Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, monsieur le président de la commission, mes chers collègues, le principe de neutralité de l'internet peut se définir comme suit : tous les contenus doivent être traités de la même façon et acheminés à la même vitesse sur les réseaux. Les propriétaires ne doivent donc pratiquer aucune discrimination, ni en termes de contenu, ni en termes d'accès, ni en termes d'organisation. Il y va de la bonne utilisation d'internet, bien commun, et du respect de l'intérêt général.
On voit immédiatement que la difficulté sur laquelle achoppe ce principe tient au fait qu'internet est aussi un espace marchand. Tous les acteurs privés qui occupent le marché – les FAI, les opérateurs de télécommunications, les sites commerciaux, les intermédiaires – poursuivent par définition des objectifs compatibles non avec l'intérêt général, mais avec leur seul intérêt particulier. La recherche effrénée du profit est antithétique au respect scrupuleux de la neutralité des réseaux ; l'histoire récente l'a montré.
Ainsi, les atteintes à la neutralité des réseaux peuvent être le fait de ces opérateurs, des FAI, des fournisseurs de service qui, pour des raisons purement marchandes, pratiquent des discriminations dans l'accès aux contenus pour accroître leurs profits.
Tel était par exemple le cas d'Orange, qui, en 2008, bridait délibérément le débit des réseaux 3G+ de ses abonnés, afin de ne pas subir des surcoûts liés au mauvais dimensionnement de son réseau. C'est aussi le cas des opérateurs Orange, Bouygues et SFR, déjà condamnés pour entente sur leurs prix, donc pour distorsion de concurrence en matière de téléphonie – faut-il le rappeler ? –, et qui empêchent l'utilisation de logiciels comme Skype sur les téléphones portables connectés à internet. Ainsi, alors que ces opérateurs prétendent offrir un accès internet illimité, il existe en réalité une liste limitée de services autorisés. Ces limitations sont certes stipulées dans les contrats, mais ce n'est pas satisfaisant : ce n'est pas parce que l'atteinte au principe de neutralité est contractuellement explicitée qu'elle est acceptable.
On le voit, les grandes entreprises sont poussées par un intérêt marchand à brider, à filtrer, à discriminer. C'est un cas typique de situation où l'intervention du législateur est nécessaire, et même indispensable.
À ce sujet, la totale privatisation du secteur des télécommunications n'est pas exempte de toute responsabilité, puisque c'est la disparition de tout acteur public et d'une véritable régulation du marché par l'État qui a permis ce type de dérives.
De leur côté, les États et les autorités sont tout aussi tentés de porter atteinte à la neutralité des réseaux. Tout le monde a en tête l'exemple de l'État égyptien qui, face à la révolte légitime de son peuple, a tout simplement décidé de couper l'ensemble des accès à internet à travers le pays.
Toutefois, sur ce point, la France aurait tort de donner des leçons de respect des libertés, l'État, par l'entremise de l'actuel gouvernement et de sa majorité, s'étant déjà rendu coupable d'au moins deux atteintes caractérisées au principe de neutralité des réseaux. En effet, le dispositif HADOPI institutionnalise purement et simplement une discrimination dans l'accès aux services de télécommunication au public en ligne. Quant à la LOPPSI 2, récemment votée ici même, elle permet à l'autorité administrative d'obliger les fournisseurs d'accès à internet à bloquer l'accès à certains sites, sans contrôle du juge et sans recours possible.
Aujourd'hui, le principe de neutralité de l'internet n'est donc pas respecté. Pourtant, les débats en commission, comme la mission d'information, l'ont montré : l'inscription dans la loi du principe de neutralité des réseaux fait l'objet d'un large consensus, parmi les acteurs innovants de l'internet comme parmi les groupes.
Ce consensus est d'autant moins surprenant que le Conseil constitutionnel, juridiction suprême, a d'ores et déjà largement déblayé le terrain, si vous me permettez l'expression. Sa décision n°2009-580 DC du 10 juin 2009 sur la loi HADOPI montre bien que les restrictions d'accès aux réseaux ne peuvent être décidées que par un juge.
Face au risque de contrôle et de filtrage indu des réseaux par les autorités, le Conseil constitutionnel a ainsi proclamé que : « aux termes de l'article 11 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, “la libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l'homme : tout citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement sauf à répondre de l'abus de cette liberté dans les cas déterminés par la loi” ; […] en l'état actuel des moyens de communication et eu égard au développement généralisé des services de communication au public en ligne ainsi qu'à l'importance prise par ces services pour la participation à la vie démocratique et l'expression des idées et des opinions, ce droit implique la liberté d'accéder à ces services ». Il s'agit du considérant n° 12.