C'est pour moi un grand honneur d'être reçu par les membres de la représentation nationale qui s'intéressent au sport et à la lutte contre le dopage. Cette audition va me donner l'occasion de vous présenter l'action entreprise depuis que je me trouve à la tête de l'Agence, à la suite de la démission de Pierre Bordry. J'ai prêté serment le 7 octobre dernier : mon expérience est limitée, mais ces derniers mois ont été aussi actifs et instructifs que possible.
Lors de la première séance du collège de l'Agence, j'avais souligné ce qui à mes yeux va de soi, à savoir que la lutte contre le dopage est un impératif indiscutable, tant pour des raisons de santé publique que pour le maintien de la loyauté des compétitions sportives. C'est à ce titre que nous essayons de lutter contre le dopage aussi bien dans le sport professionnel que dans le sport amateur. C'était d'ailleurs la doctrine de l'ancien ministre des sports, Jean-François Lamour, et c'est également celle de l'Agence mondiale antidopage (AMA).
Au cours de la même séance, j'avais également évoqué les trois défis que nous devons relever : un défi technologique, un défi financier et un défi organisationnel. Je les reprendrai devant vous en les actualisant, avant de répondre aux questions que vous voudrez bien nous poser, à moi-même ou à mes collaborateurs ici présents : M. Robert Bertrand, secrétaire général, qui est un administrateur de votre Assemblée mis à la disposition de l'Agence, et le professeur Michel Rieu, qui en est le conseiller scientifique.
Le premier défi est technologique. Les techniques de dopage ont toujours un temps d'avance sur les techniques de détection des produits dopants. Face à ce défi, nous ne sommes pas désarmés : nous disposons, dans la législation comme dans la pratique, de quatre éléments susceptibles de jouer un rôle positif.
Le premier d'entre eux est lié aux progrès de la recherche. S'il nous a fallu dix ans pour réussir à détecter l'érythropoïétine, dite EPO – lorsque nous avons pu le faire, cela a fait très mal dans le monde du cyclisme –, nous avons mis beaucoup moins de temps pour mettre en évidence, à la faveur d'une prise de sang, l'EPO CERA, produit dopant de troisième génération.
Mais la recherche suppose des investissements coûteux. C'est la raison pour laquelle l'Agence encourage les universités à conclure des contrats et à réaliser des investissements. Nous vous remettrons, madame la présidente, un document récapitulant l'ensemble de nos actions. Le professeur Rieu est à votre disposition pour vous donner de plus amples informations, en particulier sur les projets aidés par l'Agence. Ceux-ci reçoivent l'agrément du Comité d'orientation scientifique, composé de scientifiques de haut niveau de diverses nationalités et présidé par le professeur Yves Le Bouc, lui-même ancien sportif – il fut un demi de mêlée très combatif.
Nous bénéficions également, pour relever le défi technologique, du concours des services de police et des services douaniers. Je souligne le rôle très positif de l'Office central de lutte contre les atteintes à l'environnement et à la santé publique (OCLAESP), rattaché à la police judiciaire. L'article L. 232-20 du code du sport, dans sa rédaction judicieusement votée par le Parlement en juillet 2008, prévoit des échanges d'information entre l'AFLD et l'ensemble de ces services.
Tout aussi positive est la fixation d'un délai rigoureux de prescription des infractions sportives. Celles relevant du dopage peuvent désormais être poursuivies dans un délai de huit ans. Cette disposition, conforme aux recommandations de l'Agence mondiale et entérinée par l'ordonnance du 14 avril 2010, permet de revenir sur des situations passées – à condition, naturellement, que les échantillons aient été conservés –, ce qui constitue un élément de dissuasion non négligeable.
Quatrième point positif : les contrôles effectués en amont. Dans certains sports, les techniques de dopage sont tellement sophistiquées que les contrôles pratiqués pendant la compétition sont le plus souvent négatifs, alors même que les services de police ou de gendarmerie peuvent découvrir la présence de produits dopants dans l'hôtel où ont résidé les sportifs ou la camionnette qui les a transportés. C'est la raison pour laquelle la législation prévoit des contrôles très en amont, en obligeant notamment les sportifs de haut niveau à se soumettre à une localisation, ce qui permet de procéder à des contrôles inopinés. Après trois manquements sans justification valable, des sanctions disciplinaires peuvent être prises, dans le respect des procédures.
