Découvrez vos députés de la 14ème législature !

Intervention de Bruno Lasserre

Réunion du 15 février 2011 à 18h00
Commission des affaires économiques

Bruno Lasserre, président de l'Autorité de la concurrence :

Je vous remercie, Monsieur le président, de votre accueil et je me réjouis du dialogue que nous poursuivons, sous votre présidence, après celle qu'exerça M. Patrick Ollier, laquelle fut toujours constructive, confiante et attentive.

Je comprends d'autant plus que le Parlement soit attentif à notre action qu'il a placé de grands espoirs dans l'Autorité de la concurrence créée en effet en 2008 par la LME. Il est donc tout a fait normal que nous soyons à même de lui rendre régulièrement des comptes, ce que je me propose de faire aujourd'hui devant vous en abordant quatre sujets.

Premier sujet : les résultats obtenus par l'Autorité.

Depuis son installation au mois de mars 2009, l'Autorité a, me semble-t-il, tenu ses promesses. Nous avons ainsi intensément travaillé en rendant une trentaine d'avis et en traitant une soixantaine de saisines contentieuses, tâches auxquelles s'ajoutent aujourd'hui de nouvelles responsabilités.

Depuis la LME, il lui revient – et non plus au ministère de l'économie – de statuer sur les opérations de fusion, de concentration et de rachat d'entreprises qui lui sont notifiées. Nous constatons en la matière – est-ce en raison de la fin de la crise ? – une reprise très sensible, les activités de fusions et d'acquisitions ayant été en 2009 très souvent reportées ou annulées faute de financement par les banques ou, encore, d'une valorisation des entreprises sujette à discussion compte tenu de la conjoncture boursière ou, tout simplement, en raison du moral des entrepreneurs. En 2010, nous avons reçu 200 dossiers – contre à peine 130 l'année précédente – en particulier dans des secteurs tels que l'agro-alimentaire et le transport, où les entreprises cherchent à se consolider afin d'atteindre une taille critique. J'ajoute que nombre d'opérations importantes ont pu être menées à bien avec notre accord ; il en va ainsi du projet Veolia-Transdev, ces deux entreprises ayant créé une structure commune dans le secteur du transport urbain et interurbain sans que la concurrence – bien au contraire ! – en pâtisse. Je suis prêt à répondre à toutes vos questions quant aux engagements que nous avons négociés puisque, en tant qu'élus, c'est vous qui accordez les délégations de service public à ces opérateurs.

En outre, nous avons renforcé les saisines d'office en attendant de moins en moins que le Gouvernement, les acteurs économiques ou les associations de consommateurs le fassent. Nous scrutons ainsi le fonctionnement concurrentiel des différents secteurs économiques tout en recueillant des indices. Cette activité nous semble d'autant plus importante que, dans le secteur du BTP ou de la grande distribution, par exemple, la plupart des intervenants restent silencieux. Plus précisément, le nombre de saisines contentieuses d'office est passé de 9 en 2009 à 13 en 2010. La même année, le ministère de l'économie ne nous a saisis qu'une fois – les micros-pratiques locales relevant quant à elles de la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) –, de même que nous n'examinons qu'une seule affaire transmise par les associations de consommateurs.

Par ailleurs, le Parlement nous a conféré le pouvoir de nous saisir d'office en matière d'avis afin d'établir un diagnostic du fonctionnement concurrentiel dans tel ou tel secteur et de procéder à un certain nombre de recommandations à destination des acteurs économiques, du Gouvernement ou de la représentation nationale elle-même. C'est ainsi que nous nous sommes auto-saisis de la question de la distribution, sur laquelle j'aurai l'occasion de revenir.

J'ajoute que nous avons pu intégrer ces nouvelles responsabilités en ramenant le stock des affaires en cours à 153 au 31 décembre 2010, contre 400 ou 450 au début des années 2000, chiffre qui compte parmi les plus bas depuis la création de l'ancien Conseil de la concurrence. Je gage que nous avons atteint à cet égard notre rythme de croisière.

