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Intervention de Bernard Bigot

Réunion du 1er février 2011 à 17h15
Commission des affaires économiques

Bernard Bigot, administrateur général du Commissariat à l'énergie atomique, CEA :

Si, puisqu'il y a une golden share. Du reste, GDF-Suez n'exploite pas d'installations nucléaires sur notre territoire.

Si nous voulons tirer le meilleur parti de notre investissement public, il faut donc un État fort dans le domaine nucléaire. Nous avons d'ailleurs eu de grands ministres qui connaissaient les enjeux et étaient capables de conduire un dialogue ferme avec l'ensemble des acteurs pour imposer une politique coordonnée et de long terme. Cela n'empêche pas la réussite d'entrepreneurs – c'est même la meilleure chose qui peut leur arriver.

Plutôt que d'acceptabilité du nucléaire, je préfère parler d'appropriation : nos concitoyens doivent mesurer les bénéfices comme les risques de cette technologie. La Suède, qui avait été l'un des tout premiers pays à développer le nucléaire, a décidé par référendum, dès 1980, de ne pas renouveler son parc, principalement au motif qu'on ignorait comment gérer les déchets. Mais elle a mené une politique active de gestion de ces déchets dont elle a commencé à engranger les fruits en 2003-2004. À la même époque, le pacte jusque là en vigueur entre les pays scandinaves – qui prévoyait la fourniture réciproque d'électricité en cas de besoin – a été dissous. En trois ans, la facture d'électricité moyenne des Suédois a doublé, si bien que 85 % d'entre eux ont finalement estimé qu'il fallait relancer le nucléaire dans leur pays ! Trois ans plus tard, le Parlement votait la construction d'une nouvelle installation.

Il s'agit donc, je le répète, de comprendre quel bénéfice il y a à investir dans cette technologie, sachant que la raréfaction des combustibles fossiles est inéluctable. On ne fait pas du nucléaire par plaisir, mais par nécessité !

D'ici vingt, trente ou cinquante ans, les combustibles fossiles seront en voie d'épuisement. C'est une échelle de temps qui n'a rien à voir – du moins je le souhaite – avec l'espérance de vie de l'humanité. Bref, pour offrir un avenir à notre planète en termes d'énergie, il n'y a pas d'autre solution que de combiner deux types de ressources. La première est constituée par les énergies renouvelables, mais elles restent handicapées par leur intermittence et leur dispersion. On ne pourra donc pas s'en contenter dans un monde de neuf milliards d'habitants et, en tout état de cause, il faudra traiter le problème du stockage. Il faut donc une source d'énergie garantissant la continuité de la production énergétique et son caractère massif. À long terme, je ne vois que le nucléaire pour cela.

Les combustibles fossiles ne sont rien d'autre qu'un stockage intermédiaire d'énergie nucléaire. C'est en effet la fusion qui se produit dans le soleil qui a permis la conversion du dioxyde de carbone et de l'eau pour former les végétaux qui, enfouis, subissent une transformation chimique de cent millions d'années – dont nous sommes en train d'épuiser le résultat en deux cents ans !

Si le nucléaire est la solution, c'est parce que les réactions nucléaires sont infiniment plus difficiles que les réactions chimiques. La probabilité qu'elles se produisent est donc beaucoup plus faible – presque un million de fois – mais l'émission d'énergie consécutive est un million de fois plus grande de sorte que, lorsqu'on parvient à obtenir une telle réaction, on en tire largement bénéfice. Autrement dit, les lois de la physique font du nucléaire la source d'énergie durable.

J'en viens à la cohabitation avec ITER. Nous maîtrisons aujourd'hui le nucléaire de fission, mais il a ses limites. Ainsi, l'uranium n'est pas inépuisable. Les réserves s'élèvent à 6 millions de tonnes disponibles au coût actuel, avec 14 millions en prospective. Or nous en consommons 60 000 tonnes par an. La ressource ne se compte donc pas en millénaires ! D'autre part, le nucléaire fournit aujourd'hui 6 % de l'énergie mondiale mais, pour porter cette part ne serait-ce qu'à 25 %, il faudrait multiplier la production par huit, et non par quatre, sachant que la demande d'énergie devrait doubler d'ici à 2050… Bref, nous ne pourrons pas compter éternellement sur le nucléaire de fission. Il nous faut donc explorer la voie de la fusion, pour laquelle les ressources sont beaucoup plus abondantes puisqu'il s'agit essentiellement des isotopes de l'hydrogène. Les deux pistes ne sont donc pas exclusives l'une de l'autre, surtout dès lors qu'un accord international nous ouvre la possibilité d'une démonstration grandeur nature de la technologie de fusion sur un seul équipement.