Toujours dans le but d'anticiper les contrôles en amont, nous essayons aujourd'hui de suivre l'évolution des profils sanguins. Nous y sommes incités par l'Agence mondiale antidopage. C'est pourquoi dans le Programme annuel de contrôles (PAC) que nous avons adopté le 6 janvier 2011 et qui est consultable sur le site internet de l'Agence, nous avons mis l'accent sur la nécessité d'augmenter le nombre des prélèvements sanguins, moyennant une diminution corrélative, au moins cette année, des contrôles urinaires.
Notre deuxième défi est un défi financier. La lutte contre le dopage a nécessairement un coût. J'ai évoqué cette question lors de la présentation à la presse du rapport d'activité de l'Agence, rapport dont le président de l'Assemblée nationale était l'un des destinataires. Le 18 novembre dernier, un quotidien sportif a rendu compte de mon intervention dans les termes suivants, qui ont de quoi surprendre un membre du Conseil d'État : « Genevois veut des sous ». Si je conteste cette personnalisation du problème, je me dois de vous faire part de ma préoccupation concernant l'Agence et la lutte contre le dopage.
En ce qui concerne les sommes consacrées à la lutte contre le dopage, un certain nombre de chiffres circulent. Le 21 janvier dernier, lors d'un colloque intitulé « Lutte contre le dopage et protection des droits fondamentaux », organisé par des avocats, il m'a été indiqué que le budget de l'Agence mondiale antidopage s'élevait à 25 millions de dollars. Je rappelle que l'AMA, créée en 1999, est une fondation de droit privé suisse, dont le siège se trouve à Montréal et qui dispose de quatre antennes régionales. Je trouve ce montant plutôt faible, mais il m'a été confirmé le 10 février par le président de l'Agence lui-même. Je me demande s'il ne s'agit pas que du budget administratif.
Au cours du même colloque, un représentant du Conseil de l'Europe a déclaré : « Jamais les pays membres du Conseil de l'Europe n'ont été aussi fermes quant à l'objectif de lutte contre le dopage ». Or les budgets consacrés par le Conseil de l'Europe à la lutte contre le dopage ont été réduits de 30 % !
L'Union cycliste internationale (UCI), quant à elle, consacre spécifiquement 8 millions de francs suisses, soit 6,125 millions d'euros, à la lutte contre le dopage. Ces évolutions sont à mettre en parallèle avec le budget de l'AFLD, adopté le 18 novembre 2010 – sans demande de délibération ultérieure de la part du ministère du budget et du ministère des sports – qui s'élève à 8 945 460 euros, couvrant le fonctionnement du siège administratif de l'Agence et du département des contrôles, avec les 490 préleveurs qui sont des collaborateurs occasionnels relevant du service public, ainsi que celui du laboratoire d'analyses de Châtenay-Malabry. Les comparaisons internationales doivent nécessairement tenir compte du rattachement ou non du laboratoire à l'Agence, lequel, je tiens à le souligner, n'est pas antinomique de sa totale indépendance sur le plan scientifique.
Quel que soit le montant des crédits alloués à l'Agence, le plus important est d'en faire bon usage. Afin de rendre compte de notre activité, nous présentons chaque année un rapport au Parlement et au Gouvernement. Nous faisons des efforts de productivité, mais il me semble qu'une autorité administrative indépendante, dotée d'une personne morale distincte de celle de l'État – ce qui est le cas de l'Agence depuis le vote de la loi du 5 avril 2006 – doit disposer d'une ressource propre afin de ne pas être trop tributaire de la subvention de l'État, qui reste aléatoire. Or le budget de l'Agence pour 2011 est tributaire d'une subvention de 7,8 millions d'euros, bien que votre Assemblée ait souligné l'intérêt d'une ressource propre, évoquant la possibilité que soit versés à l'Agence 10 % de la taxe sur les cessions de droits de retransmission des compétitions sportives, dite « taxe Buffet ». Votre Assemblée s'y est déclarée favorable à deux reprises : lors du vote en première lecture du projet de loi de finances pour 2010, et en novembre 2010, dans le rapport de René Dosière et Christian Vanneste sur les autorités administratives indépendantes.
