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Intervention de Philippe Tourtelier

Réunion du 9 février 2011 à 15h00
Bioéthique — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaPhilippe Tourtelier :

Quant à la recherche sur l'embryon, elle pose évidemment la question de son statut.

Pour déterminer ma position, je me suis inspiré en particulier de deux livres qui s'opposent sur cette question : le premier, Bioéthique, questions pour un discernement, rédigé par Mgr d'Ornellas et un groupe d'évêques catholiques, le second, intitulé L'embryon est-il un être vivant ?,de Francis Kaplan, professeur émérite de philosophie à l'université de Tours. C'est effectivement la réponse à cette question qui détermine ensuite notre position.

On parle souvent de l'embryon comme d'une « personne potentielle » – je ne reviens pas sur la notion complexe de personne telle que l'a définie Jean-Pierre Brard –, mais certains en déduisent que c'est déjà une personne, alors que d'autres soulignent que, si cette personne n'est que potentielle, c'est qu'elle n'existe pas.

Pour ma part, je retiendrai des arguments échangés à ce sujet quelques éléments.

Voyons d'abord le contexte. La position de l'Église considérant l'embryon comme une personne est assez récente, elle date de la fin du XIXe siècle. Notons que l'Église n'a jamais exigé de baptême ou d'enterrement en cas de fausse couche. C'est probablement la meilleure connaissance des processus de développement qui a modifié sa position. Comme le remarque Francis Kaplan, il s'agit donc non pas d'un problème de foi mais d'un problème scientifique et épistémologique. Je le dis d'autant plus facilement que je ne suis pas croyant.

Considérant l'embryon comme une personne, l'Église remet d'abord en cause les embryons surnuméraires, dont on admet facilement, puisqu'ils sont de toute façon voués à la destruction, qu'on puisse faire des recherches sur eux. C'est donc leur destruction qu'il faut éviter, quitte à remettre en cause l'efficacité de l'AMP. Un peu plus loin dans le texte, c'est l'AMP elle-même qui est remise en cause au profit de l'adoption et des recherches sur la naprotechnologie, procréation naturelle médicalement assistée.

Si je partage les préoccupations pour faciliter l'adoption, il faut aller jusqu'au bout du raisonnement et, comme je l'ai dit, permettre l'adoption par les couples homosexuels. On sent d'ailleurs une hésitation dans le texte sur ce qu'est un projet parental, qui, selon les évêques, serait fondé exclusivement sur l'amour conjugal d'un homme et d'une femme, l'enfant étant le fruit de cet amour. Outre le fait que le mot « conjugal », étymologiquement, renvoie à une union, quelle qu'elle soit, il y a, à côté de l'amour conjugal, l'amour filial, l'amour parental. Un célibataire, une célibataire, un couple homosexuel peuvent bien sûr éprouver un amour parental. Cette capacité d'amour est d'ailleurs une composante essentielle de notre humanité.

Quant aux recherches sur la naprotechnologie, qui font appel, entre autres, aux courbes de température comme la célèbre méthode Ogino, ne sont-elles pas, comme cette dernière pour la contraception, un moyen d'éviter le débat sur le statut de l'embryon ? Rappelons que la méthode Ogino est, avec l'abstinence, la seule réponse proposée par l'Église à la demande de contraception, et que ce statu quo se traduit par la naissance en Afrique de milliers de bébés atteints du sida.

Revenons au coeur du sujet avec la question de Francis Kaplan : l'embryon est-il un être vivant ? Il est difficile de résumer un texte argumenté de 100 pages, mais la réponse est claire : non. L'embryon est vivant, comme un oeil est vivant, mais l'embryon n'est pas un « être vivant ». Il n'a pas, de façon autonome, les fonctions vitales qui permettent à un être vivant de se maintenir en vie.

Jusqu'à la vingt-quatrième semaine, six mois, l'embryon n'est pas viable. Comment être à la fois un être vivant et non viable ? C'est la mère qui assurera dans son développement ces fonctions vitales qui lui manquent, au moins jusqu'au sixième mois où, en cas de naissance prématurée, la mise en couveuse permet de suppléer en particulier la fonction vitale de régulation thermique interne. Avant, si la mère meurt, l'embryon disparaît. Ainsi, c'est un processus continu qui mène de l'embryon au foetus et au nouveau-né. Si le nouveau-né est un être vivant, l'embryon ne l'est pas.

Est-il alors un « être vivant potentiel » ? Ne peut-on considérer que l'embryon est déjà un être vivant avant de le devenir, puisqu'il le deviendra nécessairement, compte tenu du déterminisme biologique ? Non, car cette nécessité interne de l'être en puissance est conditionnée par des facteurs extérieurs, en particulier la mère, qui décide de transformer l'être en puissance en être en acte. Sans la mère, l'embryon n'est plus un être en puissance, ou alors seulement au sens de simple possibilité comme un ovocyte. Comme le dit le titre du chapitre VIII, « l'enfant est créé par l'amour de sa mère ». C'est d'ailleurs la raison pour laquelle, indépendamment de la recherche sur l'embryon surnuméraire, il faut aussi développer la recherche au profit de l'embryon qui n'est pas surnuméraire de façon à augmenter ses chances de survie.

Ainsi, la démarche philosophique conclut à autoriser la recherche sur l'embryon. Pourquoi garder alors un encadrement de cette recherche ? D'abord, il existera toujours un malaise sur ces questions car, si c'est bien le projet parental d'abord, l'amour de la mère ensuite, qui assurent la continuité de l'embryon au nouveau-né, il peut se créer dès le stade embryonnaire une « réalité imaginaire », au sens où l'imaginaire caractérise notre humanité, puisqu'on est dans l'affectif, et qu'il y a bien une réalité mais seulement au niveau psychologique. C'est une des raisons de la permanence de la demande consensuelle d'encadrement.

Par ailleurs, compte tenu de l'évolution rapide de la connaissance scientifique et des techniques de procréation, il est essentiel de délivrer à la société un message pour rappeler que ces questions sont complexes et que l'histoire a montré que nous ne sommes pas à l'abri de dérives.

Si ces préoccupations sont légitimes, elles ne doivent pas freiner la recherche sur l'embryon, qui peut déboucher sur des thérapies confortant notre dignité d'êtres humains vivants, en particulier en fin de vie. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

1 commentaire :

Le 23/02/2011 à 12:10, Karl Civis (retraité) a dit :

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Sur le statut de l’embryon, lire sur http://www.mediapart.fr/club/blog/Denis%20Meriau

[rétro-forum 6]

quel statut donner à l'embryon ?

Vous trouvez ce commentaire constructif : non neutre oui

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