Deuxième sujet : l'influence de l'Autorité sur le plan européen.

La concurrence n'est pas une fin en soi, mais un moyen visant à inciter les entreprises à donner le meilleur d'elles-mêmes en innovant, en baissant les prix, en étant compétitives et en améliorant la qualité des produits ainsi que des services. De ce point de vue, la politique de Bruxelles nous intéresse au premier chef et nous avons tout intérêt à nous y montrer de plus en plus attentifs.

Avec l'Autorité allemande, nous avons été élus par les autres autorités nationales de la concurrence afin de participer aux travaux du groupe réfléchissant à l'adaptation des règles de concurrence au secteur agricole – ainsi avons-nous pu faire entendre notre voix d'une façon pragmatique. Nous avons en particulier expliqué que le droit de la concurrence était suffisamment flexible pour permettre aux producteurs de se regrouper, de lutter contre la volatilité des prix et de négocier plus favorablement avec les transformateurs et les distributeurs. L'équilibre qui s'est fait jour et qui, dans le secteur de la production laitière, doit faire l'objet d'un règlement communautaire, résulte également de ses discussions.

En outre, la Commission européenne a révisé profondément sa position quant aux accords de distribution, et notamment s'agissant de la place de la vente en ligne que l'Autorité française s'est en l'occurrence efforcée de favoriser le plus possible – celle-ci permet en effet aux consommateurs de mieux comparer les prix et, donc, d'accroître la concurrence sans déstabiliser pour autant les secteurs où la distribution sélective est en vigueur. Une fois de plus, nous avons essayé d'établir un équilibre pragmatique entre vente en ligne et maintien des réseaux en dur, dont la Commission s'est explicitement inspirée.

Troisième sujet : nos priorités actuelles.

Nous sommes très attentifs à la question de la réparation. Bruxelles vient de lancer une réflexion sur les actions en réparation des victimes des pratiques anti-concurrentielles, l'objectif étant de favoriser une meilleure indemnisation des consommateurs, des PME ou des collectivités publiques qui font souvent les frais de ces dernières, en particulier dans le secteur du BTP. J'ai souvent l'occasion de le dire, le droit de la concurrence doit marcher sur deux jambes : la sanction, qui vise à dissuader les entreprises de se livrer à des pratiques dommageables pour l'économie, le pouvoir d'achat et les finances des collectivités publiques en raison d'une hausse des prix payée in fine par le consommateur ou le contribuable, et la réparation. De ce point de vue, je partage le diagnostic porté par les parlementaires Jung et Béteille dans leur rapport présenté devant le Sénat, selon lequel notre législation est insuffisamment efficiente.

Je citerai deux exemples qui montrent combien les collectivités publiques peuvent être victimes d'ententes que nous avons en l'occurrence mises à jour et sanctionnées.

Le 22 décembre dernier, nous avons ainsi réprimandé un cartel qui a opéré de 1997 à 2006 dans le domaine des panneaux de signalisation routière. Durant ces années, toutes les entreprises du secteur, qu'elles soient indépendantes ou qu'elles appartiennent à de grands groupes du BTP, ont mis en coupe réglée l'ensemble de la fabrication de la signalisation routière verticale. Un certain nombre de règles pré-établies permettaient de déterminer qui devait bénéficier des marchés passés par les collectivités publiques, les remises et les prix tarifaires étant précisés dans un document dit « Patrimoine ». Chaque entreprise considérait les bons de commande en sa possession – lesquels avaient donc été répartis avec ses « concurrentes » – comme faisant partie de son propre patrimoine, les membres du cartel ayant par ailleurs écrit noir sur blanc que ce document constituait une « Bible » à laquelle chacun devait se référer. J'ajoute que, selon nombre d'économistes, un cartel bien organisé – y compris s'il dispose d'un arsenal de mesures de rétorsion à l'endroit des « hérétiques » – peut faire grimper artificiellement les prix de 20 % à 25 %. Cette affaire l'atteste puisque l'audition des responsables, au mois de mars 2006, a été suivie d'une baisse du prix des panneaux routiers de cet ordre. Je le répète : il importe grandement que les collectivités publiques qui ont été flouées demandent réparation des préjudices subis. Elles le doivent aux contribuables !