Je n'ignore pas que, le 4 novembre 2009, devant le Sénat, le Gouvernement a fait marche arrière, mais j'ai eu le sentiment que ce changement devait beaucoup à l'attitude du monde du football qui, sous prétexte que le dopage n'existe pas dans ce sport, ne voit pas pourquoi l'argent qu'il rapporte profiterait à la lutte contre le dopage. Nous pourrions engager un vaste débat sur de telles affirmations. Ce qui me gêne personnellement, c'est qu'elles remettent en cause le modèle français d'organisation du sport, qui repose sur une certaine solidarité entre les sports susceptibles de générer des recettes et les autres, ce qui en fait la richesse et l'originalité. Je maintiens donc ma position sur ce point.
Quand on me parle des difficultés qui existent dans le monde du football, je cite un article de presse du 13 octobre dernier selon lequel la chaîne bénéficiaire des droits de retransmission aurait revendu à l'étranger à bon prix – 24 millions d'euros – les droits acquis par elle pour l'utilisation par d'autres chaînes européennes des images du Championnat de France de première division. Si vous vous intéressez un tant soit peu au football, vous savez qu'il est plus attrayant de voir un concentré des matches de championnat, avec des buts tels que celui de Wayne Rooney dans le match opposant Manchester United à Manchester City. Ces images spectaculaires se vendent bien, mais rien ne justifie qu'elles ne soient pas soumises à un effort de solidarité collectif au titre de la lutte contre le dopage.
J'en viens au défi organisationnel, qui concerne le positionnement de l'Agence par rapport à ses interlocuteurs, nationaux et internationaux.
Sur le plan national, j'ai pris contact avec les autorités ministérielles et leurs services. J'ai aussi rencontré, en présence de mes collaborateurs, le Comité national olympique et sportif français (CNOSF), qui m'a réservé un accueil très chaleureux, les responsables des principales fédérations, accompagnés des directeurs techniques ou des conseillers juridiques, et les médecins du sport. Je pense qu'il n'y a pas de difficultés dès lors que chacun s'attache à respecter la compétence de l'autre.
Les débats budgétaires étant déjà engagés lorsque j'ai pris mes fonctions, j'ai laissé à mon prédécesseur Pierre Bordry le soin de suivre la procédure devant le Sénat, qu'il connaît bien puisqu'il fut pendant plusieurs années conseiller du président Poher. À sa demande, j'ai rencontré le rapporteur général du budget de la Commission des finances du Sénat, M. Philippe Marini, avec lequel j'ai eu des échanges fructueux.
Sur le plan international, je mentionnerai tout d'abord la visite à Paris le 10 février 2011 de M. John Fahey, président de l'AMA, et de ses principaux collaborateurs, trois anciens lawyers très exigeants sur le plan de la lutte antidopage. Dans un communiqué de presse, M. Fahey a souligné tout le bien qu'il pensait de l'action de l'AFLD. Certes, nous sommes perfectibles, mais notre agence est un pilier de la lutte antidopage.
Le 12 février dernier, j'ai été appelé à défendre – ce que j'ai fait avec beaucoup de conviction – la candidature d'Annecy aux Jeux olympiques d'hiver de 2018 devant la Commission d'évaluation du Comité international olympique.
Enfin, j'ai renoué des contacts avec l'Union cycliste internationale. La négociation étant en cours, je souhaite conserver à cet égard une certaine discrétion. Je ne voudrais pas qu'un effet d'annonce en compromette l'issue, que j'espère favorable.
Je suis très attaché au soutien apporté par l'Assemblée nationale et le Sénat à l'action de l'AFLD, soutien qui se manifeste chaque année lors de la discussion des crédits du ministère des sports.