Notre droit repose aujourd'hui sur une interdiction, assortie de dérogations limitées dans le temps. Les chercheurs nous ont indiqué, et cela ne me paraît pas contestable, qu'une telle limitation dans le temps posait un problème majeur : il est impossible, en l'absence de visibilité juridique, d'engager des recherches à moyen ou long terme et d'orienter des jeunes chercheurs sur des programmes de recherche. Je vous propose donc de mettre un terme à la limitation dans le temps.
Une seconde réalité à prendre en compte est que la situation n'est plus la même qu'en 2004. À cette époque, un certain nombre d'éléments laissaient penser que les cellules souches embryonnaires allaient permettre des progrès thérapeutiques rapides. Or des travaux réalisés au Japon ont montré qu'il était possible de faire régresser une cellule adulte en cellule souche, ce qui permet d'obtenir des résultats moins problématiques au plan éthique que si l'on utilise des cellules souches embryonnaires, et équivalents voire supérieurs au plan scientifique.
Cela dit, les chercheurs nous demandent de ne pas fermer la porte aux recherches sur les cellules souches embryonnaires : même si cette voie semble moins prometteuse qu'on pouvait initialement l'envisager, elle pourrait redevenir, à terme, porteuse d'espoir.
Reste à savoir s'il est préférable d'adopter une autorisation encadrée ou bien une interdiction générale, assortie de dérogations. Un premier avantage de l'autorisation encadrée est qu'elle est déjà en vigueur dans d'autres pays et que, si l'on en croit l'Agence de biomédecine, elle peut être aussi restrictive dans les faits qu'une interdiction avec dérogations. Elle aurait aussi pour vertu de favoriser l'investissement, notamment en capital.
Mais, comme l'a brillamment démontré Paul Jeanneteau, l'avantage de l'interdiction est qu'elle inspire tout notre droit civil, y compris l'interruption volontaire de grossesse, qui est régie par une interdiction assortie d'une dérogation. Même si elle peut conduire à une limitation de l'investissement, cette solution ne gêne pas, en tant que telle, la recherche.
Je me suis efforcé de trouver une solution qui distinguerait la recherche sur les cellules souches de celle qui porte sur les embryons : comme l'indiquait Axel Kahn, il me semble qu'il y a une différence de nature entre un embryon, qui est une potentialité de personne humaine, et une cellule souche embryonnaire multipotente, qui n'a aucune possibilité de revenir au stade de l'embryon dont elle est issue, et qui est à peu près équivalente, au plan éthique, à une cellule adulte ayant régressé en cellule souche. J'ai donc essayé d'élaborer un système juridique combinant une autorisation encadrée pour les lignées de cellules souches et une interdiction, assortie de dérogations, pour les embryons.
La première difficulté à laquelle je me suis heurté est que si l'embryon est un au plan biologique, c'est-à-dire du point de vue de sa nature, il a des significations et des valeurs différentes selon sa destination : afin d'éviter ce que Jean-François Mattei a appelé une « expérience d'homme », il faut protéger davantage l'embryon destiné à naître que l'embryon destiné à être détruit. Dans ce dernier cas, le prélèvement cellulaire, réalisé après la destruction de l'embryon ou au cours de celle-ci, constitue une transgression moindre que la destruction elle-même : il est moins grave de prélever une cellule que de détruire l'embryon. Une seconde difficulté est que l'embryon est, à l'origine, une cellule : le pont entre l'embryon et la cellule est relativement étroit. Enfin, si l'embryon détruit était certes destiné à l'être, c'est tout de même du fait du prélèvement qu'il l'est effectivement.
Après avoir cherché des régimes différents pour l'embryon destiné à naître, pour l'embryon non destiné à naître et pour les cellules souches embryonnaires, je suis revenu à l'idée que le régime actuel, qui consiste en une interdiction avec des dérogations, est plus clair pour les chercheurs. Mieux vaut un seul régime que plusieurs. J'ai donc repris la proposition que j'avais formulée dans le cadre des travaux de la mission d'information, à savoir une interdiction avec dérogations, accompagnée de la suppression du moratoire de cinq ans dans le but de donner une visibilité aux chercheurs.
J'ai acquis la conviction que le droit français, qui respecte la personne comme l'être en devenir, ne constitue pas une entrave à la recherche scientifique. Par précaution, je propose toutefois que les travaux de l'agence de biomédecine fassent l'objet, en plus du rapport annuel adressé à l'OPECST, d'un débat parlementaire, portant à la fois sur le respect de l'éthique, sur le bilan des expériences réalisées, compte tenu notamment des nouvelles technologies, et sur la comparaison entre la recherche française et celle des autres pays. Cela permettra de montrer que la première, en pratiquant un système d'interdiction assortie de dérogations, n'accuse pas de retard par rapport aux régimes d'autorisation encadrée en vigueur à l'étranger. À cet égard, celui du Royaume-Uni parait plus restrictif que le régime français d'interdiction avec dérogations. C'est pourquoi, je vous propose de le conserver, assorti de la suppression du moratoire et avec un contrôle de l'ABM sur l'avancée des recherches.