Monsieur le président, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, ce n'est évidemment pas le premier débat que nous avons sur une loi bioéthique. Au-delà même de ces lois, ce n'est pas le premier débat que nous avons sur l'éthique et sur ses rapports avec la santé et avec la vie. D'autres sujets nous ont donné l'occasion de travailler, et parfois de nous différencier. Je suis d'ailleurs de ceux qui ont regretté que l'on n'ait pas inclus dans ce débat d'autres questions de société. Je pense notamment à la fin de vie, qui faisait partie, me semble-t-il, des questions sur lesquelles nous aurions dû réfléchir. Car, à l'évidence, notre société évolue, et je suis persuadé, pour ma part, qu'il y a dans ce pays une volonté très forte de faire bouger les lignes. Nous n'avons pas eu cette réflexion sur la fin de vie parce que c'était politiquement gênant, et pour aucune autre raison.
C'est d'ailleurs l'occasion pour moi, non pas d'aborder tel ou tel point particulier – nous le ferons dans la discussion des articles –, mais de m'inscrire en faux contre une certaine conception de ce débat qui tend à le présenter comme parfaitement apolitique. Parce qu'il faudrait témoigner de notre respect pour les questions de bioéthique, parce qu'il faudrait aussi faire preuve d'une grande hauteur de vue, nous devrions nous cantonner, de manière hypocrite, à l'examen de questions techniques, scientifiques, ou de conscience.
Je trouve particulièrement choquant ce discours qui vise à opposer la conscience et la politique. Une telle opposition relève d'une conception pour le moins problématique du travail parlementaire. Lorsque nous parlons de questions sociales, nous en parlons en conscience. Lorsque nous parlons de questions internationales, nous en parlons aussi en conscience. La citoyenneté n'est-elle pas le premier lieu d'exercice de la conscience, celle du citoyen de la République ? Bref, opposer la politique et la conscience, c'est un point de vue qui me semble très limité.
Depuis le début de l'examen de ce texte, d'abord au sein de la commission spéciale, puis dans l'hémicycle, j'ai entendu des points de vue très politiques. Il y a dans cette enceinte
, et c'est bien normal, des personnes qui défendent des convictions, philosophiques ou religieuses. Elles sont parfaitement légitimes et tout à fait audibles. Et je ne vois pas en quoi il serait choquant de les mettre en avant. Tout à l'heure, lorsqu'un de nos collègues parlait de ses convictions, certains se récriaient. Mais en quoi une certaine vision de la transcendance, une certaine vision de la vie serait-elle critiquable ? Je ne partage pas ces convictions, mais je les respecte. Et je fais plus que les respecter : j'essaie de les écouter et de les entendre. Pour autant, je ne suis nullement convaincu qu'elles n'aient rien de politique.
Vous aurez compris que j'ai plus de respect pour ceux qui agissent par conviction, mais il y en a toujours d'autres, dans la partie droite de cet hémicycle, qui agissent par calcul. Et le problème que nous avons, avec ce projet de loi, ce ne sont pas les convictions, c'est le calcul de ceux qui vont, « en conscience » – j'emploie ce mot par dérision –, faire des choix contraires au progrès comme à l'intérêt de notre pays. Et ils ne vont pas le faire en vertu de motifs qui relèveraient de la conscience. Ils vont le faire par calcul politique, comme ils nous y ont d'ailleurs habitués. C'est cela qui me semble particulièrement critiquable dans ce débat.
J'entends bien que les questions nouvelles posées par la bioéthique ne relèvent pas toutes d'un esprit de système. Il est exact, par exemple, que sur tout ce qui touche aux moeurs ou à la famille, nous pouvons avoir des positions différentes. Elles sont toujours politiques, même si elles ne sont pas forcément placées sous le signe de tel ou tel rassemblement idéologique. Et elles témoignent de nos hésitations individuelles. Aucun de nous ne réfléchit à ces questions avec des certitudes et des engagements absolus. Nous cherchons tous à relativiser nos positions. Mais enfin, il y quand même des lignes de force. Par exemple, vous ne trouverez personne sur les bancs de la gauche – et ce point de vue peut même parfois être partagé sur certains bancs de la droite – pour croire que votre position quant à la recherche sur l'embryon est juste. Il y a unanimité, au sein des forces de progrès, pour considérer que l'impasse que vous faites sur cette question pose un problème majeur. Votre position résulte d'arbitrages qui répondent certes à des convictions, mais ce qui fait la décision, ce ne sont pas les convictions, ce sont les calculs.