Second exemple : le 26 janvier dernier, nous avons sanctionné une entente dans le secteur de la restauration des monuments historiques – églises, abbayes, châteaux –, notamment en Haute et Basse-Normandie ainsi qu'en Picardie, mais nous disposons également d'indices indiquant que des ententes ponctuelles ont existé en Aquitaine, en Bourgogne, dans le Nord-Pas-de-Calais et en Île-de-France. En l'occurrence, les entreprises se partageaient les chantiers et proposaient des offres de couverture élevées à la suite des appels d'offres lancés par l'État ou les collectivités publiques afin que les sociétés qui avaient été préalablement choisies l'emportent en proposant des prix plus bas. Le maître de l'ouvrage avait ainsi l'impression qu'une véritable concurrence avait cours. Une fois de plus, il a suffi que cette entente soit démasquée pour que les prix baissent immédiatement de 20 %, ce qui est considérable !

Quatrième sujet : nos trois priorités à venir, qui rejoignent d'ailleurs celles d'une Représentation nationale soucieuse du pouvoir d'achat des consommateurs et du maintien d'une véritable politique de la concurrence.

Le contexte économique des prochains mois sera vraisemblablement marqué par une hausse des prix alimentaires et des matières premières, laquelle entraînera un risque pour le pouvoir d'achat des consommateurs et la politique de la concurrence – je note que cette dernière a d'ailleurs été assez contestée pendant la crise, l'emploi, le salarié, la pérennité des entreprises ayant été jugés plus importants que le pouvoir d'achat ou le consommateur. Plus que jamais, il faut nous pénétrer de l'idée selon laquelle, alors que les marges budgétaires dont nous disposons sont très étroites, la politique de la concurrence constitue un outil prioritaire afin de veiller à ce que les consommateurs paient un prix juste et non artificiellement majoré.

Pour ce faire, nous devons d'abord réfléchir aux tarifs bancaires. Au mois de septembre dernier, nous avons sanctionné les onze principales banques françaises – y compris la Banque de France – pour avoir installé lors du passage à l'euro une commission interbancaire dite « d'échange-image-chèque » (CEIC) dédiée au traitement du chèque alors qu'elle ne se justifiait en rien puisque la dématérialisation et l'automatisation de ce dernier était effective depuis 2002 - cette réforme d'intérêt général avait d'ailleurs permis aux banques de réaliser des gains de productivité substantiels qui, loin d'être restitués aux consommateurs, leur ont été en quelque sorte facturés. Nous avons donc déclaré cette commission anticoncurrentielle et sanctionné les onze établissements à hauteur de 384 millions d'euros.

En outre, nous sommes en train de négocier avec les banques une baisse, que nous espérons significative, des commissions interbancaires payées par les commerçants lors des transactions effectuées par cartes bancaires. Le montant de ces commissions – notamment de celles qui ont été négociées dans le cadre du groupement d'intérêt économique des cartes bancaires – n'ont pas évolué depuis 1990 en dépit des nombreux changements qui ont affecté ce secteur, s'agissant notamment des coûts informatiques. Il nous semble donc naturel de vérifier que ces commissions correspondent à des coûts réels. Dans les six prochains mois, nous en négocierons avec les banques une réévaluation à la baisse de manière que le consommateur paie moins lorsqu'il utilise sa carte, le commerçant étant quant à lui moins taxé qu'il ne l'est aujourd'hui.

Enfin, nous souhaitons qu'une évaluation des coûts soit effectuée régulièrement grâce à la signature d'une « clause de revoyure », dont nous négocions les termes en ce moment même avec les banques.

