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Intervention de Bernard Bigot

Réunion du 1er février 2011 à 17h15
Commission des affaires économiques

Bernard Bigot, administrateur général du Commissariat à l'énergie atomique, CEA :

Le CEA est en effet insuffisamment connu. Nous faisons pourtant des efforts pour y remédier : nous diffusons plusieurs dizaines de milliers de brochures, nous avons un site Internet… Mais nos activités sont concentrées sur dix sites en France, ce qui est très peu en comparaison, par exemple, du CNRS. Nous avons aussi des métiers qui n'appellent pas forcément de publicité : je pense à la conception des armes de la dissuasion ou des chaudières des sous-marins nucléaires. Je crois néanmoins que le CEA a tout intérêt à se faire connaître, et pour cela, nous comptons aussi sur vous !

La centrale Flexblue est inspirée des sous-marins nucléaires. D'une conception assez simple – une coque avec une chaudière à l'intérieur –, ces derniers présentent en effet l'intérêt d'une grande compacité. En outre, on se trouve dans un milieu relativement protégé, et il n'y a pas de problème de refroidissement. Cette piste mérite donc d'être explorée sérieusement, d'autant qu'elle ne présente pas de risque majeur. Des pays comme Singapour ou Bahreïn se disent déjà intéressés : ils tirent en effet 98 % de leur énergie des combustibles fossiles, appelés à se raréfier ; leurs territoires sont restreints et ils disposent de fonds de cinquante à cent mètres jusqu'à quelques kilomètres des côtes.

Autre piste intéressante : celle des petits et moyens réacteurs. Dans certaines situations, les réacteurs de très forte puissance ne sont pas adaptés. Il y a donc un marché potentiel pour des réacteurs de puissance comprise entre 25 et 300 mégawatts. Certes, leur coût sera supérieur à celui de la production à partir des combustibles fossiles, mais ils offriront en contrepartie la garantie d'une énergie accessible. Je recommande donc d'explorer cette voie aussi. Pour prendre un exemple, l'extraction du pétrole à partir des schistes bitumineux du Canada réclame d'énormes quantités de produits pétroliers pour fluidiser les matériaux et les séparer de l'eau. Un réacteur de 25 mégawatts produit en série, transportable et permettant de produire de la chaleur et de l'électricité localement ouvrirait donc des perspectives intéressantes. Les États-Unis, la Russie, le Japon et la Chine s'intéressent d'ailleurs de près à ce type d'équipement.

Les exigences de transparence et de contrôle sont considérables dans notre pays, monsieur Brottes. Elles supposent une forte mobilisation, mais c'est à juste titre. Le nucléaire est un atout formidable quand on le gère bien et proprement, mais il peut en aller tout différemment si on ne respecte pas ses règles de fonctionnement. Il est donc normal d'entretenir la vigilance et la culture de sûreté par des contrôles réguliers et par une obligation de transparence.

Vous êtes plusieurs à redouter que la recherche du profit n'affecte le bon fonctionnement de l'ensemble de la filière. Mais le nucléaire exige, pour qui a choisi ce métier, un énorme investissement initial – le coût du combustible et du fonctionnement étant modestes. Négliger les impératifs de sûreté et de professionnalisme, ce serait ruiner cet investissement. Je ne suis donc pas inquiet : même la recherche du profit exerce une force de rappel.

La prolifération est un véritable enjeu. Vous le savez, les technologies du nucléaire civil ne sont pas si éloignées de celles de l'explosif nucléaire. Il faut donc faire montre d'une grande vigilance. Le CEA est très mobilisé sur ces questions de sécurité globale. Nous développons ainsi des technologies élaborées pour faire de la détection précoce, qu'il s'agisse des conteneurs maritimes ou de la circulation dans les aéroports. Mais ce serait la matière de toute une audition, à laquelle je suis disposé à me prêter…

J'en viens à notre situation financière. Le CEA est très sollicité. Le Gouvernement et le Parlement nous accordent bien sûr des moyens. Je dois signer prochainement un contrat d'objectifs et de performance avec l'État qui va nous consentir une augmentation moyenne de 1,5 % par an. En contrepartie, on nous demande aussi de nous lancer dans la recherche sur les batteries, de faire un effort sur le nucléaire, de développer les technologies de l'information… Nous touchons donc à nos limites. À coûts complets, certains secteurs ne sont déjà plus subventionnés qu'à 17 % ou 18 % de la subvention et la situation à la direction de la recherche technologique est à cet égard critique. Nous devons donc faire attention. Nous avons beau être performants et signer des contrats de longue durée avec de grands partenaires, rien ne garantit que nous préservions la compétence et l'outil entre deux contrats. Et si nous sommes attractifs, c'est aussi que nous avons su investir par le passé. Après avoir fait le tour du monde pour trouver le centre de recherches sur lequel il allait s'appuyer pour la conception de batteries, un grand constructeur est finalement revenu à Grenoble, jugeant que nous étions les meilleurs au monde. Mais si nous avons un avantage compétitif majeur, c'est parce que nous nous attachons depuis des années à préserver nos compétences dans le domaine de la gestion intelligente de l'électricité.

Certes, le CEA est souvent considéré avec bienveillance par la puissance publique, mais la question financière reste une préoccupation. Je m'étais donné pour objectif de reconquérir un minimum de 30 % sur la direction de la recherche technologique. Je ne suis pas en capacité de le faire aujourd'hui. Nous sommes trop sollicités ; je refuse des dizaines et des dizaines de demandes de partenariat industriel faute de moyens, après avoir recruté 180 personnes l'an dernier, à Grenoble, pour répondre aux demandes portant sur les nouvelles technologies de l'énergie. Je suis prêt à revenir devant vous pour en reparler. Notre pays doit impérativement investir dans la technologie ; cela nécessite un minimum de leviers et il faut le faire très en amont, souvent dix ou quinze ans avant d'être en mesure de répondre à la sollicitation des industriels.

Les matériaux – et en particulier les matériaux de structure – sont un enjeu majeur, monsieur Gatignol, car les systèmes sont de plus en plus exigeants. Nous essayons donc de reconquérir une capacité métallurgique. Nous mettons actuellement au point à Saclay, avec nos partenaires universitaires, un moyen d'étudier très en détail le fonctionnement sous irradiation des matériaux de structure. Et puisque vous avez mentionné aussi les nano-matériaux, il existe aujourd'hui une variété d'acier appelée ODS – il s'agit d'acier classique auquel on mélange des quantités infinitésimales de petits oxydes métalliques, qui améliorent considérablement ses performances. En effet, un neutron qui sort d'un réacteur n'est pas arrêté par les champs magnétiques. C'est une boule de billard, qui va entrer en collision avec les atomes qui constituent l'acier et les déplacer – il faut savoir que, dans une centrale, chaque atome est ainsi déplacé quinze ou vingt fois en l'espace d'une année. Il importe pourtant de préserver la cohésion de ce matériau. Nous y sommes donc parvenus en dispersant de petites quantités de nano-matériaux qui freinent ces mouvements. C'est grâce à cela – grâce au CEA – que les TGV peuvent aujourd'hui rouler à plus de 300 kilomètresheure : leurs roues sont fabriquées avec de l'acier ODS.

Entre l'EPR et les RNR, c'est de complémentarité, et non de concurrence, qu'il s'agit. Il y aura complémentarité jusqu'au moment où nous aurons assez de plutonium pour faire fonctionner un parc exclusivement composé de réacteurs à neutrons rapides. Au fur et à mesure que nous accumulerons du plutonium, nous pourrons en démarrer de nouveaux, si bien qu'au bout d'un certain temps, nous n'aurons plus besoin des réacteurs à neutrons thermiques. Il s'agit donc d'une transition progressive, avec un chevauchement entre les troisième et quatrième générations, ce qui exclut de fixer des proportions, monsieur Loos.

Le débat sur le coût du réacteur nouveau – supposé trop cher parce que trop complexe – est assez stérile, monsieur Gatignol. Il y a toujours une courbe d'apprentissage : la construction du premier réacteur à Fessenheim a été beaucoup plus longue que celle du trente-quatrième ! La vraie question est celle du prix que nous sommes prêts à payer pour une meilleure sûreté. Les réacteurs en fonctionnement sont confrontés à trois types de risques majeurs : la perte du circuit de refroidissement, qui est susceptible d'entraîner la fusion du coeur ; la dispersion des matières radioactives dans l'environnement et la non-résistance aux agressions – naturelles ou malveillantes. Il y a une certaine probabilité que ces risques se concrétisent avec la technologie d'aujourd'hui ; mais le retour d'expérience des quarante dernières années nous permet de diminuer cette probabilité d'occurrence, au stade de la conception, d'un facteur supérieur ou égal à 10. C'est l'idée qui a prévalu pour la génération à venir. Ces réacteurs ne sont pas trop complexes. Simplement, il faut prendre au début des marges de sécurité qui peuvent être réduites à mesure que l'on engrange de l'expérience.

J'en viens à l'enrichissement de l'uranium. La technologie développée en France a été celle de la diffusion gazeuse. Nous n'avons pas su prendre le virage de l'ultracentrifugation : nos responsables politiques ont choisi d'y renoncer dans les années 1960 au profit de la séparation par laser, qui s'est révélée bien trop complexe pour supporter un déploiement industriel. Nous avons aujourd'hui repris l'ultracentrifugation, avec l'inauguration récente de l'usine Georges Besse II sur le site du Tricastin. Cette technologie permet la séparation des produits recyclés – qui s'effectuait jusqu'à présent en Russie.

Vous avez raison, le MOX est une première étape de consommation du plutonium. Dans la perspective de la généralisation des réacteurs à neutrons rapides, c'est une bonne stratégie de préparer des combustibles mixtes oxyde d'uranium-oxyde de plutonium.

Nous sommes très investis dans le photovoltaïque solaire. L'histoire du CEA est à cet égard intéressante. Nous avons commencé par le nucléaire, qui requiert des capacités d'automatisme. La France a donc, au milieu des années 1960, sollicité les États-Unis pour qu'ils lui fournissent des composants microélectroniques « durcis » – résistants aux radiations –, ce qui lui a été refusé. Le CEA a alors été chargé de développer sa propre microélectronique. Je note d'ailleurs qu'il avait besoin pour ce faire de 800 personnes supplémentaires et qu'elles lui ont été accordées immédiatement.

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