Comme vient de le dire François Goulard, globalement, nous dressons un constat d'échec. Même si, depuis trente ans, les gouvernements ont essayé de mettre en oeuvre des politiques publiques efficaces dans ces territoires, nous n'avons pas été capables de sortir ces quartiers de l'état de relégation dans lesquels ils étaient.
Parmi les réussites, parce qu'il faut quand même garder une note optimiste, nous avons relevé que dans des quartiers insérés dans des espaces urbains, souvent hors région parisienne, des collectivités locales avaient été capables de porter un vrai projet, aidées bien entendu par l'État. Là où les politiques publiques travaillent autour du maire ou du président de la communauté d'agglomération avec des moyens efficaces, les résultats sont réels. Dans la région lyonnaise, à Orléans, où nous nous sommes rendus, nous avons constaté que lorsqu'il y a un vrai pilotage, avec des moyens, dans des quartiers isolés dans un espace urbain qui, lui, n'est pas en difficulté, cela fonctionne.
Les grands échecs de nos politiques publiques sont surtout en région parisienne, là où la solidarité urbaine ne joue pas forcément et où les villes sont globalement des quartiers. Des villes comme Clichy-Montfermeil par exemple, qui comptent 80 % de leur population en ZUS, sont des quartiers. Le manque de moyens publics et de coordination publique dans ces quartiers a fait en sorte que les choses ne se sont pas améliorées, voire se sont aggravées.
Nous sommes tous d'accord pour dire que l'Agence nationale pour la rénovation urbaine fonctionne bien. Il faudrait bien entendu terminer son programme. À Clichy-Montfermeil par exemple, la moitié seulement du quartier a été réhabilitée. Il faut donc imaginer un programme de rénovation urbaine 2. Comment, sinon, expliquer aux habitants qui vivent du côté de la rue qui n'a pas été réhabilité qu'ils n'étaient pas du bon côté et que cela va rester comme ça ?
Bien sûr, on doit accompagner ce plan de renouvellement urbain de la péréquation, car il serait absurde que les quartiers, les voiries aient été rénovés et que les collectivités locales concernées n'aient pas les moyens d'entretenir ce qui a été rénové par l'ANRU. Cela avait d'ailleurs été prévu par la loi de 2003. Mais il aurait fallu réformer la péréquation au bout de cinq ans pour faire en sorte que les collectivités et les communes puissent effectivement accompagner le renouvellement urbain de l'ANRU et poursuivre la rénovation et l'entretien.
François Goulard l'a souligné, nous avons été quand même fortement interpellés par le fait que des grands ministères n'avaient pas pris en compte la nécessité d'une intervention particulière dans ces quartiers.
Le grand échec, c'est l'emploi. On voit bien qu'il n'y a pas une mobilisation à la fois du ministère et des services concernés pour mettre en oeuvre des politiques spécifiques. Le seul dispositif qui existait, c'était les zones franches. Ces zones franches s'arrêtent à la fin de l'année, et il faudra imaginer un nouveau dispositif pour permettre non seulement de créer des emplois dans ces quartiers mais également aux habitants de ces quartiers d'aller en trouver ailleurs. On voit bien que la création d'emplois au sein même du quartier ne suffit pas à réduire le chômage. Cela règle des problèmes, cela permet aux habitants et aux commerçants de continuer à exister, mais cela n'est pas suffisant pour éradiquer le chômage. Il faut faire en sorte que des emplois soient ouverts aux habitants de ces quartiers au dehors. Une des critiques que l'on pouvait faire à la zone franche, malgré tous ses avantages, c'était qu'elle ghettoïsait encore ces populations, qui étaient obligées de trouver un emploi dans leur quartier. En quelque sorte, on les empêchait d'en sortir.
On voit bien comment la gouvernance de la politique de la ville est interrogée par notre rapport. François Goulard l'a indiqué, le maire est, selon nous, le pivot au niveau local qui permet de mettre en oeuvre une politique efficace. La question se pose au niveau gouvernemental et au niveau national. Nous considérons, pour notre part, que cette politique relève du Premier ministre. C'est une politique transversale et c'est le Premier ministre qui aurait dû, quel que soit le Gouvernement, mettre en oeuvre les politiques et faire en sorte que l'ensemble des grands ministères s'implique dans ces politiques en commun. Une secrétaire d'État déléguée auprès d'un ministre, quelle que soit sa bonne volonté, n'a pas un pouvoir suffisant pour mettre en oeuvre la politique publique indispensable pour lutter contre la ghettoïsation de ces quartiers. Il faut un ministre délégué auprès du Premier ministre et ce dernier doit s'impliquer fortement dans ces politiques publiques.
Une autre chose nous a beaucoup étonnés. La loi de 2003, dont l'application, bien que tardive, est actuellement en cours, prévoyait la fixation d'objectifs quantitatifs et qualitatifs pour la politique de la ville et le suivi de la réalisation de ces objectifs, mais cela n'a malheureusement pas été fait. Le grand problème de la politique de la ville c'est qu'aucun objectif n'est fixé et que personne ne vérifie l'efficacité des politiques publiques mises en oeuvre.
Les Pays-Bas, par exemple, retiennent certains critères – taux de chômage, de réussite scolaire, etc. – qui témoignent de la réalité sociale d'un quartier. Ils mettent en oeuvre des politiques et vérifient régulièrement si elles font évoluer favorablement les critères retenus. Quant à nous, il faut le dire, nous ne sommes pas capables collectivement de mettre en oeuvre une gouvernance de la politique de la ville de ce style, la seule pourtant qui permette efficacement de savoir si une politique fonctionne. Nous continuons à mettre en oeuvre des politiques sans nous préoccuper de leur efficacité, et c'est l'un des drames de la politique de la ville.