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Intervention de Pierre Gosnat

Réunion du 2 octobre 2007 à 15h00
Lutte contre la contrefaçon — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaPierre Gosnat :

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, ce projet de loi, nous pouvons en partager l'esprit puisqu'il tend à lutter contre la contrefaçon, cette organisation parallèle de la production et du commerce qui conduit, en définitive, à nier l'inventivité et le travail des hommes. Bien entendu, nous considérons qu'il faut renforcer la lutte contre la contrefaçon, mais cette loi est, semble-t-il, elle-même quelque peu contrefaite. Elle a, en apparence, la volonté de combattre le commerce de contrefaçons, mais elle n'en a ni le contenu ni les moyens, tout au moins à un niveau suffisant.

Nous ne contestons pas que cette loi comporte certaines avancées, rappelées pas le rapporteur, notamment en ce qui concerne la saisine du juge. Il convient aussi de saluer le travail de la commission pour restreindre le champ d'application des possibilités de requête. Le respect des droits de la propriété intellectuelle ne saurait cependant se réduire aux seules dispositions juridiques. Il doit s'inscrire dans une transformation profonde du comportement des entreprises, des circuits bancaires, des pouvoirs publics et des consommateurs. Plus de 35 % des Français, en effet, déclarent avoir déjà acheté des biens de contrefaçon, ou être disposés à le faire en toute connaissance de cause.

La commercialisation illégale de biens contrefaits représente la première activité parallèle mondiale et entretient pour beaucoup la vivacité des réseaux mafieux. Son explosion a des conséquences lourdes sur l'économie française, puisque ce phénomène coûte chaque année à la France 6 milliards d'euros et plus de 30 000 emplois. Le pouvoir politique se doit donc de réagir face à ce qui constitue un réel fléau, tant pour l'économie nationale que pour la santé et la sécurité de nos concitoyens.

Toutefois, ce texte, loin de proposer une solution réellement efficace, se contente de renforcer l'arsenal juridique existant, sans véritablement s'intéresser aux causes réelles de ce phénomène. Or s'attaquer aux effets plus qu'aux causes en s'engageant dans une course sans fin à la sanction est, à mes yeux, un choix contestable. La commercialisation de biens contrefaits s'inscrit en réalité dans une dynamique mondiale et globale, alors que ce projet de loi est avant tout une réponse nationale, au mieux européenne. Nous savons tous que les produits de contrefaçon, dans leur grande majorité, sont fabriqués hors de l'Union européenne, plus de 30 % proviennent exclusivement d'Asie. À cela s'ajoute l'explosion de cette activité dans les pays du pourtour méditerranéen et des pays de l'Est. De fait, si la contrefaçon est destructrice d'emplois en France, elle repose d'abord sur l'exploitation d'une main d'oeuvre particulièrement vulnérable dans ces pays. Par exemple, nous assistons aujourd'hui au développement de la contrefaçon médicamenteuse, qui se traduit par des catastrophes sanitaires dans les pays en développement les plus exposés à cette menace du fait de l'inaccessibilité des traitements, conséquence des politiques des grands groupes pharmaceutiques. Dans un article daté de juillet 2006, intitulé L'épidémie silencieuse, L'Express dénonçait des milliers – voire des centaines de milliers – de morts dans certains pays en développement. En Europe, ce fléau se traduit par l'explosion de la vente sur le net de produits stimulants ou coupe-faim contrefaits. Ces deux exemples, symbole criant des inégalités de conditions de vie au travers de la planète, sont pourtant deux caractéristiques d'un seul et même phénomène : le trafic internationalisé de contrefaçons.

Le coeur du problème se situe donc là. Ce n'est pas, à elle seule, une loi nationale qui fera reculer la production de biens contrefaits, et nous ne combattrons pas efficacement leur circulation sans mettre en place une réelle coopération avec les pays concernés sous l'autorité, par exemple, d'un organisme international adapté.

Ainsi, la question des contrefaçons, revêt une dimension mondiale, puisqu'elle s'inscrit aussi dans une logique globale du libéralisme à outrance. Les délocalisations nourrissent ce phénomène en multipliant les flux et en externalisant les savoir-faire et les productions dans des environnements peu sécurisés. Combien d'entreprises de luxe, cela a été évoqué, commercialisent leurs produits sous étiquette française alors qu'ils sont en réalité fabriqués à l'étranger ? Cela crée beaucoup de confusion. Ces entreprises portent une part de responsabilité importante dans l'expansion de ce phénomène.

Ainsi la lutte contre la contrefaçon ne peut-elle être cantonnée au champ judiciaire, mais doit intégrer une réflexion sur les réseaux de production et d'échanges ainsi que sur les lieux de décisions de ce marché illicite. À cet égard, ce projet de loi, bien que déposé par le prédécesseur de M. Fillon, épouse parfaitement la logique du gouvernement actuel : un problème politique, une nouvelle loi, un renforcement des sanctions et surtout beaucoup de communication.

Or un durcissement des sanctions ne peut nullement constituer une solution exclusive. Une loi ne fera pas reculer les organisations mafieuses, peu enclines par définition à se préoccuper de la légalité de leur commerce.

Soyons un peu pragmatiques. Quels seront les résultats de cette nouvelle loi ? Mettra-t-elle un frein significatif à ce commerce ? Permettez-moi d'émettre un sérieux doute, tout simplement parce que le Gouvernement préfère souvent les mots aux moyens. Or une loi sans financement effectif est un ornement supplémentaire au lourd fardeau juridique de notre pays.

Ainsi, vous nous demandez de voter une loi, de donner l'aval de l'Assemblée, alors qu'en même temps, un plan de réduction du nombre des fonctionnaires, particulièrement dans les douanes, est mis en oeuvre.

Vous pourrez me répondre, monsieur le ministre, faisant écho à votre Président, qu'avec l'Europe, les frontières se sont effacées et qu'il est donc logique d'abaisser le nombre de douaniers. Or, le débat d'aujourd'hui le montre bien, les chiffres de la contrefaçon vous donnent tort. Les services des douanes ont franchi en 2006 la barre des 6 millions d'articles saisis, mais combien passent entre les mailles du filet ?

Vous pourrez aussi me répondre que la diminution du nombre de postes dans les douanes correspond pour beaucoup à des emplois administratifs. Je vous rétorquerai que, de 2002 à 2007, plus de 550 postes d'agents de surveillance ont été supprimés, et cela sans tenir compte du projet du Gouvernement de diminuer de façon drastique le nombre de fonctionnaires et donc de douaniers. On pourrait aussi évoquer les personnels de police.

Je conclurai en appelant à une réflexion et à une analyse poussée du phénomène complexe qu'est la contrefaçon. Sans un questionnement réel sur ses causes, son ampleur, et les contradictions engendrées par son expansion, cette loi demeurera d'autant plus inefficace qu'elle n'est pas accompagnée des moyens humains et matériels nécessaires. C'est pourquoi les députés communistes et républicains s'abstiendront sur ce texte.

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