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Intervention de Roger Karoutchi

Réunion du 10 avril 2008 à 9h30
Cour des comptes et chambres régionales des comptes — Discussion d'un projet de loi

Roger Karoutchi, secrétaire d'état chargé des relations avec le Parlement :

Monsieur le président, messieurs les rapporteurs, mesdames, messieurs les députés, j'ai l'honneur de soumettre aujourd'hui à votre examen le projet de loi portant modification de dispositions relatives à la Cour des comptes et aux chambres régionales des comptes. Ce texte a donné lieu à un rapport de la commission des lois ainsi qu'à un rapport pour avis de la commission des finances ; c'est donc à ses deux rapporteurs, Éric Ciotti et Thierry Carcenac, que s'adressent mes compliments pour la qualité du travail réalisé.

Un mot préalable, si vous me le permettez, pour rappeler ce que représentent les procédures juridictionnelles de la Cour et des chambres régionales, alors que nous connaissons davantage ces juridictions à travers les observations de gestion qu'elles peuvent formuler. Ces juridictions sont aussi chargées de vérifier que les collectivités publiques exécutent leurs dépenses conformément aux règles de la comptabilité publique. Elles peuvent donc déclarer gestionnaires de fait les personnes qui s'immiscent dans le maniement ou la détention de fonds publics sans avoir qualité pour le faire, et en faisant abstraction du cadre de la comptabilité publique. En 2007, les chambres régionales ont prononcé 9 700 jugements et la Cour des comptes près de 350 arrêts.

Or, dans un arrêt Richard-Dubarry de 2004, qui concernait un élu déclaré gestionnaire de fait, la Cour européenne a rappelé qu'en vertu de l'article 6, alinéa 1, de la Convention européenne, « toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue dans un délai raisonnable », et que cette notion de délai raisonnable s'applique à toutes les phases de la procédure, y compris à celle de l'instruction. Quant à l'arrêt Martinie de 2006, qui concernait un comptable public, la Cour européenne a imposé la tenue d'un procès « équitable et public » rendu par « un tribunal impartial », devant la Cour des comptes comme devant les chambres régionales des comptes. Il était donc nécessaire de revoir ces procédures pour les rendre compatibles avec la jurisprudence de la Cour européenne afin de répondre à ses observations, l'une sur les délais d'instruction, l'autre sur le procès équitable rendu par un tribunal impartial.

En pratique, les juridictions financières s'étaient déjà mises pour partie en conformité avec ces règles. Depuis toujours, le représentant du ministère public ne participe pas au délibéré de la juridiction. En outre, le Premier président de la Cour des comptes, Philippe Séguin, avait pris une instruction dès le mois de mai 2006 qui prévoyait notamment la tenue d'une audience publique préalable à toute mise en débet des comptables, la communicabilité du rapport aux parties avant cette audience et l'exclusion du rapporteur du délibéré qui suit. Mais l'instruction précisait que ces dispositions « s'appliqueront à titre transitoire dans l'attente d'une modification du code ». Cette modification était attendue. D'ailleurs, depuis 2006, le ministère des affaires étrangères avait reçu plusieurs demandes du Conseil de l'Europe, qui suit la mise en oeuvre des décisions de la Cour européenne pour connaître les suites données à ses arrêts.

Il revenait donc au Gouvernement de vous proposer ce texte, qui va d'ailleurs un peu plus loin que les exigences strictes de la jurisprudence actuelle, très évolutive. Ce choix a été effectué délibérément pour, d'une part, prémunir l'État contre de possibles condamnations ultérieures, et, d'autre part, offrir aux justiciables des juridictions financières les meilleures garanties possibles.

L'un des points essentiels du texte est d'introduire dans les procédures des juridictions financières une stricte séparation des fonctions d'instruction, de poursuite et de jugement afin de garantir la nécessaire impartialité du tribunal. Jusqu'ici, dans les juridictions financières, un magistrat était désigné pour examiner tel ou tel compte et ainsi instruire une affaire ; puis il proposait soit de décharger le comptable, considérant que les comptes que ce dernier avait présentés n'étaient pas critiquables, soit de lui adresser un certain nombre d'injonctions de reversement. La chambre suivait ou ne suivait pas le rapporteur, en tout ou en partie. On voit bien que le même magistrat était responsable à la fois de l'instruction et des poursuites. Il était même, avant une instruction du Premier président, partie prenante au délibéré de jugement auquel il assistait. Désormais, les compétences respectives sont clairement séparées : un magistrat est désigné pour instruire l'affaire ; puis le parquet, sur la base du rapport qui lui est soumis, décide ou non de poursuivre le comptable ; enfin, le juge se prononce librement à partir du réquisitoire du parquet et du rapport du magistrat, qui ne participe plus au délibéré. Telle est la structure à partir de laquelle s'ordonne l'essentiel des articles du projet de loi.

