Madame la présidente, monsieur le président de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République, monsieur le rapporteure, mesdames et messieurs les députés, je suis heureux d'avoir, à la faveur de la discussion de cette proposition de loi déposée par Jean-Marc Ayrault, Pierre-Alain Muet et plusieurs de leurs collègues socialistes, l'occasion de m'exprimer, au nom du Gouvernement, sur les perspectives d'évolution de la loi du 3 janvier 1969 « relative à l'exercice des activités ambulantes et au régime applicable aux personnes circulant en France sans domicile ni résidence fixe ».
Comme vous l'avez rappelé dans votre rapport, monsieur le rapporteur, le statut des gens du voyage a longtemps été régi par la loi du 16 juillet 1912 qui obligeait certains, parmi les gens du voyage, à posséder un carnet anthropométrique mentionnant « la hauteur de la taille, celle du buste, l'envergure, la longueur et la largeur de la tête, le diamètre bizygomatique, la longueur de l'oreille droite, la longueur des doigts médius et auriculaire gauches, celle de la coudée gauche, celle du pied gauche, la couleur des yeux ». On se demande comment on avait pu en arriver là.
Cette loi de la IIIe République cédait de manière tout à fait déraisonnable à la suspicion. Elle n'était pas respectueuse des personnes. Elle devait donc être abrogée. Elle l'a été le 3 janvier 1969, et ce fut, à l'époque, un progrès important, qui permit de fixer un nouveau régime de droits et de devoirs pour la communauté des gens du voyage. Ce fut, en particulier, l'institution de la « commune de rattachement », grâce à laquelle les gens du voyage purent – dans des conditions certes dérogatoires par rapport au droit commun – accéder aux prestations de sécurité sociale et obtenir l'inscription sur les listes électorales. Ce fut également, vous l'avez rappelé, la création de trois titres de circulation distincts : le livret spécial de circulation, le livret de circulation et le carnet de circulation.
Plus de quarante ans après la loi de 1969, le régime qu'elle instituait a incontestablement vieilli : il mérite d'être revu et modernisé. Les choses sont donc claires, mesdames, messieurs les députés : le Gouvernement est tout à fait disposé à engager la refonte de la loi du 3 janvier 1969. En revanche, monsieur le rapporteur, vous me permettrez de marquer mon désaccord avec vous à la fois sur la méthode et sur le fond de votre proposition.
Sur la méthode, tout d'abord, je m'étonne que vous présentiez votre proposition sans attendre les conclusions et recommandations des missions parlementaires conduites en ce moment même, sur le sujet, par plusieurs de vos collègues.
Je pense, en premier lieu, à la mission d'information sur la législation relative aux gens du voyage constituée par votre commission des lois. Je m'étonne d'autant plus de votre hâte à légiférer, monsieur le rapporteur, que vous faites vous-même partie de cette mission aux côtés du député Charles de La Verpillière et sous la présidence du député Didier Quentin.
Il me semble qu'il aurait été normal et logique d'attendre les conclusions de cette mission qui devraient intervenir, si mes informations sont correctes, au mois de février ou de mars prochain. Mais je pense aussi, monsieur le rapporteur, à la mission confiée par le Premier ministre au sénateur Pierre Hérisson sur proposition du ministre de l'intérieur. En nommant votre collègue parlementaire en mission auprès du ministre de l'intérieur, le Premier ministre lui a confié la tâche de réfléchir à des propositions concrètes concernant la modernisation du régime juridique des gens du voyage.
Le sénateur Hérisson, en sa qualité de président de la Commission nationale consultative des gens du voyage, dispose d'une grande expérience sur ces sujets et a la capacité de mener une concertation approfondie avec l'ensemble des associations représentant les gens du voyage.
Cette mission est la traduction concrète de la volonté du Gouvernement d'engager la refonte de la loi du 3 janvier 1969 et, là encore, il m'aurait paru logique, pour ne pas dire courtois, d'en attendre les conclusions, prévues pour le 1er avril prochain.
Entre février, mars et avril, plusieurs documents importants, plusieurs réflexions de qualité devraient donc permettre de compléter vos analyses.
Considérant ces deux missions en cours, je comprends mal, monsieur le rapporteur, votre initiative et votre volonté de précipiter les échéances. Il me semble au contraire que, sur ce sujet, nous devrions privilégier une démarche sereine, transpartisane et respectueuse des concertations engagées avec les associations des gens du voyage.
Sur le fond, ensuite, je regrette le caractère quelque peu radical de votre proposition qui ne projette rien de moins que l'abrogation pure et simple de l'ensemble de la loi du 3 janvier 1969.
Vous affirmez, en premier lieu, que cette loi serait contraire à notre Constitution. Il faut pourtant relever que le Conseil constitutionnel, saisi tout récemment d'une question prioritaire de constitutionnalité portant sur deux articles de la loi du 5 juillet 2000 relative à l'accueil et à l'habitat des gens du voyage, a reconnu – décision du 9 juillet 2010 – que les dispositions de cette loi ne sont pas contraires au principe d'égalité et qu'elles « sont fondées sur une différence de situation entre les personnes, quelles que soient leurs origines, dont l'habitat est constitué de résidences mobiles et qui ont choisi un mode de vie itinérant et celles qui vivent de manière sédentaire ; qu'ainsi la distinction qu'elles opèrent repose sur des critères objectifs et rationnels ». Non seulement il ne me revient pas de mettre en cause les décisions du Conseil constitutionnel, mais il me paraît tout à fait adéquat de les respecter.