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Intervention de Serge Letchimy

Réunion du 26 janvier 2011 à 15h00
Lutte contre l'habitat indigne en outre-mer — Discussion d'une proposition de loi

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaSerge Letchimy, rapporteur de la commission des affaires économiques :

Madame la présidente, madame la ministre, monsieur le président de la commission, chers collègues, il s'agit d'un moment extrêmement important pour les peuples d'outre-mer, en particulier pour les 70 000 familles – soit 200 000 personnes environ – qui vivent dans des conditions difficiles en raison d'un habitat insalubre. Ce sont 65 000 à 70 000 maisons qui sont concernées. Ces familles vivent cette situation comme un déni du droit au logement, une absence d'équité et un manque de reconnaissance.

C'est aussi un moment important pour les professionnels, les acteurs locaux et les collectivités. J'insiste sur le fait que certaines opérations de traitement de l'habitat insalubre durent depuis vingt-cinq ans et qu'il faut en moyenne une dizaine d'années pour traiter quatre cents logements.

C'est également un grand moment de justice sociale.

C'est, enfin, un grand moment pour le Parlement, puisqu'il s'agit d'un texte de fond pour les départements et régions d'outre-mer, qui reconnaît une appréciation différenciée et adaptée du droit.

En deux mots, de quoi s'agit-il ? Dans les quartiers dits « spontanés », 70 à 90 % de l'habitat est informel, c'est-à-dire autoconstruit. Cet habitat informel est en grande partie – à hauteur de 85 % – sans droit ni titre.

Les familles concernées sont propriétaires de la maison, mais pas du sol, que celui-ci appartienne au secteur public – État, collectivités ou établissements publics – ou au secteur privé. En effet, compte tenu du droit en vigueur, le propriétaire du sol l'emporte sur la propriété qui est au-dessus.

Or les types d'occupation sont très divers et ces familles, qui sont là depuis de très nombreuses années, parfois cinquante ans – voire davantage – et sont issues pour la plupart de l'exode rural, paient la taxe sur le foncier bâti, comme tout propriétaire, tout en n'étant pas propriétaires du sol. La situation est donc bloquée.

Dans la seule ville de Fort-de-France, qui compte environ 100 000 habitants, 20 % de l'habitat est informel. Les choses sont d'ailleurs comparables à Cayenne, à Saint-Denis de la Réunion et dans les autres capitales d'outre-mer.

La situation juridique des occupants sans droit et sans titre a des conséquences extrêmement diverses et graves.

Premièrement, la non-reconnaissance de la valeur de leur bien. Comme ils n'ont aucun droit, si l'on doit les déplacer pour une raison quelconque, par exemple des travaux de voirie, leur bien n'a aucune valeur. Quelle injustice !

Deuxièmement, le blocage de toutes les opérations dites de résorption de l'habitat insalubre, sauf à la Réunion où l'on continue à en réaliser quelques-unes – j'expliquerai pourquoi tout à l'heure, dans le débat.

Troisièmement, l'inadaptation du droit en matière de police de l'insalubrité, de procédures de péril et surtout de terrains vacants, dans le cadre des procédures d'abandon manifeste.

Quatrièmement, l'absence de critères d'appréciation globale de l'habitat informel dans le droit relatif à l'habitat indigne, ce qui peut apparaître évident pour certains, mais se révèle extrêmement contradictoire lorsque l'on connaît la situation.

Cinquièmement et surtout, l'absence de procédures adaptées inscrivant le traitement de l'habitat insalubre dans une stratégie globale d'aménagement. Toutes les maisons ne sont pas nécessairement insalubres et le fait de traiter des quartiers ne signifie pas seulement que l'on s'occupe de la question de l'insalubrité : il y a une dimension urbaine, mais aussi une dimension sociale, culturelle et identitaire.

Pour débloquer la situation et répondre au défi, il existe plusieurs solutions dans le cadre de la partie législative que nous examinons aujourd'hui, et tout en sachant, madame la ministre, qu'il reste bien sûr à réécrire la circulaire de 2004 pour rendre opérationnel le dispositif.

