J'ai longuement auditionné les acteurs de la santé mentale et tous ceux qui participent à la prise en charge et à l'accompagnement des personnes faisant l'objet, sans leur consentement, de soins psychiatriques, ainsi que les associations de familles et de patients. Loin des propos caricaturaux que l'on peut lire dans la presse, beaucoup ont à coeur de veiller à ce que des soins adéquats soient apportés aux personnes atteintes, qu'elles soient ou non conscientes de leur maladie, car le principal risque pour celles-ci n'est pas l'hospitalisation abusive, mais la non-détection de leur pathologie et l'absence de prise en charge.
Les maladies mentales sont aujourd'hui la première cause de mortalité des jeunes adultes ; sur 12 000 suicides recensés chaque année en France, 4 000 seraient commis par des personnes souffrant de troubles mentaux ; enfin, 30 000 à 60 000 personnes à la rue souffriraient d'un trouble psychiatrique grave. Toutes les associations de familles que j'ai rencontrées m'ont signalé des alertes non traitées, des appels au secours qui n'ont pas été entendus et qui ont parfois débouché sur des passages à l'acte.
Cette situation découle en grande partie d'une particularité des pathologies psychiatriques, l'anosognosie, qui fait que le patient ne se sait pas et ne se sent pas malade. C'est ce qui explique la nécessité de lois spécifiques.
Cela ne signifie pas que les soins sans consentement sont la seule solution. Au contraire, il convient de favoriser les soins libres, en hospitalisation ou en ambulatoire ; d'ailleurs 75 % des personnes hospitalisées en psychiatrie le sont par libre choix. Toutefois, l'état mental du patient ne permet pas toujours cette option ; c'est pourquoi il faut pouvoir admettre en soins sans consentement, sur demande d'un tiers, en cas de péril imminent ou sur décision du préfet, les personnes qui ont besoin d'une prise en charge immédiate parce qu'elles représentent un danger pour elles-mêmes ou pour autrui.
Je me félicite qu'à la suite de la décision du Conseil constitutionnel, le projet de loi impose le contrôle du juge sur le dispositif de soins sous contrainte ainsi que l'établissement, à échéance régulière, de certificats médicaux ; la complexité de ceux-ci suscite l'inquiétude des professionnels et peut être une source de contentieux, mais il s'agit du prix à payer pour protéger les droits fondamentaux des patients suivis en psychiatrie.
Je m'interroge cependant sur la portée du contrôle du juge et sur le choix du Gouvernement, d'une part, de ne pas autoriser celui-ci à substituer un mode de prise en charge à un autre lorsqu'il est saisi dans le cadre d'un recours, d'autre part, de limiter la saisine automatique aux seuls cas d'hospitalisation complète. Par ailleurs, subsiste le problème de la saisine du juge en cas de désaccord entre la commission départementale des soins psychiatriques (CDHP) et le préfet au sujet des patients dangereux.
S'agissant des personnes hospitalisées à la suite d'une déclaration d'irresponsabilité pénale et de celles ayant séjourné en unités pour malades difficiles, ne conviendrait-il pas de tempérer les dispositions du projet de loi et d'introduire une forme de « droit à l'oubli », couvrant les faits remontant à 15 ou 20 ans, ce qui permettrait d'éviter la stigmatisation de ces personnes et de ne pas rendre plus difficile leur sortie de soins et leur réinsertion sociale ?
L'autorisation de soins sans consentement sous une autre forme que l'hospitalisation complète est une bonne mesure, qui avait été recommandée dans le rapport remis en 2005 par l'Inspection générale des affaires sociales (IGAS) et l'Inspection générale des services judiciaires (IGSJ), et qui a été saluée par de nombreux acteurs de la chaîne de soins, dont l'Union nationale des amis et familles de malades mentaux (UNAFAM), les représentants des directeurs d'établissement et des psychiatres. Quels moyens comptez-vous mettre en oeuvre pour assurer un réel suivi des personnes sur le terrain ? Comment se fera, le cas échéant, leur réintégration en milieu hospitalier ? Où en est la recherche sur des traitements adaptés aux pathologies mentales qui permettraient aux patients de mener une vie « normale » et de se réinsérer socialement ?
Enfin, la réussite de cette réforme dépendra des moyens qui lui seront consacrés, tant par le ministère de la santé que par le ministère de la justice. Le plan Santé mentale annoncé par le Président de la République devrait ainsi engager la refonte de l'ensemble de la filière, incluant la recherche, la gestion des alertes, le diagnostic, le rôle respectif de l'hôpital, des soins ambulatoires et des médecins libéraux, et mettre en oeuvre une véritable politique publique en la matière, incluant la prévention et le dépistage ; l'OMS prévoit en effet que, dans les prochaines années, sur les 10 maladies les plus graves au niveau mondial, 5 relèveront de troubles mentaux.
Comme l'a analysé l'une des personnes auditionnées, la loi de 1990 est par nature difficile à réformer, car elle repose sur un trépied : la santé, la sécurité et la liberté ; toute action sur l'un de ces socles risque de fragiliser l'ensemble de l'édifice. Cela souligne la difficulté de l'exercice qui nous attend et le sérieux qu'exige cette réforme.