Faut-il, par exemple, sous prétexte que cette valeur est mal comprise dans certains pays, renoncer à la laïcité, fruit des expériences douloureuses de notre histoire ? D'ailleurs, ne l'oublions pas dans nos discussions, s'il veut respecter les consciences dans leur diversité, le législateur qui définit les conditions du vivre ensemble ne peut privilégier telle ou telle approche religieuse, qui relève de la sphère privée.
La difficulté est que les questions bioéthiques mettent en jeu nos convictions personnelles, qui relèvent de la sphère privée et qui ont été forgées par notre éducation et notre culture. En France, celles-ci ont été fortement influencées par l'église catholique, qui a d'ailleurs pris une grande place dans ce débat, comme c'est son droit, sinon son rôle. Cela explique la similitude entre ses positions et les amendements déposés par nos collègues, pour qui, selon la formule d'Alain Claeys, cette loi est « un moindre mal ». J'y reviendrai.
Pour bien vivre ensemble, il faut aussi déterminer les rapports entre l'individu et la société. On retrouve là nos valeurs républicaines, qui peuvent être en tension. Cette dialectique des valeurs me semble très présente dans les questions bioéthiques, en particulier entre la liberté et la fraternité. La liberté individuelle se traduit souvent par des « droits à...», et les droits des uns peuvent entrer en tension avec le droit des autres.
Ainsi, le droit individuel à connaître ses origines génétiques doit-il s'exercer au risque de déstabiliser les familles ou de voir baisser le nombre de donneurs ? Ces points restent à approfondir. De même, le droit à disposer de son corps doit-il cautionner ailleurs des pratiques d'aliénation ? En particulier, la contractualisation entre deux libertés individuelles justifie-t-elle d'ignorer toutes les femmes qui sont contraintes à une marchandisation de leur corps ?
En face de ces choix difficiles, le souci des libertés individuelles me paraît devoir être subordonné au respect de la fraternité.
Revenons à la question ontologique que j'ai posée au début de mon intervention : qu'est-ce qui fonde notre humanité ? Nous ne pouvons esquiver le débat sur l'inné et l'acquis, que certains considèrent comme tranché alors qu'il m'apparaît présent implicitement dans toutes nos discussions.
En raison des dérives de l'eugénisme ou des calculs de ceux qui justifient le caractère immuable d'un ordre social par le supposé déterminisme génétique, on a pu penser que notre devise républicaine réaffirmant la liberté comme fondement de l'individu et l'égalité des droits et des devoirs avait épuisé le débat. Bien sûr, l'homme n'est plus en dehors de la nature, comme le suggérait Descartes, mais il se définit toujours d'abord par sa culture, c'est-à-dire par l'acquis, et l'absence de développement des enfants sauvages nous montre que cet acquis passe par les relations sociales.
C'est ce qui explique le consensus sur l'adoption, mais il nous faut approfondir cette réflexion et, en particulier, autoriser l'adoption par les couples homosexuels. C'est l'amour partagé qui assure le développement de l'enfant, et l'expérience montre que la société lui fournit les repères de genre permettant son insertion sociale.
Cela étant, n'y a-t-il pas un paradoxe à reconnaître que la famille est d'abord une construction sociale, que la parentalité est affective et sociale, et à revendiquer en même temps la nécessité d'un accès à la procréation médicale assistée, qui est un retour au génétique ?
Le retour en force des préoccupations génétiques est présent dans de nombreux domaines dans notre société et montre que le débat entre inné et acquis n'est pas clos. Je le rappelle sans aucun esprit polémique, le Président de la République, alors candidat, ne déclarait-il pas en avril 2007, lors d'un entretien : « les circonstances ne font pas tout, la part de l'inné est immense » ?
Dans le domaine qui nous préoccupe, on passe d'une demande médicale remédiant à un problème de stérilité à une demande sociétale qui implique, là aussi, le retour à l'importance supposée de l'inné par rapport à l'acquis. Pourtant, les études les plus récentes des scientifiques remettent en cause le schéma d'une hérédité qui se transférerait de façon quasi linéaire à partir d'un message codé dans les gènes. Entre le hasard et la nécessité, les mécanismes de transmission font appel à de multiples processus aléatoires qui rendent difficile le pronostic.