La première étape – j'y insiste –, c'est la reconnaissance de l'habitat informel et sa définition, dans le cadre de la loi Besson. En effet, la reconnaissance est une chose, mais la définition est encore plus importante car elle n'existe pas pour l'instant. Dès lors, en droit, on ne sait pas de quoi l'on parle.

Ensuite, il faut reconnaître à l'habitat informel une valeur chiffrée et un droit dans le cadre des opérations d'aménagement, surtout celles concernant la résorption de l'habitat insalubre.

L'article 1er du texte pose la problématique du droit à une aide financière pour perte de domicile s'agissant des terrains publics, tandis que l'article 2 concerne les terrains privés.

Pour les propriétaires bailleurs et pour les propriétaires occupants, ainsi que dans le cas des locaux professionnels, il est prévu que s'applique le même dispositif de reconnaissance et de valorisation du bien.

Bien entendu, cela ne peut pas se faire n'importe comment ; il y a des conditions précises. Par exemple, il faut avoir résidé de manière paisible dans les lieux depuis au moins dix ans.

Il faut aussi que les conditions de relogement, notamment pour les propriétaires bailleurs, soient claires, de façon à éviter que les marchands de sommeil abusent de la situation.

Il faut aussi une convention de fléchage pour l'aide indiquée, de telle sorte que les moyens financiers permettent le relogement éventuel de la personne concernée. Ceux qui ont fait l'objet de procédures de péril ou d'insalubrité, c'est-à-dire de mesures de police, ne doivent surtout pas pouvoir bénéficier du dispositif, si l'on veut lutter, et c'est essentiel, contre les marchands de sommeil.

Une procédure adaptée à l'habitat informel est nécessaire pour les opérations d'aménagement tenant compte de l'hétérogénéité du bâti. En effet, ceux qui se rendent dans nos pays savent pertinemment que, dans un même quartier, tout habitat informel n'est pas nécessairement insalubre.

Une réécriture très claire et très nette en matière de police de l'insalubrité et de sécurité publique est indispensable. Je veux parler du péril de l'insalubrité et de l'abandon manifeste.

Nous devons créer, ce qui est paradoxal, les conditions d'une bonne utilisation des fonds Barnier pour le relogement des familles, notamment dans le cadre des PPR « rouges ». Il n'est pas normal que, dans un pays à risque sismique, il n'existe aucun dispositif puissant pour reloger les familles concernées. Nous savons pertinemment – et nous avons l'exemple d'Haïti – que nous sommes face à des risques extrêmement importants.

Une solution spéciale doit être trouvée pour Mayotte, qui compte 40 % de logements précaires et 23 000 logements insalubres. Elle est intégrée dans le texte.

Il faut aussi porter un regard – et je pense à Christiane Taubira – sur la situation alarmante de la Guyane aujourd'hui, où l'habitat insalubre est important.

Nous devons être attentifs à l'opérationnalisation du traitement de l'habitat insalubre par la création d'un périmètre ad hoc, et à l'amélioration et à la simplification des procédures d'arrêté d'insalubrité. Le texte le prévoit.

Parallèlement aux mesures incitatives que nous mettons en place, nous devons, bien entendu, prendre des mesures coercitives – c'est l'article 12.

S'agissant des périmètres insalubres, il convient de permettre l'application claire de la loi Vivien, sauf à Mayotte où elle ne s'applique pas.

Il faut assurer la fongibilité des aides. L'aide à la pierre de la LBU, l'aide au financement RHI – résorption de l'habitat insalubre –, l'aide sociale, l'aménagement au titre du FRAFU, le traitement de la restauration du patrimoine existant propriétaire bailleur, propriétaire occupant : toutes ces opérations exigent de nombreux intervenants auxquels on ne peut faire face sans fongibilité. Nous proposons donc la création d'un groupement d'intérêt public.

Il faut aussi mettre en place un dispositif spécial pour permettre des opérations de type « résorption d'habitat insalubre » dans le cadre des cinquante pas géométriques, notamment à Mayotte, par l'extension de l'amendement que j'ai eu l'occasion de présenter ici.

Avant de conclure, je souhaiterais adresser mes remerciements aux quatre ministères qui m'ont commandé ce rapport, lequel est à l'origine du texte que je vous présente aujourd'hui. Je remercie spécifiquement le président Serge Poignant pour son esprit d'ouverture…

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