Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, pour avoir été, plusieurs années durant, l'un des représentants de notre assemblée à la Commission nationale consultative des gens du voyage, je me réjouis de l'examen de cette proposition de loi, dont je suis signataire, et qui vise à mettre fin au traitement discriminatoire des gens du voyage en abrogeant purement et simplement la loi du 3 janvier 1969.
En effet, si ce texte supprimait l'obligation faite aux gens du voyage, par la loi du 16 juillet 1912, d'être porteurs d'un carnet anthropométrique, il continue de contraindre les personnes sans domicile ni résidence fixe et qui « logent de façon permanente dans un véhicule, une remorque ou tout autre abri mobile » à détenir et à soumettre régulièrement au contrôle un carnet ou un livret de circulation.
La loi du 3 janvier 1969 maintient donc bien un régime restrictif de la liberté d'aller et venir puisque celle-ci est conditionnée par la possession de titres de circulation dont la délivrance et la prorogation impliquent un examen de la vie privée par les autorités. Ce faisant, elle soumet les gens du voyage à un statut dérogatoire du droit commun en faisant d'eux des « étrangers de l'intérieur » alors que, dans leur immense majorité, ils sont français depuis de nombreuses générations.
Il s'agit d'une restriction de droit contraire à la Constitution de notre République, qui est notre loi fondamentale. En effet, les travaux du Conseil constitutionnel ont régulièrement conclu que la liberté d'aller et venir était un principe de valeur constitutionnelle, corollaire de la liberté individuelle.
Mais, au-delà, vous le savez, l'existence de tels titres de circulation est également en contradiction avec nombre de dispositions en vigueur au niveau de l'Union européenne ainsi qu'avec plusieurs conventions internationales que notre pays a ratifiées.
Les dispositions de la loi du 3 janvier 1969 relatives aux titres de circulation reposent sur un critère prohibé par la loi et entraînent un désavantage particulier pour les gens du voyage : autant d'éléments constitutifs d'une discrimination indirecte à leur égard. Il convient donc d'y renoncer pour s'en remettre au droit commun.
Cette évolution ne saurait plus supporter quelque délai que ce soit, puisque, dès 1969, un commentateur avisé du Bulletin annoté des lois et décrets estimait que la nouvelle loi « serait sans doute appelée à être remaniée à nouveau assez prochainement en application du traité de Rome ». Aujourd'hui, il est donc plus que temps d'agir.
Mais il y a, dans cette même loi du 3 janvier 1969, d'autres désavantages particuliers, sur lesquels il convient également de revenir, en ce qu'ils constituent autant de discriminations, s'agissant notamment du droit de vote lié au choix de la commune de rattachement. En effet, toute personne qui sollicite la délivrance d'un titre de circulation est tenue d'indiquer « simultanément la commune à laquelle elle désire être rattachée et le motif du choix de la commune ».
Tout d'abord, la loi limitant à 3 % de la population de la commune choisie le nombre maximum de personnes détentrices d'un titre de circulation susceptibles d'y être rattachées, nous sommes, une fois encore, en contradiction avec le principe général de libre choix de la résidence pour tout individu.
Ensuite, cette disposition a une incidence directe sur l'exercice, par les gens du voyage, de leur droit de vote, puisque l'inscription sur les listes électorales pour les titulaires d'un titre de circulation n'est possible qu'après trois ans de rattachement ininterrompu dans la même commune, contre six mois seulement pour tous les autres citoyens français.
La situation ainsi faite aux gens du voyage est donc, une nouvelle fois, discriminatoire, le Conseil constitutionnel ayant établi que la qualité de citoyen ouvre le droit de vote et d'éligibilité dans des conditions identiques à tous ceux qui n'en sont pas exclus pour une raison d'âge, d'incapacité ou de nationalité.
En novembre 2006, j'avais déjà attiré l'attention du Gouvernement sur ce frein à l'exercice du droit de vote des gens du voyage, qui ne pouvait, de mon point de vue, que contribuer à renforcer le communautarisme, contraire à l'esprit même de notre République laïque qui ne reconnaît que des citoyens, à égalité de droits et de devoirs.
En février 2007 – j'insiste sur la date, monsieur le ministre –, il m'avait été répondu que « ce délai dérogatoire au droit commun pouvait effectivement paraître injustifié » et que « Pierre Hérisson, président de la Commission nationale consultative des gens du voyage, ayant fait des propositions visant à aligner le régime d'inscription sur les listes électorales des gens du voyage sur le droit commun, ces propositions étaient à l'étude et les suites qui y seraient données seraient connues dans les prochains mois ». Nous étions en février 2007 ; quatre ans plus tard, il est temps d'agir.
Notre assemblée s'honorera de procéder au rétablissement des gens du voyage dans leur pleine citoyenneté, à égalité de droits et de devoirs. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et GDR.)