Comme le débat a pris une tournure générale avec les argumentaires présentés par Marc Le Fur et par Gaëtan Gorce, je serai obligé d'apporter, moi aussi, un certain nombre d'arguments de cette nature, qui dépassent les amendements déposés.
Lorsque la mission d'information a remis ses conclusions, elle a proposé qu'on ne lève pas l'anonymat du don de gamètes. Elle l'a fait après un certain nombre de moments de doute, de réflexion et je dirai même aussi de changements d'opinion. J'ai moi-même exploré la voie d'une levée partielle de l'anonymat, c'est-à-dire non identifiante, pour revenir ensuite à la position présente, qui me paraît être la plus sage et la plus conforme à l'intérêt général.
J'entends souvent dire que l'on va dans le sens de l'intérêt des parents. On peut comprendre qu'ils n'aient pas envie qu'un intrus vienne perturber l'ensemble de la famille. L'intérêt de l'enfant est au contraire de connaître ses origines biologiques.
Mais je voudrais évoquer aussi les arguments des donneurs. Quand on sait qu'aujourd'hui, dans les SECOS, un donneur de sperme peut engendrer jusqu'à dix ou douze individus, on imagine combien de personnes pourraient venir frapper à sa porte ! Nul doute que ces donneurs, qui ont donné non pas par narcissisme mais de manière purement altruiste, se trouveraient en difficulté devant cet afflux de demandes.
Je voudrais aussi poser le problème de l'enfant devenu adulte qui serait à la recherche de ses origines, ou plus exactement, comme l'a dit Marc Le Fur, de son histoire. Comprenez que, la loi n'étant pas rétroactive, la réponse que recevrait une personne relèverait en quelque sorte de la loterie : positive ou négative.
Imaginons que trois enfants soient nés dans une famille stérile : on pourrait imaginer que l'un connaisse son « père biologique » – suivant les mots de Marc Le Fur, que je réfute – et deux autres qui ne sauraient rien.
On nous demande d'entendre ce que disent les enfants devenus adultes. Certes, nous les entendons, notamment ceux regroupés par l'association d'Arthur, excusez-moi de l'appeler par son prénom, mais c'est comme cela qu'il passe dans les médias. Cependant cette association regroupe une cinquantaine de personnes, alors que, je le rappelle, dans notre pays, 50 000 personnes sont issues d'un don de gamètes.
Nous avons d'ailleurs également entendu en commission des associations opposées à la levée de l'anonymat.
J'entends aussi l'argument de la recherche de l'histoire. La quête des enfants nés d'un don de gamètes est souvent rapprochée de celle des enfants nés sous X. Nous sommes, je pense, dans une situation tout à fait différente : l'enfant né sous X a été abandonné par ses parents, il a été – pardon de le dire ainsi mais c'est le plus souvent le cas – abandonné par sa mère.
Les psychiatres nous expliquent – ce que même ceux qui ne sont pas psychiatres peuvent facilement comprendre – que cet enfant recherche son histoire et ressent une culpabilité venue de cet abandon. Était-ce un problème culturel, comme c'est le plus souvent le cas aujourd'hui ? Était-ce un problème financier ? Une violence était-elle à l'origine de la conception de l'enfant ? En l'occurrence il y a là une recherche de ce qui s'est passé dans l'histoire, profondément humaine, de la rencontre d'un homme et d'une femme, qui ont procréé puis abandonné un enfant. Ce n'est pas du tout la même chose que l'histoire d'un homme qui donne des gamètes de façon purement altruiste, sans penser que l'enfant qui naîtra grâce à lui viendra le rechercher.
Sans vouloir nier la présence de biologie dans l'humain, je rappelle que nous sommes une construction complexe. Le don de gamète tel qu'on le conçoit aujourd'hui, anonyme et gratuit, naît de cette idée – vraie ou fausse, mais alors c'est tout le problème des dons de gamètes qui se pose – que les gamètes ne prédestinent pas l'enfant.
Pensons au catalogue danois. Un jour, nous aurons la possibilité de choisir le spermatozoïde, puisqu'on ne choisit pas une personne. On connaîtra la taille et le poids du donneur, alors que l'on sait bien que c'est surtout l'alimentation dans les trois premières années qui détermine la taille et le poids. On saura la couleur de ses yeux, de ses cheveux. Et encore, ne s'agit-il là que d'éléments phénotypiques simples.
En revanche les colonnes suivantes sont inquiétantes. D'ailleurs, certains éléments qui figuraient initialement parmi les données « non identifiantes » sont inquiétants. A-t-on besoin de savoir combien le donneur gagne, dans quelle université il a été formé, quelle religion il pratique, quelle est sa nationalité ?
Je le dis avec brutalité parce que je le ressens avec violence : voulez-vous entendre un jour quelqu'un refuser le sperme d'un juif ?