Cet amendement, identique au précédent, vise à rétablir les dispositions que le Gouvernement avait initialement proposées. Je voudrais, moi aussi, évoquer l'ensemble des différents articles concernés, pour ne pas avoir à y revenir par étapes – sauf naturellement si la suite du débat appelle des réactions ou des réponses.
Je viens d'écouter attentivement mon collègue Marc Le Fur et j'arrive à la même conclusion que lui mais, d'une certaine manière et un peu paradoxalement – pour reprendre notre débat d'hier –, par un cheminement différent.
En effet, je pars non pas de la nécessité de reconnaître un lien biologique, qui ne me paraît pas l'élément essentiel, mais de la nécessité d'affirmer le droit de l'enfant à connaître ses origines, déjà reconnu en droit international et, pour une part, par la jurisprudence.
À partir du moment où ce droit a été fixé, il faut examiner s'il existe des intérêts supérieurs qui peuvent conduire à le remettre en question. Or, lorsque j'examine un à un ceux qui sont évoqués, je ne parviens pas à me convaincre qu'il puisse y en avoir qui empêchent l'enfant de remonter à ses origines, pour autant, naturellement – et c'était l'équilibre qui avait été trouvé dans le texte du Gouvernement –, que le donneur ait lui-même donné son consentement, car nous sommes bien ici dans un rapport entre des personnes, de la volonté desquelles on ne peut pas préjuger.
On m'opposera qu'il pourra y avoir des situations injustes. Imaginons, par exemple, que, dans une même famille, plusieurs enfants soient nés de donneurs différents par l'aide médicale à la procréation. On pourra se trouver confronté à une réponse différente selon les donneurs : favorable dans un cas, défavorable dans un autre. Or l'injustice, l'inégalité existent déjà aujourd'hui entre les enfants nés d'un tiers donneur, qui ne connaissent pas leurs origines, et les enfants nés « normalement », dans un couple qui a pu directement procréer. Nous ne faisons donc que déplacer l'injustice et, d'une certaine façon, la réduire plutôt que de la consacrer.
Pourquoi le droit de l'enfant est-il supérieur à celui qui peut être évoqué par le donneur ? En réalité, il ne l'est pas, car j'ai indiqué que le donneur devait donner son consentement. En revanche, il existe un lien entre l'un et l'autre, qu'il est normal de vouloir connaître.
Si l'on se place du point de vue de l'enfant, priver celui-ci de son droit – que je ne mets pas, évidemment, à égalité avec celui du donneur –, revient à le défavoriser au regard de la situation qui est normalement la sienne.
On oppose aussi l'argument que donner la possibilité de connaître son origine pourrait mettre en danger la famille et créer une situation dans laquelle les parents se trouveraient déstabilisés. Cet argument me pose un réel problème. À partir du moment où les parents ont décidé – pour des raisons qui tiennent à leur volonté d'avoir un enfant, de constituer une famille élargie à un enfant – de recourir à l'aide médicale à la procréation avec un tiers donneur, ils ont accepté ce paramètre, dans la mesure où c'était la condition pour avoir un enfant.
Chacun s'accorde à considérer que cette intervention extérieure doit être révélée à l'enfant le plus tôt possible, de manière à ce qu'il puisse construire sa personnalité en disposant de tous les éléments d'information possibles. Dès lors que l'on a admis que l'enfant devait être informé des conditions de sa conception, il paraît difficile de lui refuser, à sa majorité, une réponse à la question qu'il va poser ensuite et qui est la conséquence normale de cette première information : de qui est-il l'enfant ? Peut-être ne la posera-t-il pas ; peut-être la posera-t-il.
Ce n'est pas la société qui doit pouvoir décider s'il a le droit ou non d'avoir la réponse. Ce qui est en cause, c'est le rapport – favorable ou défavorable – qu'il peut établir avec le donneur. J'étais donc, pour ma part, assez satisfait de la position d'équilibre qui avait été trouvée.
