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Intervention de Bruno Lasserre

Réunion du 15 février 2011 à 18h00
Commission des affaires économiques

Bruno Lasserre, président de l'Autorité de la concurrence :

Merci de ces questions stimulantes, qui nous donnent envie de travailler plus encore, dans la limite des moyens qui nous sont assignés.

Mme Vautrin, MM. Taugourdeau, Nicolas et Dumas m'ont interrogé sur la grande distribution, et notamment sur les avis que nous avons rendu le 7 décembre dernier.

Pour nous, un juge judiciaire, s'il était saisi, pourrait sans doute déclarer illicites parce que disproportionnées des clauses fermant l'ouverture à la concurrence d'un terrain foncier commercial pendant un délai aussi long que trente ou cinquante ans.

Cependant, la simple inscription de ces clauses est dissuasive pour les acquéreurs. Une intervention plus radicale du législateur, interdisant les clauses de non-concurrence dans la revente de terrains, serait donc peut-être bienvenue. Les clauses de non-concurrence figurant dans un contrat de travail sont liées à un savoir-faire. Or, aucun savoir-faire ne s'attache à un terrain commercial. Pour moi, ce type de clause constitue une barrière invisible et inadmissible, qui devrait donc être proscrit par principe.

Les obstacles à la mobilité constitués par les rigidités contractuelles entre têtes de réseaux et magasins indépendants qui leur sont affiliés relèvent d'une autre logique. Dans nos avis, nous avons estimé que la durée de certaines clauses pouvait être trop longue : une durée d'affiliation devrait être comprise entre cinq et sept ans. Nous avons également dénoncé la superposition des contrats, d'enseigne, de bail ou d'approvisionnement. Leurs durées différentes rendent très difficile la sortie du dispositif. Nous avons donc proposé qu'ils soient rassemblés dans un document unique pouvant être dénoncé en une seule fois par le commerçant indépendant qui ne voudrait plus rester affilié à une enseigne.

Si certains groupes, comme Leclerc ou Intermarché, ont fait savoir par voie de presse leur désaccord, considérant que nous sortions de nos compétences et annonçant le prochain dépôt d'un recours au Conseil d'État contre notre avis – dont il n'est aucunement évident qu'il fasse grief –, d'autres enseignes se sont au contraire montrées intéressées par notre argumentation. Nous sommes donc prêts à créer un groupe de travail pour aboutir avec eux à une modification de leurs pratiques contractuelles. Ce n'est que si nous estimons les évolutions proposées insuffisantes ou insuffisamment partagées par la profession que nous nous retournerons vers le législateur. Nous voulons laisser une chance aux enseignes d'évoluer d'elles-mêmes dans le sens de nos préconisations.

Madame Vautrin, nous observons avec attention, mais aussi avec une certaine crainte, les débuts en France du « management catégoriel ». Vous avez raison d'essayer de susciter l'émergence, puis la diffusion, de bonnes pratiques partagées entre les distributeurs et les fournisseurs, destinées à prévenir les risques d'entente, ou encore d'éviction de fournisseurs. Nous appuyons la construction de lignes de force consensuelles permettant d'éviter d'éventuelles dérives.

Monsieur Fasquelle, lors de mon audition du 23 juin dernier, je m'étais bel et bien montré ouvert à la publication des lignes directrices. J'ai indiqué que nous étions prêts à travailler sur de telles lignes directrices pour déterminer plus précisément le mode de calcul des sanctions en fonction des critères législatifs : gravité de l'infraction, importance du dommage causé à l'économie, réitération, situation individuelle de l'entreprise. » Il s'agit donc de notre part, non d'une volte-face, mais, je crois, de la réalisation d'une promesse que j'avais alors formulée devant vous.

Pourquoi agissons-nous ainsi ? L'an dernier, la cour d'appel de Paris a rendu un arrêt divisant par huit ou dix les sanctions que nous avions infligées dans l'affaire du « cartel de l'acier ». La ministre de l'économie n'a pas souhaité se pourvoir en cassation. Très troublés par l'incertitude ainsi créée, nous avons souhaité reprendre la main en rendant plus prévisible notre politique de sanctions. Nous avons donc élaboré un document pédagogique explicitant, dans le respect de la loi, notre future méthode de calcul du montant des sanctions.

En 2001, la loi sur les nouvelles régulations économiques a porté le plafond des sanctions à 10 % du chiffre mondial du groupe dont relève l'entreprise fautive. Le législateur a également fixé quatre critères : gravité de l'infraction, importance du dommage causé à l'économie, réitération, situation individuelle des entreprises.

