Les travaux de nos commissions ont en effet été de grande qualité. Nous avons écouté les courants religieux et philosophiques : il est nécessaire pour un État laïque d'agir ainsi, mais il ne saurait pour autant être question de laisser telle ou telle religion arbitrer nos décisions.
Je me félicite également de la parole apportée par nos concitoyens lors des états généraux de bioéthique mais, là encore, s'il est important d'écouter et d'entendre, au nom de la démocratie participative, c'est à nous qu'il revient d'assumer nos responsabilités et de trancher le débat. Débat difficile, certes, tant il est impossible de compiler des opinions extrêmement différentes, voire antagonistes, mais nous avons le devoir de trancher, et c'est l'occasion qui nous est offerte pendant ces trois ou quatre jours de discussion du projet.
Oui, nous devons établir un cadre, d'autant que la loi actuelle ne prévoit plus la révision systématique des lois de bioéthique. Ce qui ne nous interdira pas de revenir devant le Parlement si une innovation scientifique nous y oblige. (« Tout à fait ! » sur plusieurs bancs.)
Ce cadre est important, mais ce ne doit pas être rien ou presque rien, madame la secrétaire d'État : bon nombre d'entre nous se sont inquiétés de voir le peu d'avancées que nous propose le texte. Deux principes intangibles guident nos travaux : le respect de la dignité de la personne humaine et l'interdiction de la marchandisation. C'est bien évidemment la colonne vertébrale, le fil rouge, et ce qui doit être l'esprit de la loi.
De nombreuses questions reviendront dans le débat. Je voudrais en aborder très rapidement quelques-unes avant d'évoquer le sujet qui me semble être le centre de la loi : notre relation à la recherche.
Notre groupe politique a déposé de nombreux amendements relatifs à la procréation médicale assistée. Nous avons fait des propositions fortes, que nous défendrons avec détermination : en tout état de cause, il me semblerait insensé, inacceptable, d'en rester à un texte actuel qui n'autorise même pas une femme célibataire à accéder à une PMA, y compris pour des raisons médicales d'infertilité !
Je n'évoquerai pas la gestation pour autrui : c'est un sujet lourd dont nous aurons l'occasion de discuter. J'ai une position très claire sur la question, mais je l'exprimerai au moment où ce débat reviendra dans l'hémicycle – il le mérite.
Sur l'anonymat du don de gamètes, je suis les conclusions de la commission spéciale : il me paraît beaucoup plus important de mettre en avant le projet familial, le projet du couple, la qualité des relations entre les enfants et le couple plutôt que les données biologiques et génétiques.
Cela dit, nous devons prendre en compte la désespérance exprimée par certains adolescents ou jeunes adultes, et en analyser les raisons : elle survient souvent lorsque le jeune apprend brutalement les conditions de son existence. Il me paraît nécessaire de mieux accompagner les couples ayant recours à ces techniques, avant même le don de gamètes et en tout cas après : sans vouloir généraliser, c'est peut-être, chez certains parents, parce que la décision n'est pas assumée que se crée une situation conflictuelle à un moment donné de la vie de l'enfant. En tout état de cause, une décision de ce genre doit être largement accompagnée.
Un amendement a été déposé, et c'est l'honneur de notre assemblée, non seulement par notre groupe politique et par le président de la commission, mais également par des membres de la majorité présidentielle, Mme Aurillac en particulier, et qui touche au transfert d'embryons post mortem. Sujet difficile, car on peut se poser la question de savoir si l'enfant à naître ne sera pas un enfant « thérapeutique » destiné à atténuer deuil que vit la mère.
Michèle Delaunay évoquait hier le cas d'une femme qui, arrivant à l'âge de la ménopause, avait perdu son époux alors qu'un embryon pouvait lui être implanté. Il faut savoir être à l'écoute de ce type de situation ; plus simplement, au moment où nous faisons référence à la famille et à la fidélité, à l'histoire d'un couple, il faut savoir accepter qu'une femme veuille être fidèle à l'histoire qu'elle a construite avec celui avec qui elle a voulu faire sa vie et avoir un enfant. On imagine qu'il soit difficile pour ces femmes d'accepter un transfert de leur embryon à un couple qu'elles ne connaissent pas alors même qu'on leur interdit toute implantation… Je me réjouis donc que cet amendement ait été accepté par la commission spéciale, et j'espère qu'il sera validé par le Gouvernement.
Nous avons également discuté du dépistage de la trisomie ; je crains que nous ne soyons tous, collectivement, passés à côté d'un débat. Auparavant, le dépistage se faisait par amniocentèse : cet examen comporte des risques, en particulier celui d'une interruption de grossesse, et sa prescription était du coup assortie d'indications extrêmement précises. Aujourd'hui, grâce aux progrès de la médecine, l'échographie permet de diagnostiquer avec une forte présomption le risque d'avoir un enfant trisomique, et les résultats sont complétés par un examen biologique médical très simple, qui, sans garantir à 100 % l'existence ou non d'une trisomie, permet d'en établir une très forte probabilité. On a donc proposé ces examens à quasiment toutes les femmes, et cela a donné le résultat que l'on sait : un très grand nombre d'interruptions médicales de grossesse. Nous sommes vraiment passés à côté d'un débat ; ce doit être une leçon, une expérience, qui doit nous faire revenir souvent dans cet hémicycle pour discuter de sujets aussi fondamentaux que celui-ci.
J'en viens à ce qui me semble être le coeur de la loi : la relation que nous voulons avoir avec la recherche.
En 2004, il était interdit de pratiquer la recherche sur les cellules souches embryonnaires ni sur l'embryon. Un moratoire de cinq ans avait été décidé, avec possibilité de dérogation dès lors que ces recherches étaient seules, à l'exclusion de tout autre protocole, susceptibles d'amener à des progrès majeurs en matière de recherche fondamentale ou en matière thérapeutique, et dès lors évidemment que l'embryon ne donnait plus lieu à un projet d'implantation et que la recherche avait l'accord de la famille.
Ce fut rendu possible, il faut le souligner, par la qualité des travaux de l'Agence de la biomédecine.
Il est vrai que le sujet est très délicat. Plusieurs chercheurs que nous avons auditionnés nous ont d'ailleurs dit que la distinction n'était pas évidente, quant aux résultats, entre l'interdiction avec dérogations et l'autorisation encadrée. Cependant, la très grande majorité nous a également signalé que, si la loi ne comportait pas de nouvelles propositions en la matière, ce serait un signe négatif pour la recherche, qui pourrait donner lieu au départ d'un certain nombre de chercheurs vers d'autres pays.