Il est exact que les États-Unis s'emploient à utiliser au maximum les gaz de schiste, en recourant à des techniques de fracturation qui passent par l'injection dans le sous-sol de grandes quantités d'eau et de produits chimiques. Quoi qu'il en soit, comme l'a d'ailleurs reconnu le président Obama, cela ne fait que repousser la difficulté de quelques années. Certes, le prix du gaz a été divisé par quatre en moins de trois ans, mais ce n'est pas à l'échelle de quelques années qu'il faut réfléchir. Investir dans une centrale nucléaire vous assure soixante ans de production ! Il me semble que l'indépendance énergétique est un enjeu suffisamment important pour justifier une diversification et j'essaye donc de convaincre nos amis américains qu'ils ont tout intérêt à reconquérir une vraie maîtrise du nucléaire. Je fais d'ailleurs un travail similaire auprès d'EDF qui hésite à s'engager dans la construction d'une centrale.

La France sera-t-elle autonome en 2050 ? Aujourd'hui, notre énergie provient à 50 % des combustibles fossiles. En 2003, nous dépensions 23 milliards pour nos importations ; en 2008, 50 milliards. En 2003, un Français travaillait en moyenne 19 jours pour y subvenir ; en 2008, on est passé à 48 jours. Il faut nous libérer de cette contrainte.

Les combustibles que nous utilisons sont principalement employés dans les transports, l'habitat et l'industrie. S'agissant des transports, nous avons l'opportunité de sortir de cette dépendance avec le véhicule électrique et avec les biocarburants de deuxième et troisième générations. Avec le nucléaire dont il dispose, notre pays peut développer le véhicule électrique. C'est « jouable », puisque 36 millions de véhicules particuliers et utilitaires n'exigent que 15 % de production électrique supplémentaire. En effet, le rendement du moteur électrique est six fois celui du moteur thermique. Alors que 90 % des transports journaliers se font sur moins de 150 kilomètres, le CEA s'est fixé pour objectif de garantir à l'horizon 2015 une batterie permettant d'en effectuer 200. Il faut tirer profit du fait que la voiture est immobilisée vingt heures par jour pour recharger sa batterie en la connectant au réseau, en mettant de l'intelligence dans celui-ci – il doit reconnaître que la voiture est branchée quelque part, pour tant d'heures, et a besoin d'être rechargée.

En ce qui concerne le bâtiment, tout est affaire de conception et de stockage des énergies renouvelables – piles à combustible, pompes à chaleur… Le CEA a élaboré une réflexion qui fonde sa stratégie de recherche : exonérer notre pays de la dépendance énergétique. Nous avons besoin, en moyenne annuelle, d'une puissance instantanée de 60 gigawatts, mais avec des pics à 95 gigawatts et des « creux » à 30 : nous avons la capacité d'y faire face.

L'électricité produite par le nucléaire peut aussi être utilisée pour décomposer l'eau et produire de l'hydrogène, qui peut lui-même se mélanger jusqu'à 20 % avec le gaz naturel – on peut donc prolonger la durée de vie de celui-ci – ou être utilisé directement comme carburant. Bref, nous avons de quoi avancer !

En ce qui concerne l'ANDRA, ne vous méprenez pas : nous ne sommes pas en conflit sachant que le démantèlement des centrales exigera déjà une dizaine de milliards d'euros. La question de l'optimisation technico-économique du stockage des déchets est primordiale. Une fois sa faisabilité technique démontrée par les travaux menés dans le cadre de la loi Bataille de 1991, il reste à optimiser, dans le respect de la priorité absolue qu'est la sûreté, sa mise en oeuvre industrielle. Ce que demandent le CEA, EDF et AREVA, c'est qu'un cadre soit établi sous l'autorité de l'État pour pouvoir débattre avec l'ANDRA des différentes options industrielles. Le dialogue est en train de s'installer. Je pense que nous trouverons les moyens de progresser.

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