Nous devons conjuguer plusieurs principes. Le premier est la convergence : de plus en plus, nous appliquons le droit communautaire cumulativement avec le droit national. Dans une Europe qui s'intègre, nous devons aussi nous inspirer des raisonnements que tiennent nos partenaires pour sanctionner les atteintes comparables causées à l'ordre public concurrentiel dans leur espace juridique. La Commission européenne et les autorités de plusieurs États de l'Union – Royaume-Uni, Allemagne, Pays-Bas, Pologne, Espagne – ont déjà publié des lignes directrices.

Nous devons aussi codifier notre pratique, élaborer une méthodologie et nous engager à la tenir, de sorte qu'elle puisse être invoquée par les entreprises, soit devant nous, soit devant le juge judiciaire, qui nous contrôle, afin de mieux anticiper et nourrir le débat contradictoire préalable à la décision sur la sanction. Il s'agit à la fois de permettre à l'entreprise de mieux anticiper le risque – démarche qui participe aussi de la dissuasion – et de l'inciter, dans le débat contradictoire avec nous, à faire état d'éléments concrets susceptibles d'influer sur l'évaluation du montant de la sanction.

Pour construire cette méthodologie, nous n'allons pas partir du plafond légal. Cette notion ne doit être prise en compte qu'en fin de calcul, pour « écrêter » le cas échéant les sanctions qui l'excéderaient. Cette notion ne constitue pas un bon point de départ : de ce point de vue, nous sommes en désaccord avec la démarche de la cour d'appel dans l'affaire du cartel de l'acier. Nous considérons, quant à nous, que le bon point de départ est le montant des ventes affectées par le comportement anticoncurrentiel. Nous allons donc partir du chiffre d'affaires réalisé par l'entreprise sur le marché sur lequel se sont produites les pratiques répréhensibles.

Contrairement au rapport Folz, qui propose un pourcentage compris entre 5 % et 15 % des ventes des produits concernés par les pratiques sanctionnées, sur la base du seul critère de gravité, nous avons décidé de ne pas instaurer de plancher systématique, et donc de partir de 0 %. Dans certains cas, nous pouvons souhaiter n'infliger que des amendes symboliques, inférieures à 5 %. Si l'entreprise concernée n'est qu'une très petite entreprise, le montant à verser sera de toute façon très modique. Les pratiques ont pu être encouragées par les acteurs publics et l'infraction peut être dépourvue de caractère de gravité sensible. Un plancher de 5 % nous paraissait dangereux. Mais on pourra monter jusqu'à 30 %. Il s'agit, comme l'impose la loi, de tenir compte à la fois de la gravité de l'infraction – pour 15 % – et de l'importance du dommage causé à l'économie – pour 15 % également.

Sur ces bases, nous rechercherons les circonstances atténuantes et aggravantes. Si l'entreprise réitère un comportement déjà prohibé – autrement dit si elle récidive –, la sanction pourra être majorée jusqu'à 50 %. La durée de l'infraction sera aussi prise en compte.

Il me semble que c'est la première fois qu'une autorité administrative comme la nôtre effectue cet effort de transparence et, de plus, ouvre le débat sur sa politique de sanctions. La Commission européenne n'a jamais consulté les acteurs économiques sur les lignes directrices qu'elle a élaborées en 1998 et 2006. L'Espagne a organisé une consultation entre Noël et le Jour de l'An – une semaine ! Nous avons ouvert, en ce qui nous concerne, un délai de deux mois aux entreprises, aux consommateurs, aux élus et, de façon générale, à toute personne souhaitant prendre la parole pour donner son point de vue sur le document ainsi soumis à débat public ; Les contributions pourront être remises jusqu'au 11 mars. Le 30 mars, nous organiserons un débat contradictoire pour mettre en perspective les points de vue qui nous auront été communiqués.

Monsieur Fasquelle, bien sûr, des études économiques montrent que des sanctions très élevées pourraient mettre en péril des entreprises : c'est d'ailleurs pour cette raison que nous souhaitons proportionner la sanction à leurs capacités contributives. Lorsqu'une entreprise est sous procédure collective, nous avons pour pratique constante de renoncer à la sanction. Lorsqu'elle subit des difficultés conjoncturelles, nous réduisons très significativement celle-ci si nécessaire : dans l'affaire de la signalisation routière, nous l'avons réduite de 50 % ; dans une affaire d'électrosoudure, nous n'avons prononcé que des sanctions très faibles pour ne pas mettre en péril l'avenir des entreprises concernées, de toutes petites PME sous-traitantes de grandes groupes automobiles, qui avaient subi de plein fouet la crise économique.

