À vous écouter tous, j'ai deux motifs de satisfaction. En premier lieu, notre réunion montre l'importance de cette question pour la liberté d'expression et pour la démocratie – deux valeurs qui ont inspiré cette proposition de loi – car l'Internet n'est pas seulement un outil de création de richesses !
En second lieu, je constate que plus personne aujourd'hui ne met en doute la nécessité d'inscrire dans une loi le principe de neutralité du Net, ce qui constitue une avancée importante par rapport à la situation qui prévalait il y a seulement six mois. Quitte à ne pas s'accorder sur l'intensité des menaces que j'évoquais précédemment, tous ont compris que nous étions confrontés à un risque, qu'il convient d'endiguer.
Concernant la définition de la neutralité évoquée par Laure de La Raudière, je constate que celle qui figure au point 2, dans l'introduction du pré-rapport – et qui repose sur le principe de non-discrimination – est identique à celle de la proposition de loi, mais que celle qu'on trouve au point 23 du document laisse le champ ouvert à la discrimination dans la mesure où elle limite l'exigence de non-discrimination à l'accès « aux différents niveaux de qualité de service ». Cela peut conduire à un Internet à plusieurs vitesses ou de plusieurs qualités et je crains que la notion de qualité suffisante à laquelle on finit ainsi par aboutir ne se réduise à une qualité minimale. Pour autant, je ne sais si ce désaccord recouvre une vision différente de l'avenir du Net.
Il me semble cependant que c'est le cas s'agissant des services gérés, notion très floue et peu opératoire, que la mission d'information pourrait nous aider à mieux définir. Le développement de ces services, s'il était massif et invasif, risquerait de nuire à l'innovation dans les contenus et dans les services – ce que vous avez implicitement reconnu, puisque c'est au coeur du réseau que vous situez l'intérêt pour certains opérateurs de développer des applications permettant de « manager » les services. Si l'on met en place des voies d'acheminement privilégiées, les petites entreprises, notamment les start-up, et les particuliers n'auront pas forcément les capacités d'accès, faute de moyens financiers.
Se pose aussi la question de l'utilité de certains de ces services gérés. À ce sujet, je tiens à dire que la promesse de l'Internet n'est pas épuisée : nous ne défendons pas l'Internet d'hier, mais une vision, différente de la vôtre, de l'Internet de demain. De plus en plus, l'accès à la téléphonie se fait par Internet, mais cela peut donner lieu à des services gérés – relativement coûteux – ou à l'innovation mondiale qu'a par exemple constitué Skype, qui a permis à des millions de Français de réduire considérablement leur facture téléphonique. L'innovation, qui est une nécessité évidente, n'est donc ni bonne ni mauvaise en elle-même : tout dépend de son objet – à quoi elle sert, quels intérêts elle sert et ce qu'elle permet de réaliser.
Quant aux serveurs de stockage, ou CDN, ils doivent être encadrés de manière à offrir de la qualité de service sans mettre en cause l'architecture du réseau, ni la pervertir.
En réponse à Corinne Erhel, je dirai qu'il importe en effet d'approfondir la réflexion sur l'idée de qualité de service suffisante : on peut prévoir la nécessité d'une qualité de service – que nous pouvons reconnaître au travers du droit à la connexion, objet d'un des amendements que je vous proposerai tout à l'heure. Pour le reste, je suis d'accord avec ce qu'elle a dit.
Monsieur Dionis du Séjour, je vous invite à vous reporter au débat qui a lieu aux États-Unis, même si l'économie des télécommunications et d'Internet dans ce pays n'est pas la même qu'en France. Le régulateur américain a choisi, à la fin de l'an dernier, de fixer des règles différentes pour les réseaux fixes et pour les mobiles, chacun ayant son économie propre. Les opérateurs français ont semblé vouloir agir vite s'agissant des seconds, en mettant en cause la neutralité de l'Internet, alors que la Federal Communications Commission (FCC) et le gouvernement américain témoignent d'une volonté de défendre fermement ce principe.
La proposition de loi se concentre en effet sur les FAI, parce que c'est là que se pose le problème le plus urgent, mais elle porte aussi sur la totalité de l'économie de l'Internet. Le ministre de l'industrie a indiqué hier qu'il fallait que Google finance les réseaux. Or, les éditeurs, tels DailyMotion ou YouTube, le font déjà et de nombreux petits éditeurs nous disent qu'ils ont beaucoup de difficultés à mettre en place des services innovants parce que le coût d'accès est trop élevé. De fait, ils sont confrontés à une triple contrainte : respect du droit d'auteur, tarifs rédhibitoires pour l'accès au catalogue et coût de l'accès à la bande passante. Nous devons donc prendre en compte l'écosystème complet de l'économie numérique.
Quant aux sanctions, elles sont nécessaires. La question principale n'est pas celle du montant minimal de l'amende, monsieur Philippe Armand Martin, elle est bien plutôt de savoir comment avoir prise sur les grands acteurs qui réorganisent le réseau – ce à quoi le Parlement n'est d'ailleurs pas suffisamment attentif, d'où notre signal d'alerte. Je vous proposerai un amendement à l'article 7 pour améliorer le dispositif prévu.
S'agissant de l'intégration du haut débit au service universel, aucune étude d'impact spécifique n'a été réalisée, mais nous menons depuis plusieurs années des études dans différentes instances sur le développement du haut débit – j'anime, par exemple, ce travail au sein de l'Association des régions de France. Nous avons le sentiment que le déploiement du haut et du très haut débit en France n'est pas sérieusement piloté et que l'investissement national est notoirement insuffisant. Les annonces des opérateurs la semaine dernière n'ont vraiment pas suffi à nous rassurer sur ce point.
La proposition de loi est restrictive à l'égard des services gérés, non pas qu'elle les interdise, mais en ce qu'elle tend à les encadrer, ne serait-ce que parce que certains d'entre eux seront très vite dépassés par les innovations. La loi n'a pas pour objet de sanctuariser les innovations d'aujourd'hui au détriment de celles de demain. Il n'y a pas de raison d'autoriser la « priorisation » du trafic sur un simple fondement commercial, ce qui reviendrait à privatiser le réseau.
On peut, pour rendre compte de ce débat sur la neutralité d'Internet, recourir à la métaphore de la ville : dans la ville comme sur Internet existent des petits commerces et des grandes surfaces. Mais ni l'une ni l'autre ne doivent devenir une immense galerie marchande, par privatisation progressive de l'espace public. De même que le groupe socialiste, je ne suis pas hostile à la liberté du commerce et de l'industrie mais Internet doit être une ville neutre, ouverte à tous, où l'innovation peut se développer et où la démocratie a sa chance.