Découvrez vos députés de la 14ème législature !

Intervention de André-Claude Lacoste

Réunion du 2 février 2011 à 16h15
Commission des affaires économiques

André-Claude Lacoste, président de l'Autorité de sûreté nucléaire, ASN :

Plusieurs questions ont porté sur l'harmonisation européenne. Il existe une directive européenne sur la sûreté nucléaire et une autre, relative aux déchets, sera prochainement adoptée. Il s'agit de directives cadres, qui fixent de grands principes qui devront être transposés dans les droits des Etats membres. Ces principes reprennent largement ceux qui ont été élaborés au niveau mondial par l'Agence internationale de l'énergie atomique, et correspondent tout-à-fait à la vision française. Ainsi, la directive déchets exige un plan national de gestion des matières et déchets radioactifs ainsi qu'une autorité de contrôle et des revues par les pairs, toutes choses que nous faisons en France. Les directives n'entrent pas dans des précisions techniques, qui résultent largement du travail accompli en commun au sein de WENRA et qu'il appartient ensuite à chaque autorité de mettre en application, avec l'appui techniques d'organes comme l'IRSN. On peut ainsi penser – un certain nombre de chefs d'autorité partagent cette vision – que l'on disposera à terme d'un cadre européen et d'un ensemble d'autorités nationales travaillant en réseau, ayant la même doctrine, la même vision des choses, capables d'échanger des personnes et de s'auditer entre elles. Mais je ne crois guère que l'on aille jusqu'à une autorité supranationale unique.

S'agissant plus spécifiquement de l'état de l'organisation française, vous avez évoqué à plusieurs reprises l'articulation entre ASN et IRSN. La situation actuelle est héritée de l'histoire : le législateur a décidé, presque dans la foulée, de créer une autorité administrative indépendante et de doter l'IRSN d'un statut d'établissement public. Nous avons vocation à travailler ensemble et, en dépit de quelques frottements, comme il y en a toujours entre expertise et autorité, je pense que nous le faisons bien, l'image que nous avons à l'étranger en témoigne. Mieux vaut donc continuer de la sorte que se lancer dans des réformes.

Vous avez raison de considérer que l'ASN doit mieux expliquer les décisions qu'elle prend. Pour cela, nous allons, dans les mois qui viennent, accompagner la publication de notre décision de celle de l'avis de l'IRSN sur lequel elle s'appuie très souvent. Sans doute susciterons-nous de la sorte davantage de questions, mais cela va dans le sens de l'information proactive que j'appelle de mes voeux. Conscients de la nécessité de progresser dans ce domaine, nous sommes preneurs de toute suggestion en ce sens.

La liberté et l'indépendance dont nous jouissons nous confèrent un statut exorbitant du droit commun. Cela nous impose un certain nombre de devoirs, en particulier d'être indépendants mais pas isolés, pas plus en France qu'à l'étranger, mais aussi de savoir user de notre pouvoir avec sagesse et modération. Lorsque nous prenons une décision, nous essayons de nous entourer du plus d'avis possible, nous entendons les exploitants, nous regardons ce qui se passe à l'étranger. Cela tient à une vision de droit et de fait. Le I de l'article 29-1 de la loi relative à la transparence et à la sécurité en matière nucléaire, dite TSN, dispose que « la création d'une installation nucléaire de base est soumise à autorisation » qui « prend en compte les capacités techniques et financières de l'exploitant ». Et le décret dit « procédure » précise que « le projet présenté et susceptible d'être autorisé doit permettre d'atteindre un niveau de risque aussi bas que possible, dans des conditions économiquement acceptables ». Dans le domaine de la radioprotection, s'appliquent les principes d'optimisation et de justification, qui sont des principes d'équilibre que nous nous efforçons de suivre.

Ainsi, nous avons une décision particulièrement difficile à prendre lorsque nous constatons qu'il y a un défaut dit « générique » sur une partie du parc nucléaire d'EDF. En effet, dans la mesure où ce parc est standardisé, nous nous demandons si ce défaut est susceptible d'affecter les autres installations de même type, au risque, s'il est grave, de mettre en cause l'alimentation de notre pays en électricité. Nous sommes tombés il y a quelques années sur un problème de ce type avec le risque de colmatage des filtres des puisards, qui sont destinés, en cas de gros problème, à recycler l'eau qui fuirait du circuit primaire du réacteur afin de le refroidir. Des travaux importants étaient nécessaires et deux entreprises, Westinghouse et Areva, étaient capables d'intervenir. Nous avons forcé EDF à aller en chercher une troisième, Mitsubishi, et à nous présenter un plan de rectification et de rattrapage aussi rapide que possible. Mais cela a duré plusieurs années. Nous avons donc été amenés, en cherchant l'optimum, à considérer qu'il n'y avait pas matière à fermer les centrales mais à faire les travaux au plus vite – en l'occurrence cinq à sept ans. Vous le voyez, nous devons sans cesse rechercher un équilibre.