Nous souhaitons en revanche que le débat sur la capacité contributive soit nourri par la production de documents comptables, financiers et fiscaux authentifiant, prouvant, les difficultés rencontrées par les entreprises qui les invoquent. Or, trop souvent, tel n'est pas le cas.

Il faut mettre en relation avec l'amende non seulement l'emploi au sein de l'entreprise qui a commis les infractions, mais aussi celui de celles qui en ont été les victimes. Une entreprise qui, pendant dix ans, en a contraint d'autres – ainsi que les consommateurs – à payer leurs matières premières 20 % ou 25 % au-dessus du prix du marché, a aussi eu une action négative, voire catastrophique, sur l'emploi au sein de ses PME clientes qui ne disposaient pas de la capacité de négociation suffisante pour s'opposer à ces hausses artificielles de prix. L'affaire du « cartel de l'acier » l'a très bien montré.

Dans l'affaire du GPL, nous avons été très mécontents que, pour preuves de ses allégations, une entreprise qui dénonçait un cartel dans le secteur des bouteilles de gaz conditionné nous ait fourni des courriels manifestement fabriqués à partir de faux. Nous avons décidé d'en tirer toutes les conséquences. La rapporteure générale verra comment elle peut agir dans l'instruction du dossier et s'il convient éventuellement de saisir le juge pénal.

Pour le reste, après un démarrage plutôt lent, le programme de clémence français, identique à celui des autres États d'Europe et lancé en 2001, connaît un certain succès. Le nombre de demandes de clémence continue de progresser. Dans un secteur donné, cinq demandeurs de clémence sont venus dénoncer des faits d'entente auxquelles ils avaient participé. Alors que notre culture économique est très éloignée d'une culture de la dénonciation – au contraire peut-être de celle des États anglo-saxons –, dans les prochains mois, vous constaterez que le programme de clémence aura permis la mise au jour de cartels structurés.

Messieurs Brottes et Gaubert, Madame Coutelle, si nous sommes attentifs au secteur du BTP et aux appels d'offres publics dans ce domaine, nous sommes cependant saisis d'un nombre d'affaires moindre que le Conseil de la concurrence, qui nous a précédé : dans les années 1990 et jusqu'au début des années 2000, elles représentaient la moitié de son activité ! Si la situation a changé, c'est que, après que vous avez constaté en 2001, lors des débats sur la loi sur les nouvelles régulations économiques, les stratégies de contournement des règles par des groupes de BTP, nous avons rendu les sanctions beaucoup plus dissuasives. La culture de ces groupes en a été modifiée ; le risque de sanction y est désormais considéré comme sérieux. Aujourd'hui, de grands groupes de BTP ont entrepris, grâce à des programmes de conformité, de former leurs cadres aux risques des ententes.

Nous n'entendons pas favoriser coûte que coûte regroupements et constitution d'oligopoles dans l'économie française. Cependant, les entreprises françaises n'atteignent pas toujours la taille critique nécessaire pour mener jeu égal avec leurs concurrentes européennes ou mondiales. Nous ne devons donc pas nous opposer par principe à leur croissance, y compris par acquisition.

Le repreneur de la société Yoplait n'ayant pas encore été choisi, nous nous interdisons de porter un jugement sur le rachat de celle-ci. Compte tenu de l'ampleur de l'opération, son contrôle relèvera sans doute de Bruxelles. En revanche, nous avons donné notre accord au regroupement entre Sodiaal et Entremont.

Monsieur Brottes, l'une des raisons pour lesquelles les appels d'offres lancés par les collectivités ne reçoivent que de très rares réponses, voire des réponses uniques, est que la complexification des règlements et des cahiers des charges dissuade certaines entreprises de concourir. Répondre à des appels d'offres comporte aussi des coûts qui ne sont pas nécessairement remboursés par les collectivités.

En échange de la création de l'entreprise commune Veolia-Transdev, nous avons négocié trois engagements au profit des collectivités.

D'abord, chaque fois qu'un appel d'offres concernera, comme concessionnaire sortant, soit Veolia, soit Transdev – une filiale de la Caisse des dépôts et consignations –, ces sociétés devront financer un fonds d'animation de la concurrence à la disposition des collectivités délégantes. Celles-ci pourront utiliser ce fonds pour rembourser les candidats – ce qui permettra d'en attirer un plus grand nombre dans la compétition –…

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