Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, ce projet relatif à la contrefaçon arrive juste après la ratification du protocole de Londres. Même s'il s'agit d'un hasard de calendrier, les deux textes se complètent pour renforcer la compétitivité des entreprises, notamment des PME.
En effet, la lutte contre la contrefaçon passe d'abord par le dépôt de brevets, qui permet aux entreprises de protéger leurs procédés et leurs innovations. Après avoir facilité l'accès aux brevets grâce à la ratification du protocole de Londres, vous en facilitez la protection par la transposition de la directive européenne du 29 avril 2004.
L'image que l'on retient de la contrefaçon, ce sont ces imitations de produits de luxe que l'on peut acheter au cours d'un voyage à l'étranger, parfois pas très loin du territoire national. Ces produits, souvent de très mauvaise qualité, peuvent même se révéler dangereux pour la santé et la sécurité de leurs acheteurs. Dans ce cas, l'entreprise copiée tout comme le consommateur sont lésés. Mais la contrefaçon, c'est aussi le pillage des procédés et des innovations, avec des produits de qualité équivalente. Dans ce cas, le consommateur ne se sent pas lésé et l'exposition médiatique est moindre. Toutefois, les PME spoliées des fruits de leurs recherches par des entreprises ayant pignon sur rue – des entreprises qui sont parfois de nationalité française – ont à faire face à un véritable problème. Cette loi s'impose donc comme une nécessité.
Le texte qui nous est proposé aujourd'hui va dans le bon sens. En effet, la contrefaçon est un véritable fléau économique : tous ici s'accordent pour le souligner. Ce fléau touche plus durement les PME, qui n'ont pas forcement les moyens de lutter en se lançant dans des procédures judiciaires, avec les coûts et les aléas que cela représente. Faciliter les procédures est donc une bonne chose, même si cela présente des risques que j'aurai l'occasion d'aborder.
Je tiens à souligner l'intérêt des mesures proposées pour améliorer l'indemnisation des victimes de contrefaçons, en particulier la prise en compte des bénéfices injustement réalisés par le contrefacteur. Jusqu'ici, la réparation ne prenait en compte que le préjudice directement subi par la victime, à savoir le manque à gagner évalué en fonction de ses capacités de production. Si une PME était capable de produire seulement 10 000 produits, l'indemnisation se faisait sur cette base, même si le contrefacteur, en mesure de produire plus, avait écoulé 50 000 produits contrefaits. Les bénéfices réalisés par le contrefacteur sur les 40 000 produits supplémentaires pouvaient alors largement couvrir l'indemnisation due à la victime. C'est une faille béante qu'il fallait combler, car malheureusement, c'est un cas de figure que l'on rencontre souvent : certaines PME, copiées par des entreprises plus importantes qui réalisent des bénéfices couvrant l'indemnisation, se voient bloquées dans leur développement, voire acculées au dépôt de bilan, par saturation de leur marché.
Autre mesure attendue : la spécialisation des magistrats en matière de propriété intellectuelle. Le contentieux qui en résulte peut être très technique, ce qui fait qu'un magistrat qui le pratique peu n'est pas en mesure de traiter convenablement. L'article 41 du texte qui nous est soumis recueille toute mon approbation et je souhaite que cette voie soit suivie pour d'autres contentieux.
Venons-en maintenant aux points qui suscitent chez moi des inquiétudes. Je comprends parfaitement la logique de votre action qui vise à faciliter au maximum les possibilités d'action en justice pour les victimes de contrefaçons. Je ne peux que l'approuver, car c'est le coeur même de cette directive. Toutefois, j'ai des craintes. À trop faciliter les possibilités de procédures, on peut offrir en effet des possibilités d'action aux entreprises prédatrices, qui veulent avant tout éliminer un concurrent ou gêner son entrée sur un segment de marché par le biais d'une action en contrefaçon, ou même simplement d'une menace d'action.
Sur ce plan, les PME sont particulièrement vulnérables. Elles n'ont pas de service juridique pour évaluer le sérieux de l'action et démêler le vrai du faux dans l'assignation qui leur est envoyée. La PME n'a pas non plus toujours la solidité financière pour assumer les frais d'une action en justice. À quoi cela sert-il de gagner sur le fond, si l'on a, entre-temps, déposé son bilan ? Les trésoreries des PME sont souvent fragiles et les frais de justice sont des avances financières que l'on évite volontiers. Face à un adversaire bien conseillé et décidé à user de toutes les ressources de la procédure, de tous les appels possibles, le dirigeant de PME est assez démuni. Dans nombre de cas, il va tout simplement renoncer, car il ne se sent pas de taille.
L'accélération des procédures, et notamment l'abandon du contradictoire pour certaines d'entre elles, présente des risques qu'il faut encadrer. Il est absolument nécessaire qu'aucune ambiguïté n'existe sur la culpabilité du contrefacteur. Il est donc nécessaire, à mon sens, que le demandeur fournisse des éléments de preuve raisonnablement accessibles et suffisants pour étayer ses allégations. La formulation est suffisamment souple, tout en imposant au demandeur de ne pas arriver les mains vides devant le juge, avec juste sa bonne mine et sa parole.
Je souhaite également que l'action en contrefaçon ne soit pas un moyen pour un demandeur de mauvaise foi d'obtenir des informations confidentielles. L'article 11 prévoit en effet qu'en sus des objets contrefaits, il est aussi possible de saisir les documents s'y rapportant. Dans le monde des affaires, la protection des informations est absolument vitale. L'espionnage économique est une réalité et il serait dommage, dans un texte qui entend lutter contre ses effets, de ne pas le rappeler.
Un autre thème connexe est la question, qui n'est toujours pas résolue, des téléchargements illégaux sur Internet : ils sont toujours considérés comme des délits de contrefaçon. La directive demande des mesures dissuasives, mais proportionnées. L'introduction dans le texte initial de la notion « d'échelle commerciale » permettait de distinguer les authentiques pirates du Net des simples internautes, qui pratiquent le téléchargement pour leur usage personnel. Elle offrait ainsi une garantie de proportionnalité des mesures, que l'on ne retrouve plus après la suppression de cette disposition par les sénateurs. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)