Je balance entre deux sentiments. D'un côté, je regrette que l'examen de cette proposition de loi ait lieu avant que la mission d'information dont je suis rapporteure ait achevé ses travaux et que la Commission européenne n'ait rendu son livre blanc sur le sujet. De l'autre, je suis heureuse que le groupe SRC nous donne une occasion complémentaire d'évoquer les enjeux cruciaux d'Internet pour notre société, pour notre démocratie et pour notre économie.
Cette proposition de loi comporte des éléments très positifs. Internet constitue en effet un bien collectif, d'ailleurs reconnu comme tel par le Conseil constitutionnel, et qu'il est essentiel de préserver. On dénombre d'ores et déjà 35 millions de personnes reliées à Internet par le « fixe » et on sait que demain, tous les téléphones mobiles, au nombre déjà de 75 millions, permettront de s'y connecter.
C'est le groupe UMP qui, lors de l'examen de la proposition de loi relative à la lutte contre la fracture numérique, en décembre dernier, a demandé un rapport sur la neutralité de l'Internet. Et c'est à ma demande que notre Commission a créé une mission d'information sur le sujet, d'autant plus utile que le troisième paquet « Télécom » sera transposé par voie d'ordonnance.
S'il faut inscrire dans la loi le principe de neutralité et si sa définition comme exigence de non-discrimination fait consensus, nous préférerions à l'article 1er la rédaction figurant dans le pré-rapport de la mission d'information. Je fais par ailleurs observer qu'un amendement adopté au Sénat à l'initiative du sénateur Retailleau sur le projet de loi de ratification par ordonnance du paquet « Télécom » a précisément pour objet d'inscrire dans la loi ce principe de non-discrimination.
Nous sommes d'accord sur la nécessité d'encadrer le filtrage. Sauf décision contraire d'un juge, l'accès à Internet doit être total et un filtrage ne doit être possible qu'à l'initiative de l'internaute, par des dispositifs de type contrôle parental.
Au-delà de ces points, cette proposition de loi pose problème. Si elle protège l'Internet d'aujourd'hui, c'est-à-dire d'hier tant les évolutions sont rapides, elle entrave le développement de celui de demain, notamment des services « managés » comme il en existe déjà avec la téléphonie ou la télévision sur IP (Internet Protocol). Elle est trop centrée sur les fournisseurs d'accès (FAI). Aujourd'hui, Internet dépend aussi d'une multitude d'intermédiaires techniques – opérateurs de transit, CDN (content delivery network)… – qui vendent notamment de la qualité de service et précisément la différenciation que vous semblez souhaiter interdire. Imposer ces obligations nouvelles aux seuls FAI les défavoriserait.
Votre proposition n'est pas non plus assez protectrice. D'une part, elle ne couvre pas tous les acteurs ; d'autre part, elle n'impose pas de qualité de service suffisante, alors qu'il s'agit d'un point crucial. Il faut, tout en garantissant un Internet public de qualité, permettre sur le reste de la bande passante disponible les innovations relatives aux services « managés ». La qualité de service peut certes varier selon les usages : elle doit être définie par l'ARCEP et actualisée pour permettre le développement harmonieux des deux types d'innovations, pour l'Internet public mais aussi pour les services managés. Il est vrai que, jusqu'à présent, elles ont surtout eu lieu sur l'Internet public mais pourquoi exclure qu'il y en ait d'aussi fondamentales venant de ces services ? Je pense en particulier aux réseaux mobiles où il faudra résoudre la quadrature du cercle en répondant à l'augmentation des trafics avec des ressources, par nature, beaucoup plus restreintes que pour le fixe.
Le groupe UMP est très attaché à la neutralité de l'Internet. Sa vision en est néanmoins quelque peu différente de la vôtre. La mission d'information a encore beaucoup d'interrogations. C'est d'ailleurs pourquoi elle a adressé son pré-rapport aux quatre-vingts acteurs qu'elle a consultés – PME, FAI de toutes tailles, CDN… Nous souhaitons en effet recueillir leur avis sur le dispositif législatif qui leur paraît le mieux à même de protéger cette neutralité.