre en compte concerne les évolutions de la politique agricole commune. Les derniers instruments de gestion par les prix sont en train de disparaître. On est en train de découvrir l'instabilité des prix agricoles, ce qui n'était le cas, auparavant, que pour les produits tropicaux : or, cela concerne aujourd'hui également les céréales et les produits laitiers. Il faut donc répercuter l'évolution très volatile des prix agricoles au sein des filières, tant dans le domaine de l'alimentation humaine que dans celui de l'alimentation animale.

En troisième lieu, il faut tenir du compte du fait que nous vivons un véritable choc sur les marchés mondiaux, tant dans les domaines de l'énergie et des métaux que dans celui de l'agriculture. Les prix de très nombreux produits agricoles ont ainsi retrouvé leur niveau du printemps 2008.

A cet égard, le rôle de l'Observatoire est d'apporter de la transparence et de la confiance. A cet effet, nous allons bientôt mettre en place un site internet qui permettra de consulter la quasi-totalité des séries de prix et de marges que nous suivons et sur lesquels nous sommes en train de discuter. Des questions méthodologiques importantes se posent à cet égard. À titre d'exemple, la définition de la part du lait dans le yaourt aboutit à des résultats allant de 15 % à 40 % en fonction de la méthode de valorisation utilisée pour les sous-produits de la fabrication du yaourt. Ce qui importe, c'est de proposer un lieu neutre, propre à la discussion ; dans le domaine de la viande bovine, on est ainsi parvenu à ce que les différents acteurs se comprennent un peu mieux. Enfin, de manière générale, il me paraît fondamental de ne pas chercher à identifier des coupables aux différents problèmes rencontrés.

Le deuxième sujet, qui est directement lié au précédent, concerne la situation sur les marchés mondiaux de matières premières. On est à des niveaux de prix pratiquement équivalents à ceux de juillet 2008 exprimés en dollars. Cela signifie qu'en euros, on est aujourd'hui beaucoup plus haut, puisque qu'un euro valait à l'époque 1,6 dollar et ne vaut plus aujourd'hui qu'1,4 dollar : c'est la raison pour laquelle l'essence vaut plus cher qu'en juillet 2008, mais le pétrole n'est pas réellement un problème. En effet, après le pic de juillet 2008 est survenu le retournement du marché, et ce avant même la crise financière de septembre 2008 et la faillite de Lehman Brothers. Entre juillet et décembre 2008, les prix mondiaux ont perdu 60 % de leur valeur, le point le plus bas ayant été atteint en janvier 2009 à la veille du nouvel an chinois, avant que les cours ne remontent pour atteindre aujourd'hui des niveaux supérieurs à ceux de juillet 2008. Le cas de l'énergie est spécifique, dans la mesure où le marché pétrolier n'avait connu qu'une faible hausse. Les prix s'étaient stabilisés entre la mi-2009 et l'automne 2010, dans une fourchette qui contentait à peu près tout le monde, entre 75 dollars et 85 dollars le baril, sur la base du panier moyen de l'OPEP. Depuis la fin 2010, toutefois, des événements géopolitiques majeurs ont entraîné un renchérissement de 20 dollars à 25 dollars, ce qui n'apparaît pas excessif eu égard à l'ampleur des risques politiques pesant sur l'Algérie, et éventuellement sur le Golfe, voire sur l'Arabie Saoudite.

Par ailleurs, les prix du pétrole cachent l'évolution d'autres sources d'énergie. Ainsi, les prix du charbon sont-ils très tendus en Asie du fait de la demande chinoise. En revanche, les prix du gaz naturel se sont effondrés aux États-Unis du fait de la production de gaz non conventionnel (shale gas), qui a accru les réserves américaines de trente ans supplémentaires. Il semblerait qu'en France, on s'apprête à refuser ces shale gas de la même manière qu'on a, par le passé, refusé les OGM : ce n'est peut-être pas un hasard si c'est dans la même région que celle de M. Bové ! Le gaz naturel, qui vaut normalement deux tiers du prix du pétrole, en vaut aujourd'hui à peine un quart, ce qui aura des conséquences importantes sur les prix au niveau du marché mondial.

Les marchés qui ont véritablement fait l'objet de tensions ces dernières années sont en vérité ceux des métaux et des produits agricoles. Sur le plan de la demande, la croissance économique mondiale a connu un net regain, puisqu'elle a atteint 4,8 % en 2010, les prévisions du FMI pour 2011 s'élevant à 4,4 %. Cette demande est notamment alimentée par la Chine, dans le domaine des matières premières industrielles – métaux non ferreux, caoutchouc (qui a connu la hausse la plus élevée de 2010) – mais aussi du coton et des produits alimentaires – soja, oléagineux et, dans une certaine mesure, les céréales, même si la Chine mène autant que possible une politique d'autosuffisance alimentaire. Sur le plan de l'offre existent des facteurs de long terme et de court terme. À long terme, les prix ont été déprimés au cours des années 1980, 1990 et au début de la décennie 2000. En conséquence, les investissements nécessaires n'ont pas été accomplis en matière de production minière, énergétique ou agricole. En matière agricole, les pays du tiers-monde ont été particulièrement sacrifiés. On n'avait aucun doute sur le fait que le monde était en mesure de subvenir à son alimentation.

La flambée actuelle des prix s'explique essentiellement par l'absence d'investissements dans les capacités productives ces 30 dernières années. Dans les secteurs concernés, les investissements doivent être pensés à long terme : ainsi, il faut une durée de quinze ans pour mettre en oeuvre l'exploitation d'une nouvelle mine, d'un nouveau champ de pétrole, et plus longtemps encore pour concevoir de nouvelles molécules ou de nouvelles semences. La mise en oeuvre de politiques agricoles est également une oeuvre de long terme.

Dans le domaine des produits agricoles, les équilibres entre l'offre et la demande sont aujourd'hui très précaires et les accidents climatiques ou géopolitiques ont précipité la hausse des prix. L'augmentation des prix en 2008 s'explique par les accidents climatiques de 2006 et 2007, et la flambée actuelle par différents événements survenus en 2010 : la canicule en Russie, les inondations au Pakistan, en Chine et en Australie, les difficultés de production au Canada et en Argentine. Les marchés en 2010-2011 sont déficitaires et les stocks seront à un niveau dramatiquement bas à la fin de la campagne de 2011.

La flambée des cours touche pour la première fois l'Union européenne car le système de la politique agricole commune telle que nous le connaissions ne fonctionne pas.

La spéculation est un phénomène réel, elle est pratiquée par les acteurs financiers mais aussi par les professionnels de l'agriculture. Avec un cours actuel du blé à 230 euros la tonne, il est normal que les producteurs français spéculent. J'insiste sur le fait que la spéculation est nécessaire dans le contexte actuel d'instabilité des marchés puisqu'elle permet aux acteurs d'anticiper (ce que signifie justement speculare en latin). La spéculation financière fournit des liquidités nécessaires aux marchés et permet de gérer les risques. Depuis un siècle, toutes les études économiques ont conclu à la neutralité de la spéculation financière sur les prix des produits agricoles. Actuellement, les prix du lait augmentent fortement mais il n'existe pas de marché dérivé pour ce produit ni pour le riz, ce qui existe en revanche pour le blé, le maïs et le soja.

En ma qualité d'universitaire, je me réjouis du fait que la France ait décidé d'inscrire la question de l'agriculture dans les priorités de sa présidence du G20 : la flambée des prix ne doit pas être abordée comme la conséquence des agissements de spéculateurs mal intentionnés mais comme une composante du défi alimentaire, l'un des défis majeurs du XXIèmesiècle. Je ne pense pas que la solution réside dans une hypothétique régulation des marchés : il convient avant tout d'aider les pays en développement à financer des politiques agricoles.

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