Autre exemple, au début des années 1990, un problème est survenu sur les couvercles de cuves de réacteurs : nous avons fini par imposer à EDF de les changer progressivement. Cette opération étant très onéreuse, les États-Unis ont préféré faire semblant de croire qu'il s'agissait uniquement d'un problème français, rencontré sur les pièces Framatome, mais au début des années 2000, le couvercle d'un réacteur américain s'est presque percé, ce qui aurait pu entraîner de graves conséquences.

Nous ne perdons jamais de vue que l'accident est possible. Le plus grave survenu en France a eu lieu en 1980, aux débuts de l'ASN, dans la centrale A de Saint-Laurent-des-Eaux, avec un début de fusion nucléaire dans un réacteur uranium naturel-graphite-gaz de première génération. Tout le monde en a perdu la mémoire, mais cela signifie qu'un accident peut survenir. Il y a régulièrement des incidents de niveau 2, comme fin 1999, avec un début d'inondation au Blayais. N'oublions pas ce qui s'est produit en 1979 à Three Mile Island, sur un réacteur exactement du même type que les réacteurs français. Nous prenons aussi en compte désormais les incidents en radiothérapie, qui entraînent parfois mort d'hommes, comme à Épinal.

Il s'agit donc de sujets très sérieux : nous sommes dotés de pouvoirs qui peuvent paraître exorbitants mais nos responsabilités ne sont pas minces. Dans ces conditions, notre objectif ne peut pas être d'être populaires mais rigoureux, au risque de déplaire : si les exploitants nucléaires chantaient en choeur nos louanges, vous devriez songer à nous remplacer… S'il n'y a pas tension entre les exploitants et l'autorité, cela signifie qu'il n'y a pas de vrai contrôle.

J'en viens à quelques exemples précis. Aux termes de notre rapport annuel, la centrale du Blayais se situe dans la moyenne. Il en va de même du nombre d'incidents survenant dans les six tranches de la centrale de Gravelines, environ une dizaine par an, qui ne nous pose pas de souci particulier – un nombre de tranches très important implique un nombre d'incidents statistiquement plus élevé.

Plusieurs questions ont porté sur la loi Nome et sur l'impact de la fixation du tarif d'accès régulé au nucléaire sur le niveau de sûreté de nos centrales. C'est un sujet difficile. L'important est à nos yeux que les exploitants soient compétents, responsables et disposent de suffisamment de moyens pour pouvoir assumer leurs responsabilités. À défaut, leurs installations ont vocation à être fermées. Nous avions eu un contact avec le sénateur Poniatowski, rapporteur de ce texte, mais nous n'en avons pas eu avec la commission Champsaur ni avec la Commission de régulation de l'énergie, dont nous avons rencontré les membres du Collège, qui se préparaient à la fin de leurs fonctions.

Il faut prendre avec précaution l'expérience américaine de prolongation de la durée de vie des centrales à 60 ans : outre que la durée de fonctionnement y est comptabilisée à partir du premier jour non pas de fonctionnement mais de construction, nous ne sommes pas d'accord avec les conditions dans lesquelles nos collègues donnent leur accord. Pour nous, la prolongation est soumise à réexamen tous les dix ans, à l'occasion duquel nous vérifions si la centrale est conforme à son référentiel et ce qu'il est possible d'améliorer en matière de sûreté. C'est ce que nous faisons actuellement pour les réacteurs de 900 MW qui atteignent 30 ans. Le premier a été Tricastin 1, le deuxième sera Fessenheim 1. EDF nous demande s'il est envisageable de prolonger au-delà de 40 ans. Nous commençons à étudier cette question tout en répondant que les installations ont été conçues pour cette durée de fonctionnement et qu'aller au-delà supposera des investissements assez massifs, la comparaison devant être faite avec les objectifs de sûreté des réacteurs EPR, afin de s'en approcher dans des conditions raisonnables et économiquement possibles. Nous sommes donc au début d'un dialogue dont je suis persuadé qu'il sera « musclé ». Mais nous savons bien que la prolongation dégagera une rente, dont les usages peuvent être divers mais dont nous considérons qu'elle doit largement servir à améliorer la sûreté.

Au total, sur cette question essentielle nous ne voyons pas d'obstacle à ce que des réacteurs anciens, à la sécurité améliorée, continuent à fonctionner concurremment avec des réacteurs nouveaux dont la sûreté est plus élevée.

