Vous avez formulé des observations en contradiction avec ce que je pense. Je voudrais, moi aussi, aller au fond du sujet. J'ai, personnellement, exploré toutes les possibilités d'autorisation pour comprendre comment, juridiquement, éthiquement et pratiquement, on pourrait mettre en place un tel système. Ma conclusion est qu'il n'apporterait rien de plus aux chercheurs. Pour sécuriser mon argument, je vous propose un amendement aux termes duquel l'ABM présentera chaque année un état de la recherche française permettant de vérifier que la France ne prend pas de retard par rapport aux pays qui appliquent le régime d'autorisation. J'ai l'intime conviction que cela ne se produira pas davantage dans un contexte pérenne que lorsque le moratoire réduisait l'horizon des chercheurs.
Vous avez évoqué l'hypocrisie dont on nous accuse ainsi que la prise en compte des convictions religieuses des uns et des autres. À cet égard, Louis Pasteur disait qu'en entrant dans son laboratoire, il accrochait sa foi au porte-manteau et la remplaçait par sa blouse. Mais les conceptions philosophiques existent. On ne peut demander aux députés de les oublier à l'occasion de l'examen d'un texte qui, justement, porte sur ces convictions, sur l'avenir de la société, sur l'idée qu'on se fait de l'homme et sur nos valeurs communes.
Si certains d'entre nous votaient en fonction de directives religieuses, ils s'opposeraient à l'aide médicale à la procréation, à la conservation des embryons et à toute dérogation à l'interdiction des recherches sur les cellules souches embryonnaires. Cette sempiternelle référence à la religion n'a donc pas lieu d'être ! Toutes les décisions que nous prenons, même celles que certains considèrent comme les plus hypocrites ou les plus jésuitiques, émanent de nos convictions et de notre recherche de compromis, notion juste et équilibrée qui n'a rien à voir avec la compromission. La bioéthique pose toujours un dilemme entre deux bienfaits. C'est pourquoi les choix sont complexes et résultent d'un cheminement de doute, au cours duquel nous pouvons affirmer nos convictions sans mépriser celles des autres.
Les chercheurs que nous avons rencontrés n'étaient nullement culpabilisés par la loi – ils n'encouraient aucun anathème au motif d'une supposée transgression – mais seulement gênés par le moratoire. M. Bertrand Mathieu, professeur de droit, a écrit que la médecine a souvent été le champ des transgressions bénéfiques et que c'est cela qui l'a fait progresser. Mais la transgression n'a jamais été inscrite dans la loi. La loi peut se transgresser mais elle ne peut pas transgresser.
Je vous propose donc de rester sur une idée simple consistant à reconnaître que l'affichage de l'interdit est protecteur, bien que symbolique : parfois, les symboles protecteurs servent de repères à une société qui en a besoin.
Ce type de repères freine-t-il la recherche française ? J'ai acquis la conviction que non. Les dérogations qui seront accordées et qui seront pérennes préserveront la compétitivité de notre pays, vérifiée annuellement par l'ABM.
On ne peut dire que la découverte des cellules souches pluripotentes induites (IPS) résulte du travail accompli sur les cellules souches embryonnaires : c'est parce qu'on ne trouvait pas ce qu'on cherchait sur les secondes, et en raison d'une dérive tumorale les affectant, qu'on a cherché un autre modèle comportant moins de complications. Ainsi, à partir d'un échec, se sont opérées les découvertes américaines et japonaises.
Enfin, tout en respectant les convictions religieuses, je crois avoir prouvé que les miennes n'étaient pas imprégnées du catholicisme le plus étroit.