Nous avons publié un guide intitulé Promouvoir la parentalité auprès des salariés masculins, un enjeu d'égalité professionnelle; une brochure intitulée Les hommes sont l'avenir de l'égalité professionnelle ; une étude consacrée à La représentation des pères dans la publicité. Enfin dans un recueil d'entretiens sous le titre : Patrons papas, paroles de dix dirigeants sur l'équilibre travail et vie privée, nous illustrons un de nos arguments principaux : l'égalité dans l'entreprise passe aussi par l'égalité dans la répartition des tâches à la maison.
Dans ce dernier ouvrage, des patrons volontaires – masculins uniquement – expliquent comment ils concilient leur vie professionnelle et leur vie familiale. Nous avons de la sorte déplacé le débat puisqu'à ce jour, seules les femmes doivent justifier leurs choix de conciliation de ces deux vies. Or, si cette question n'est pas posée aux hommes, s'ils continuent de ne pas s'impliquer dans les tâches domestiques, il sera impossible d'avancer en matière d'égalité ; il est évident que l'utilisation quasi exclusive des dispositifs de conciliation par les femmes constitue un frein à leur carrière par l'impact qui en résulte sur leurs perspectives de promotion et de rémunération. Il y a là un enjeu qui peut être renforcé par une intervention législative tendant à allonger le congé de paternité mais qui se heurte à des stéréotypes qui perdurent, si bien que le choix fait par un homme d'user de ces dispositifs pour mieux concilier vie familiale et vie professionnelle n'est pas valorisé. À ce propos et par parenthèse, j'ajouterai que l'ORSE ayant conduit en mars dernier une étude sur la représentation des pères dans la publicité, a démontré qu'outre le sexisme caricatural à l'égard des femmes, il existe un même sexisme à l'égard des hommes, décrits comme à ce point incapables ou incompétents dans leur rôle de père que le plus simple est qu'ils retournent travailler en laissant la responsabilité des tâches domestiques et parentales à leur femme…
La loi portant réforme des retraites qui vient d'être adoptée comprend certes un dispositif de sanctions financières, mais l'exemple de l'emploi des seniors a montré que de telles mesures peuvent être contournées. Demeure, en outre, un problème qui ne sera pas réglé par des textes : la question des métiers, pourtant fondamentale pour qui s'attache à vouloir faire cesser les inégalités salariales, est insuffisamment abordée, alors que les inégalités tiennent aussi à ce que les femmes n'exercent pas les mêmes métiers que les hommes. Ainsi, certaines fonctions – le secrétariat - ou certains secteurs d'activité fortement féminisés – la petite enfance, l'éducation - sont dévalorisés, cependant que dans diverses fonctions de responsabilité mieux rémunérées, les hommes sont très largement majoritaires. Une analyse beaucoup plus fine des différences sectorielles est donc nécessaire.
Par ailleurs, si des innovations sont perceptibles dans les accords d'entreprise, les accords de branche ne sont pas à la hauteur des enjeux : même lorsqu'il y a eu des négociations à ce sujet, l'accord se limite le plus souvent à rappeler les termes de la loi ou contient, tout au plus, quelques avancées tel le maintien du salaire lors du congé de paternité ; l'accord n'analyse pas les problèmes spécifiques aux métiers. Cette analyse ne pouvant pas être imposée par la loi, nous préconisons la diffusion de bonnes pratiques. Si nous disposions d'analyses beaucoup plus fines sur les différents problèmes qui se posent par métier aux femmes ou aux hommes et qui constituent des obstacles à l'égalité professionnelle, un effet d'entraînement plus conséquent se développerait.
Ainsi le répertoire des accords que nous avons constitué possède un certain caractère pédagogique par l'ensemble des enjeux qu'il couvre mais cela ne suffit pas car il faut détailler par métiers. Pour le temps partiel, par exemple, il y a eu des progrès pour l'encadrement supérieur mais je demeure assez pessimisme car la précarité subsiste pour les femmes, toutes payées au SMIC dans certains métiers. Si l'on veut remédier à cette précarité féminine et mettre fin au temps partiel subi, on ne peut pas édicter des règles générales applicables à différents métiers tels ceux du secteur bancaire, de la grande distribution ou du secteur de la propreté. Dans certains cas, la marge de manoeuvre de l'entreprise est presque nulle : par exemple, que signifie une demande de politique d'égalité professionnelle dans le secteur du gardiennage, où l'on compte à peine une femme pour cent employés hommes, ou, à l'inverse, dans celui de la petite enfance où 95 % des salariés sont des femmes ? Aussi longtemps que l'on n'aura pas recensé et promu les bonnes pratiques par secteur, car il en existe dans tout secteur, la situation ne s'améliorera pas ; que cette analyse sectorielle revienne aux pouvoirs publics ou à des organismes tels que l'ORSE, il est nécessaire de pallier le manque de travaux sur la non-mixité, les enjeux de la précarité ou les conditions de travail. Si l'on prend l'exemple de l'aménagement du temps de travail, on conçoit sans mal que ne puisse être abordée de la même manière la question du temps partiel volontaire selon que l'on parle de cadres supérieurs d'une banque ou de caissières employées par la grande distribution.
Ces données ne pourront être rassemblées que grâce à la mobilisation des acteurs. Or, dans la situation économique actuelle, les branches professionnelles sont confrontées à de nombreux problèmes et ne se mobiliseront pas spontanément sur l'égalité professionnelle ; et ce n'est pas en leur imposant une obligation de négociation qu'on les contraindra à une analyse plus fine des enjeux de l'égalité salariale, d'autant que certains acteurs n'ont tout simplement pas envie de se mobiliser sur ce sujet. Dans les entreprises d'une certaine taille, la négociation, le rapport de situation comparée et les sanctions finiront par entraîner une mobilisation et une responsabilisation des acteurs, mais il en ira autrement dans les nombreux secteurs où il n'existe aucune mixité, où sévissent des problèmes de pénibilité ou de temps partiel subi et où se creusent les écarts de salaire entre les hommes et les femmes.
Vous l'aurez compris, je suis assez pessimiste. Mais je pense que c'est ce pessimisme qui nous poussera à créer les instruments d'analyse qui nous permettront de collecter les données qui nous manquent encore.