Évoquer la maintenance et les travaux amène à poser la question de la sous-traitance. Pour vous donner un ordre de grandeur : environ 20 000 personnes travaillent dans le nucléaire au sein d'EDF et l'on compte aussi chaque année environ 20 000 sous-traitants, avec des durées de séjour parfois très courtes et relevant d'entreprises de taille très diverse, le sous-traitant pouvant être Areva ou Westinghouse ou bien une PME ... La surveillance des sous-traitants est un sujet très difficile sur lequel notre doctrine est claire : il appartient au premier chef à EDF de les choisir et de les surveiller et à nous de vérifier que cela est fait correctement. Nous avons eu ces derniers temps l'impression de quelques dérapages, c'est pourquoi nous avons annoncé que nous allions regarder de plus près ce qui se passe. Cela nous conduira sans doute à nous intéresser à la façon dont EDF passe ses commandes : lors d'un appel d'offres choisit-elle le moins ou le mieux-disant ? Il est difficile d'évaluer le mieux-disant de l'extérieur, mais nous avons déjà lancé des inspections portant sur le service achats d'EDF. Pour autant, nous ne serons jamais totalement sûrs que les acteurs respectent les règles en la matière, car les acteurs sont multiples.

L'annonce de la réduction de 30 millions de la subvention attribuée par l'Etat à l'IRSN a suscité quelque émotion. Un mode de financement alternatif a finalement été trouvé sous la forme d'une contribution de l'exploitant, qui ressemble beaucoup à une taxe votée par le Parlement et grâce à laquelle l'Institut retrouve ces 30 millions. L'idée que le contrôle de la sûreté nucléaire soit financé – comme dans de nombreux autres pays, par exemple aux États-Unis – par des contributions des exploitants nous paraît assez bienvenue, à condition que cela soit fait dans la clarté, la transparence et le respect de la déontologie.

Un mot sur l'EPR. Dès 1991, nous avons dit à EDF, au CEA et, à l'époque, à Framatome que N4, dernier palier à construire, était achevé et qu'il fallait passer à un niveau de sûreté supérieur. EPR est le résultat de nombreux travaux et études, notamment franco-allemandes, menés depuis lors ; il correspond à l'état de l'art en matière de sûreté. Il n'est absolument pas étonnant que l'on rencontre des difficultés pour le construire en France ou en Finlande car on n'y a plus construit de réacteurs depuis 20 ans. Ainsi, Bouygues ne sait plus bétonner à la qualité nucléaire ; de nombreux fabricants ne sont plus au niveau ; EDF a perdu son aptitude à diriger les chantiers ; nous-mêmes devons réapprendre à contrôler. C'est donc au terme de l'actuel processus de réapprentissage qu'il faudra procéder à un retour d'expérience. Je souhaite à ce propos que l'on parvienne à partager le retour de l'expérience finlandaise, même si c'est Areva et non pas EDF qui y intervient. Or, j'ai participé à une réunion à laquelle Areva n'avait pas été conviée… S'il apparaît à ces occasions que les mêmes objectifs de sûreté peuvent être atteints par des moyens plus simples ou plus économiques, nous y sommes ouverts, mais WENRA a bien retenu comme objectif le niveau de sûreté de l'EPR.

Je ne pense pas que nous sortons de notre responsabilité lorsque nous disons que nous ne voulons pas dans le monde d'une sécurité nucléaire à deux vitesses. Il ne s'agit nullement d'interdire à la France d'exporter tel ou tel type de réacteurs : nous n'en avons pas le pouvoir et tel n'est pas notre métier. Notre déclaration dit simplement que si la France couvre l'exportation de réacteurs qui ne nous paraissent pas répondre aux normes applicables dans notre pays, nous serons probablement interrogés par l'autorité du pays de destination et nous lui répondrons que de tels réacteurs ne sont pas susceptibles d'être construits en France. Nous serons là strictement dans le cadre de la responsabilité que le Parlement a souhaité nous conférer.

L'ANDRA est pour nous en partie un exploitant nucléaire ce qui signifie que nous contrôlons la façon dont elle exploite ses centres de stockage de l'Aube et de Morvilliers, et dont elle surveille le centre de stockage fermé de la Manche. L'ANDRA recherche aussi de nouveaux sites pour des stockages soit de déchets de faible activité à vie longue, soit souterrains, pour les déchets de haute activité. Ce nouveau sujet d'intérêt national a été à l'origine de la loi sur les déchets de 1991 et il occupe une large place dans la loi de 2006 sur la gestion des déchets. Tout ceci est décliné dans le plan national de gestion des déchets et matières radioactifs, à propos duquel nous avons récemment été auditionnés par vos collègues Claude Birraux et Christian Bataille. Pour nous, le site de Bure et la façon dont on peut trouver alentour un endroit adapté pour créer un stockage souterrain constituent un dossier considérable. Tout en veillant à ne pas nous transformer nous-mêmes en promoteur, nous suivons de près ce que fait l'ANDRA : nous considérons qu'elle travaille bien, même si elle a rencontré des difficultés lorsqu'elle s'est adressée à des communes pour trouver rapidement des sites de stockage de déchets de faible activité a vie longue : dans l'urgence, elle a adopté une méthode qui n'était manifestement pas la bonne.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion