Mais il n'existe pas beaucoup de Sisyphe heureux !
Le rendez-vous législatif que devait constituer ce projet de loi me semble à demi manqué. Que pouvons-nous, en effet, attendre d'un texte qui ne propose pas d'avancée véritable en matière de recherche scientifique et qui maintiendrait une interdiction en matière de recherche sur des cellules souches ?
La révision, en 2004, des lois bioéthiques de 1994 avait ouvert la possibilité de dérogations à l'interdiction de recherches à partir d'embryons à la condition de progrès thérapeutiques majeurs pour une période de cinq ans, période qui vient d'expirer le 6 février dernier. Durant ces cinq années – de 2006, année de parution des décrets d'application à aujourd'hui –, pas moins de protocoles de recherche ont été autorisés par l'Agence de la biomédecine.
L'Agence de la biomédecine a, durant ces cinq dernières années, effectué un travail tout à fait remarquable sur l'encadrement des recherches. Force est de constater aujourd'hui qu'il n'est plus nécessaire de conserver le principe d'interdiction des recherches sur l'embryon avec dérogation. Nous devrions autoriser les recherches sur les cellules souches embryonnaires issues d'embryons surnuméraires : ces recherches sont porteuses de grands espoirs dans le domaine médical – et pas seulement thérapeutique. On sait, grâce à l'éclairage scientifique des chercheurs, que ces recherches sur l'embryon sont aussi indispensables que celles menées sur les cellules souches adultes.
Ces cellules embryonnaires bénéficient d'avantages importants dans le cadre de la médecine régénératrice. Pour commencer, elles sont pluripotentes, autrement dit elles ont la capacité d'engendrer n'importe quelle cellule de l'organisme. En outre, leur capacité d'autorenouvellement est illimitée. En comparaison, les cellules souches adultes, on l'a rappelé en commission, ont un potentiel de multiplication beaucoup plus faible et des facultés de transformation plus limitées. On imagine sans peine le bénéfice que la médecine régénératrice pourrait tirer de recherches sur les cellules souches embryonnaires dans le but de les utiliser afin de remplacer tissus ou organes malades.
C'est donc à mes yeux une nécessité première que d'encourager la recherche ; nous ne pouvons plus nous satisfaire d'une clause de révision quinquennale. J'ajoute, et je tiens cet exemple pour édifiant quand on sait le poids de la religion dans la société américaine, que la première décision, symbolique, de Barack Obama, une fois élu, a été de signer un décret autorisant le financement public sur les cellules souches embryonnaires.
Je déplore aussi dans ce projet de loi une certaine frilosité en ce qui concerne l'AMP, comme cela a déjà été indiqué par nombre de mes collègues de tous bords.
J'aurais souhaité, pour ma part, que l'on puisse aborder ce sujet de manière plus directe, et pas sous le seul angle de l'infertilité des couples hétérosexuels, autrement dit que l'on puisse parler de la question préoccupante des femmes seules et des couples de femmes. Cette question avait été évoquée lors de la dernière élection présidentielle : François Bayrou avait reconnu qu'en la matière on était en pleine hypocrisie. Il avait même établi un parallèle, visiblement toujours d'actualité si l'on en croit les propos de certains, avec la question de l'avortement telle qu'elle était abordée avant la loi Veil : on ferme les yeux, on laisse les femmes partir à l'étranger – dans ce cas précis pour se faire inséminer – et on préfère ne pas légiférer.
Pour ma part, je reprendrai les propos de la sociologue Irène Théry qui pointe cette formidable ambiguïté de notre société : l'engendrement avec tiers donneur est possible mais nous refusons de l'assumer pleinement. On peut, dit-elle, engendrer un enfant ensemble alors que l'un procrée et l'autre pas. Et elle ajoute même : « Le jour où on instituera qu'il existe une troisième façon de devenir parents, ne reposant ni sur l'engendrement procréatif, ni sur l'adoption, alors la France aura fait sa petite révolution des esprits et regardera de façon un peu plus tranquille du côté du XXIe siècle. »
Regarder notre siècle plus sereinement, en toute lucidité, en tenant compte de l'évolution des moeurs, des progrès scientifiques et des besoins médicaux et sans jamais renier nos idéaux humanistes, c'est ce à quoi je vous enjoins tous. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)