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Intervention de Christine Albanel

Réunion du 25 novembre 2008 à 15h00
Communication audiovisuelle et nouveau service public de la télévision nomination des présidents des sociétés de l'audiovisuel public — Discussion après déclaration d'urgence d'un projet de loi et d'un projet de loi organique

Christine Albanel, ministre de la culture et de la communication :

Monsieur le président, monsieur le président de la commission spéciale, mesdames, messieurs les députés, les textes de loi que j'ai l'honneur de vous présenter aujourd'hui portent un grand projet de société, un grand projet culturel. Ils donnent des moyens à la télévision française, média éminemment populaire, d'aborder une nouvelle page de son histoire.

Cette histoire s'est considérablement accélérée, cette dernière décennie, avec l'arrivée de la TNT qui a triplé le nombre de chaînes accessibles gratuitement ; avec le développement des services à la demande et avec, enfin, l'arrivée dans le quotidien des Français de nouveaux écrans – l'ordinateur, le téléphone mobile – qui bouleversent les usages.

Les projets de loi défendus par le Gouvernement visent à donner à la télévision publique, à la télévision de tous les Français, une singularité marquée, une identité plus forte encore au sein de ce nouveau paysage audiovisuel. Ils visent à amplifier son ambition culturelle, son exigence, ses missions particulières qui justifient son mode de financement par les téléspectateurs eux-mêmes.

Quelles sont ses missions ? Rassembler, informer, éveiller la citoyenneté française et européenne, accueillir le débat, l'organiser, intéresser sans ennuyer, distraire, contribuer à la vitalité et à la diversité de notre cinéma et de notre création audiovisuelle, donner accès à la culture, aux concerts, aux pièces de théâtre, aux opéras.

Le service public de l'audiovisuel doit pouvoir prendre des risques et prendre aussi le temps, ce temps qui manque souvent aux programmateurs pour installer les émissions nouvelles et ambitieuses, pour les améliorer et les perfectionner au fil des semaines, sans que le verdict des régies publicitaires ne commande leur suppression ; le temps nécessaire à la pédagogie, à l'explication de l'actualité dans sa complexité, tout simplement le temps propre au déploiement de la culture. Bref, la télévision publique doit offrir des programmes différents de ceux proposés par les chaînes privées, tout en visant l'audience la plus large.

Le rôle de l'État, c'est de définir ces missions de service public. Elles sont inscrites dans ce projet de loi et déclinées en détail dans le nouveau cahier des charges que nous avons élaboré avec les dirigeants de France Télévisions.

Le rôle de l'État, c'est aussi de faire en sorte que le groupe public ait la possibilité de porter ces missions. On ne peut pas demander à la télévision publique de proposer des programmes qui rassemblent quand la publicité oblige à viser des cibles, des segments de population. On ne peut pas lui demander de prendre des risques quand l'audimat impose ses règles. On ne peut pas lui demander d'offrir des programmes exigeants à des heures accessibles quand ces plages horaires les plus rentables sont supposées précisément accueillir des tunnels de publicité, lesquels relèguent, bien sûr, les émissions de seconde partie de soirée à l'heure où les téléspectateurs bâillent déjà.

Ce projet de loi met fin à cette schizophrénie en supprimant la publicité sur les chaînes publiques, d'abord partiellement, puis totalement à la fin 2011.

Depuis que le Président de la République a annoncé, en janvier, sa volonté d'affranchir la télévision publique de la logique commerciale, un vaste débat s'est engagé ici même, au sein de votre Assemblée. Je veux d'ailleurs rendre hommage à la qualité des travaux de la Commission pour la nouvelle télévision publique présidée par Jean-François Copé, à laquelle certains d'entre vous ont participé activement. En effet, ils ont permis de proposer des orientations novatrices. Le Gouvernement s'est appuyé sur la quasi-intégralité de vos conclusions pour préparer ce projet de loi. Le débat s'est également engagé dans les médias et c'est toute la société qui s'est emparée du sujet avec passion, réagissant sur les sites internet dédiés, sur les forums en ligne.

Mais nous savons tous, en fait, que ce débat est ancien, et qu'il ne date pas de janvier. Sans remonter très loin, rappelons-nous, à la fin des années 1980, le vaste mouvement qui avait uni intellectuels, artistes et parlementaires pour dénoncer la pression morale et commerciale que la publicité faisait peser sur les écrans publics. Je citerai, à ce titre, cette lettre ouverte que des intellectuels aussi éminents que Pierre Bourdieu ou Jacques Derrida, notamment, signèrent dans un grand quotidien, demandant à ce que « la télévision publique, bien public au service du public, qui n'a pas d'objectif lucratif, regagne sa liberté avec des moyens d'existence à la mesure du rôle qu'elle doit jouer dans notre société, rôle dont chacun d'entre nous doit se sentir responsable ». Ce courrier demandait donc au service public de renoncer à ses ressources publicitaires, ces ressources devant « retourner sur le marché au bénéfice de l'ensemble des différents supports. En contrepartie, une contribution culture et communication serait créée, raisonnable, modulée, équilibrée, prélevée sur l'ensemble des investissements publicitaires. » Je note qu'on ne parlait pas, à cette époque, de « cadeaux » au privé, mais bien d'une redistribution vertueuse, au bénéfice de tous et d'abord des créateurs. C'est aussi ce que nous croyons.

Rappelons-nous encore, il n'y a pas si longtemps, les débats également vifs qui avaient entouré l'apparition sur les écrans publics de certains programmes présentés par des animateurs vedettes qui les produisaient à prix d'or, des programmes qui répondaient clairement à des impératifs commerciaux et non à ce qu'on peut attendre d'un service public. À l'époque, de nombreuses voix s'étaient élevées pour s'inquiéter de cette dérive qui remettait en cause l'avenir même de la télévision publique. Comment, en effet, justifier la redevance auprès des Français si les chaînes qu'elle finance ne montrent pas une claire et nette différence avec les chaînes privées ?

Cette époque est aujourd'hui révolue. Or, avec la nouvelle concurrence, notamment celle des chaînes numériques, la tentation pourrait être grande, à un moment donné, de faire appel aux vieilles recettes supposées garantir à l'annonceur que la ménagère de moins de cinquante ans sera fidèle au poste.

Les dirigeants de France Télévisions ont conduit un vrai virage éditorial et, avec ce projet de loi, le Gouvernement entend justement les encourager à aller encore plus loin.

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