Nous devons ensuite réfléchir au secteur de la distribution, la LME nous ayant doté de nouveaux outils permettant de prévenir une concentration excessive des entreprises et de dissuader ou de sanctionner des pratiques anticoncurrentielles. J'ai eu l'occasion de m'entretenir de ce problème devant la Commission d'examen des pratiques commerciales (CEPC) présidée par Mme Catherine Vautrin, où nous avons d'ailleurs eu un débat très riche avec les représentants des groupes de distribution, des industriels et des personnels qualifiés. J'ai été heureux, Madame la présidente Vautrin, que vous ayez décidé de vous saisir d'un certain nombre de propositions afin de faire avancer les questions qui nous préoccupent au sein d'un groupe de travail dont vous avez eu l'initiative.

Nous sommes plus particulièrement intéressés par deux sujets d'actualité. Tout d'abord, nous constatons de plus en plus que les groupes de distribution, qu'il s'agisse de structures coopératives anciennes, comme les établissements Leclerc, ou de groupes comme Carrefour, renoncent au modèle intégré pour davantage travailler avec des magasins indépendants avec lesquels ils passent des contrats d'enseignes sur le mode de la franchise ou d'une affiliation d'une autre nature, ces magasins assumant les risques commerciaux. Cette situation est de plus en plus répandue dans les centres-villes. Ce n'est certes pas à nous de condamner une telle évolution, sans doute commandée par une série de facteurs économiques et sociaux, mais nous constatons que la pénétration de nouveaux magasins dans le secteur de la distribution est de plus en plus difficile.

Je sais que vous réfléchissez, Mesdames et Messieurs les députés, à une modernisation de la loi sur l'équipement commercial, qui est souvent considérée comme un obstacle à l'entrée de nouvelles enseignes dans les zones de chalandise. En ce qui nous concerne, nous ne voudrions pas qu'à ces barrières naturelles ou réglementaires – je songe, également, à la difficulté de trouver du foncier commercial dans les zones commerciales périphériques ou dans les centres villes – s'ajoutent des barrières comportementales par lesquelles les groupes de distribution rendent encore plus difficile une telle entrée. Or, il semble d'ores et déjà que tel soit le cas, comme en atteste l'enquête sectorielle que nous avons réalisée. Ainsi, certaines enseignes achètent-elles des terrains contigus aux magasins qu'elles créent afin de prévoir un éventuel agrandissement. Ceux-ci étant devenus finalement inutiles en raison d'un dimensionnement correct de la surface initiale, leur revente est subordonnée à une clause d'exclusivité disposant que l'acquéreur ne pourra pas utiliser le terrain à des fins concurrentielles dans le domaine, par exemple, de la distribution alimentaire ou du bricolage pendant une durée très longue pouvant aller jusqu'à trente ou cinquante ans ! C'est inadmissible ! Si les clauses de non-concurrence sont compréhensibles pour des personnels d'encadrement, elles ne se justifient en rien à ce niveau.

Compte tenu de ces difficultés, il est très important de garantir une mobilité inter-enseignes en faisant en sorte que la compétition entre les différents groupes de distribution attirent des magasins affiliés à des enseignes concurrentes qui souhaitent pénétrer dans les zones de chalandise auxquelles ils n'ont pas accès. Or, les magasins indépendants sont de plus en plus prisonniers de leurs contrats : non seulement leur durée est très longue – parfois trente ans –, mais une série de contrats, dont les échéances varient, se superpose au point que la sortie de l'un interdit la sortie d'un autre, un certain nombre de clauses pénalisant la sortie de l'ensemble. La mise en place d'une meilleure concurrence implique qu'il en aille autrement alors qu'à Paris 80 % du marché de la distribution sont tenus par les groupes Casino et Carrefour, les enseignes concurrentes ayant le plus grand mal à convaincre les magasins indépendants affiliés à ces derniers de les rejoindre, y compris en leur offrant de meilleures conditions.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion