Je concentrerai mon propos sur la question de l'emploi, décrite par tous comme la caractéristique la plus forte des zones urbaines sensibles. Peut-être y a-t-il des effets retard, mais le taux de chômage y est globalement deux fois plus élevé que dans les autres quartiers. De ce point de vue, ce n'est pas une réussite.
Comme d'autres orateurs l'on souligné, le ministère de l'emploi n'a pas fait le choix de programmes spécifiques que nous pourrions évaluer.
D'autres dispositifs ont été lancés, notamment les zones franches dont je voudrais dire un mot, même si vous avez renvoyé le débat à plus tard. Nous sommes un peu gênés de le constater, mais elles ne semblent pas avoir un effet directement structurant pour l'emploi et les habitants des quartiers concernés.
N'y a-t-il pas aussi un problème d'évaluation ? La production de statistiques a beaucoup progressé et nous avons énormément de chiffres, mais les procédures d'évaluation sont-elles bien menées ? Parvient-on, non seulement à mesurer, mais à prendre ensuite des décisions ?
Julien Dray a un peu évoqué le sujet. L'arrêt un peu brutal de ces dispositifs donnerait l'impression de remettre en cause la politique de la ville : créés dans ce cadre, ils lui donnent son caractère. C'est un dilemme pour nous tous, mais le dispositif coûte plus de 500 millions d'euros, soit 10 000 à 30 000 euros par emploi, ce qui nous conduit à nous demander s'il ne faudrait pas plutôt créer l'emploi directement.
Pour ma part, je m'interroge aussi sur la notion de zone franche. Si l'on ne peut pas tout arrêter du jour au lendemain, il faut néanmoins faire un travail d'évaluation et même se poser la question : n'y a-t-il pas lieu d'inverser la logique ? Partant de ce constat qui nous angoisse tous – un jeune homme sur deux est au chômage dans ces quartiers –, ne devrions-nous pas créer des emplois francs, plus ouverts sur l'extérieur ? Je n'aurais pas dit cela il y a quelque temps, mais je pense maintenant qu'il faut se poser ce genre de question.
Autre dispositif sur lequel je serai plus critique : le contrat d'autonomie, dont le coût est de 45 millions d'euros, soit 14 000 euros par « sortie positive ». Puisque seulement les deux tiers de ces sorties positives se font vers des emplois, le coût d'une sortie vers l'emploi est de 20 000 euros. On est donc fondé à se dire qu'il vaudrait mieux créer directement des emplois.
Personne n'ose arrêter non plus ce dispositif, car il est lié à une expérimentation sur les opérateurs privés de placement et il est l'un des rares à subsister dans le domaine de l'emploi. On le maintient donc, et j'ai le sentiment qu'on va continuer à le faire.
Ne vaudrait-il pas mieux, au contraire, « mettre le paquet » sur l'accompagnement, oser limiter celui-ci à 30 ou 40 jeunes par quartier et s'interroger sur la manière de le faire ?
Enfin, je suis un peu surpris que la discrimination n'ait pas été évoquée à propos de l'emploi. La situation reflète certes les difficultés sociales, mais la discrimination à l'embauche joue aussi un rôle. Va-t-on la combattre franchement, lancer enfin le CV anonyme, ou au moins l'essayer, l'expérimenter, l'évaluer ?
Nous allons être amenés à avoir des politiques plus carrées sur ces différents aspects. En outre, l'évaluation doit se faire avec les habitants. L'idée peut paraître un peu utopique, tout comme le projet, mais il faut impliquer plus fortement les populations. L'ANRU est efficace – je partage ce constat général – mais elle a parfois des logiques technocratiques qui tendent à les mettre à l'écart.