On a dit de cette loi qu'elle était une loi de statu quo. C'est presque lui faire trop d'honneur. Dans un monde qui bouge, le statu quo, c'est le recul de la France. Quand nous refusons de faire les choix qui s'imposent en matière de recherche sur l'embryon, non seulement nous bridons l'innovation et la recherche française, mais nous passons aussi à côté de potentialités médicales, en même temps que nous affaiblissons la capacité de la France à être fortement présente dans ce domaine d'avenir où nos atouts sont pourtant considérables. Nous essayons, certes, de contourner nos propres obstacles par des réglementations. Mais comme il n'y aura pas de droit stabilisé, il y aura évidemment des réticences.
Je voudrais aborder une autre question, qui est posée sur tous les bancs : devons-nous, et dans quelle limite, accepter des législations d'exception lorsqu'il s'agit de problèmes de moeurs ? Je pense, par exemple, à la gestation pour autrui. Nous entendons souvent des arguments qui consistent à dire qu'il y a une histoire, une généralisation de cette pratique, et que la France ne peut pas s'en exclure. L'argument contraire consiste à dire que la France doit montrer au monde qu'elle est attachée à des valeurs qui ne sont pas négociables. Cette réflexion, nous l'aurons en permanence sur des questions d'avenir en matière de bioéthique, et même bien au-delà. Quelles sont les valeurs que nous devons absolument défendre, au besoin en luttant contre certaines tentations délétères qui peuvent se faire jour ailleurs sur la planète, et quelles sont celles sur lesquelles nous serons conduits à composer, parce que la réalité, sociale et scientifique, sera telle que nous ne pourrons pas résister ?
Voilà ce à quoi nous devrions réfléchir, plutôt que de nous lancer des anathèmes en présentant ce débat comme relevant d'une opposition entre ceux qui veulent défendre une identité française et ceux qui ne pensent qu'à s'aligner sur une réalité mondiale.
S'agissant des dons d'organes, par exemple, nous ne pouvons évidemment pas accepter les trafics, parce que des conceptions fondamentales touchant à la vie humaine s'y opposent, des conceptions qui me semblent d'ailleurs assez largement partagées dans le monde, et sur lesquelles nous pouvons nous appuyer pour mener des combats victorieux. A contrario, s'agissant de la gestation pour autrui, beaucoup d'entre nous – et pas forcément moi, en l'occurrence – considèrent qu'il y a des valeurs essentielles à défendre. C'est le thème du refus de la marchandisation, thème que je comprends tout à fait. Mais peut-être devrions-nous considérer que cette exception française ne pourra pas être durablement défendue. Peut-être le rapport « bénéfice-risque », en quelque sorte, devrait-il être envisagé avec plus de précaution. Sur un thème comme celui-ci, plutôt que d'adopter des oppositions frontales, nous pourrions faire en sorte que la France soit le pays qui pose des bornes éthiques à une pratique que l'on pourra difficilement interdire au plan international.
Voilà, mes chers collègues, ce que je voulais vous dire, de façon très générale, en revenant à cette question éminemment politique. Je regrette que nous ne soyons pas capables de saisir cette occasion. Mais disons-le, si demain, la majorité changeait, oui, nous aurions une loi bioéthique différente. Je ne sais pas si cette majorité aura à coeur de boucler toutes les lectures de cette loi avant 2012, mais je crois pouvoir dire que sur des sujets importants, en particulier la recherche sur l'embryon, une autre majorité fera autrement. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)