Je ne faisais qu'exprimer un espoir, mon cher collègue !
Dans ce contexte, nous avons interrogé l'ensemble des associations qui s'occupent de la question des greffes. Aucune d'entre elles n'est pour le changement de régime. Pourquoi ? Parce que l'idée générale est que, en France, on peut, au moment de la mort, se demander à qui appartient le corps. On peut penser qu'il appartient à la société, dans un esprit de générosité qui s'inscrit dans la conception française des valeurs républicaines, en particulier de la fraternité : ce corps peut servir à sauver des vies.
Est-il utile d'avoir un registre positif, puisque, a priori, nous pensons que l'immense majorité des Français adhèrent à cette position ? Si certains, pour des raisons qui leur sont personnelles, ne veulent pas adhérer à cette idée, ils se font inscrire sur un registre des refus.
Ce régime fonctionne aujourd'hui et ce n'est pas parce qu'on le changerait que l'on aurait une augmentation des dons. Le panel citoyen a pris cette décision, mais il l'a expliquée en précisant que les campagnes d'information laissent entendre qu'elles incitent à donner, alors qu'elles devraient dire explicitement : « Vous êtes donneur. Si vous ne voulez pas participer à cette chaîne de solidarité entre ceux qui s'en vont et ceux qui restent, cette chaîne de transmission légitime de la vie, alors il faut que vous le signaliez. »
Je crois que cela correspond plus à nos valeurs. En même temps, c'est plus efficace. Certains pays ont créé des registres positifs du don ; ils n'ont pas de meilleurs résultats que nous. Les résultats dépendent, comme l'ont dit tout à l'heure M. Touraine et d'autres intervenants, de la capacité des équipes et des moyens que l'on met en oeuvre pour atteindre l'objectif que nous nous sommes fixé.
Enfin, rien ne serait pire à mes yeux que d'avoir un registre des donneurs et un registre des refus, et de créer ainsi un no man's land composé de ceux qui ne seraient ni dans l'un ni dans l'autre. Imaginez-vous face à une famille à laquelle on demanderait si le défunt était opposé au don. On lui dirait que l'on a constaté qu'il ne s'était déclaré ni pour ni contre. Ce serait donc vraiment à la famille de dire ce qu'elle en pense. On la mettrait ainsi dans une situation extrêmement difficile où c'est sur elle que reposerait la responsabilité de décider.
Il me semble donc que l'on doit garder le régime du consentement présumé. Il faut bien sûr – et Dieu sait s'il y a des amendements redondants sur ce sujet ! – augmenter notre capacité à informer et à inciter nos concitoyens à s'engager dans cette voie, mais il ne me semble pas que votre proposition soit ce qu'il y a de plus efficace ni, si je puis me le permettre, monsieur le député, de plus conforme à l'esprit républicain, qui, j'en suis sûr, nous anime tous les deux.
Un Français, c'est solidaire, c'est fraternel ; et la fraternité consiste aussi, au moment où soi-même l'on n'est plus, à transmettre son corps pour donner la vie à d'autres. Cela fait partie de nos valeurs.
Quant aux familles, on pourrait, bien sûr, ne pas leur demander leur avis, en considérant que la personne décédée avait donné son accord. Mais imaginez la scène dans son contexte : si la famille s'oppose au don, même si la personne ne figure pas sur le registre des refus, pensez-vous que l'on puisse légitimement passer outre et prendre – puisque la loi en dispose ainsi – le coeur, les reins, le foie de cette personne ?
La famille doit être persuadée ; sa volonté ne peut pas être violée, au moment où elle affronte un deuil très violent – car il s'agit souvent d'accidents. Il faut donc aussi respecter ceux qui vont reprendre le corps de cette personne qu'ils ont aimée, et qui vont l'accompagner jusqu'au bout, de telle sorte que le deuil puisse se faire.
Pour emporter des parties de ce corps, et même si la loi l'autorise, la société ne peut pas se passer de l'accord de cette famille en très grande détresse.