D'autant que, à supposer même que cela puisse créer des difficultés avec sa famille, l'enfant a été conçu, non dans l'intérêt des parents, mais dans le cadre d'un projet parental dont il est le centre : c'est autour de lui que se noue l'ensemble des rapports affectifs et juridiques. C'est donc bien en fonction de son intérêt, plus que de celui de la famille qui l'a accueilli, que le problème doit être résolu.
Ce qui me frappe à chaque fois que l'on aborde cette question de l'anonymat, c'est que l'on oppose des arguments qui n'ont rien à voir avec le sujet central du problème, qui est bien l'enfant conçu, l'enfant né. C'est bien lui qui est l'objectif que poursuivent les parents ; c'est bien lui qui, une fois qu'il est né, se trouve au centre des préoccupations qui devraient être celles de la société. Or c'est contre lui que l'on formule à chaque fois une réponse, que l'on prétende protéger la famille, l'anonymat du donneur ou je ne sais quel autre intérêt qui pourrait correspondre à une conception restreinte de la famille.
Je ne peux pas m'empêcher, comme je l'ai dit ce matin, d'y voir aussi une sorte de malaise par rapport à une évolution de la famille liée à l'introduction d'un tiers donneur dans des rapports qui, à des fins de reproduction, sont normalement sexuels et censés s'accomplir à l'intérieur de la famille, conformément à une vision datée, probablement dépassée de ce qu'est la famille aujourd'hui.
On ajoute un dernier argument en invoquant le problème de la filiation. Mais, très sincèrement, celui-ci ne se pose pas. Le droit répond très précisément, en la matière, que l'enfant né est l'enfant de ses parents, de ceux qui l'ont reconnu, et que la filiation ne peut être en aucun cas contestée par la recherche et la découverte des origines biologiques. Le droit a donc réglé cette question et il n'y a pas lieu pour nous de considérer qu'elle peut être rouverte.
D'ailleurs, à chaque fois que des enfants nés de tiers donneur s'expriment sur le sujet – nous en avons entendu un certain nombre devant la commission spéciale –, ils expliquent bien qu'ils ne sont pas à la recherche d'une famille ou de parents de substitution : ils cherchent simplement une information qui ne remet en rien en question leur attachement familial ou la reconnaissance de ce que leurs parents sont les personnes qui les ont élevés. Ils souhaitent simplement compléter leur histoire, la connaître dans sa totalité. Cela me paraît un droit élémentaire sur lequel nous devrions assez facilement pouvoir tomber d'accord.
Je conçois qu'une difficulté ultime susceptible de nous retenir serait le fait de décourager les donneurs. Cet argument me paraît aujourd'hui peu intéressant, car encore peu attesté. De toute manière, il ne me paraît ni être au centre du sujet ni surtout aller à l'encontre de ce que le donneur aurait pu souhaiter. Dès lors que l'on retient la formule, proposée par le Conseil d'État et reprise par le Gouvernement, qui pose comme seule condition la protection de l'anonymat du donneur désireux de le conserver, je ne vois pas ce qui s'oppose à l'introduction de cette disposition et à la conclusion de ce débat.
Sans vouloir, évidemment, établir de distinctions trop fortes entre les uns et les autres ici, on voit bien que les motivations peuvent être différentes, mais il faut essayer de lever quelques malentendus.
Certains ont l'air de penser, et cela a été dit par M. Le Fur tout à l'heure, qu'il n'existerait qu'une dimension sociale ou culturelle de la famille. Je ne crois pas avoir rien entendu de tel, mais enfin admettons cette simplification. D'autres peuvent penser – cela, je crois l'avoir entendu parfois, mais je ferai comme si ce n'était pas le cas – que le lien doit être uniquement biologique.
Je crois que, dans les deux cas, nous sommes à côté de la réalité. En vérité, nous sommes constitués à la fois par, notre histoire biologique et par notre histoire affective et familiale, sans oublier notre histoire sociale. Cela nous conduit naturellement à ne pas pouvoir considérer le don de gamètes comme un acte simple et comparable à tous les autres. Il présente, en effet, une différence, car il y a dans le don de gamètes la volonté de contribuer à donner la vie.