Le principe de l'engagement des poursuites par le ministère public a conduit par ailleurs à abandonner la règle du double arrêt. Depuis deux cents ans, la Cour des comptes se prononçait, lorsque des griefs étaient formulés contre un comptable, par un arrêt provisoire enjoignant au comptable de répondre aux irrégularités relevées, puis, après examen de sa réponse, par un arrêt définitif. La même procédure était en vigueur dans les chambres régionales. Désormais, il n'y aura donc plus qu'un arrêt statuant en une fois sur les suites à donner à ce réquisitoire, par débet et amende ou par décharge.

Par ailleurs, la décharge du comptable sera désormais prononcée par ordonnance à juge unique lorsque aucun reproche n'est à formuler à son encontre. Ce qui correspond, fort heureusement, aux cas les plus fréquents.

Avec ces deux nouvelles procédures, on sécurise la procédure et on en raccourcit les délais.

Le texte offre enfin au justiciable une troisième série de garanties : celles que l'on pourrait résumer par les termes de « procès équitable et public ». Sont en effet rappelées dans le projet de loi : l'obligation de tenir une audience publique dès qu'une charge est soulevée à l'encontre d'un comptable ; l'obligation de veiller rigoureusement au caractère contradictoire des procédures, ce qui suppose à la fois que les personnes mises en cause sachent ce qui est leur est reproché et qu'elles puissent répondre par écrit ou par oral ; l'obligation, enfin, faite au représentant du ministère public, mais désormais aussi au rapporteur, de ne pas être présents au délibéré.

Voilà donc un texte qui change profondément les procédures s'appliquant tant aux comptables patents qu'aux comptables de fait.

Mais le projet de loi qui vous est présenté aujourd'hui comporte quelques autres modifications à caractère symbolique dans le domaine de la comptabilité publique, concernant les amendes prononcées à l'encontre des comptables. La faculté des juges financiers de prononcer des amendes tout comme l'effectivité de celles-ci sont fortement révisées.

D'une part, en effet, le ministre chargé des comptes ne pourra plus accorder de remise gracieuse pour les amendes prononcées à l'encontre des comptables. Cette mesure n'a pas la sévérité que l'on pourrait lui prêter de prime abord : le ministre conserve en effet son droit de remise pour les débets car il doit pouvoir prendre en compte d'éventuelles circonstances atténuantes pour accorder une remise gracieuse des débets. Rien de tel avec les amendes décidées pour retard dans la production des comptes ou pour gestion de fait. Le juge financier apprécie d'ores et déjà le comportement du comptable, sa situation patrimoniale, l'absence ou l'existence d'enrichissement personnel, le côté exceptionnel ou régulier de son comportement, etc. Une modification législative vous est même proposée sur ce point pour élargir cette possibilité d'appréciation, en ajoutant explicitement comme critère celui du « comportement du comptable ». II était choquant que le ministère du budget puisse accorder la remise d'une amende qui avait été fixée en toute connaissance de cause par le juge. Cela ne sera donc plus possible.

D'autre part, il convenait de relever le plafond des amendes que l'on peut infliger lorsque le comptable produit ses comptes en retard, plafond qui datait de 1996.

Par ailleurs, le Gouvernement a souhaité mettre le droit des juridictions financières en conformité avec leur jurisprudence et avec la simple équité : le texte supprime la possibilité, abandonnée depuis longtemps dans les faits, de condamner à l'amende les héritiers d'un comptable.

Le projet de loi n'entrera en vigueur que le 1er janvier prochain pour permettre d'adopter avant cette date les décrets d'application qui, s'agissant d'une réforme de procédure, font bloc avec le projet de loi et devraient concerner plusieurs articles du code des juridictions financières. Il s'appliquera à l'ensemble des départements français, mais aussi, grâce à l'ordonnance d'extension que prendra le Gouvernement, aux territoires français dans lesquels existent des chambres territoriales des comptes, c'est-à-dire aux chambres de Polynésie, de Nouvelle-Calédonie, de Saint-Pierre-et-Miquelon, de Saint-Martin, de Saint-Barthélémy et de Mayotte.

Monsieur le président, messieurs les rapporteurs, mesdames, messieurs les députés, qu'il s'agisse de justice pénale, bien sûr, mais aussi de justice civile ou de justice administrative, l'honneur d'un pays est de garantir à tous les justiciables l'application la plus complète des principes de transparence, d'équité, d'impartialité et de rapidité des décisions rendues. Le Gouvernement estime, avec ce texte, être parvenu à concilier à la fois la protection des finances publiques et le respect des droits de chaque comptable.

Je crois qu'un tel projet de loi peut légitimement recueillir l'assentiment de tous dans cette assemblée. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et du groupe Nouveau Centre.)

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