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Intervention de Dominique Raimbourg

Réunion du 26 janvier 2011 à 15h00
Souhaits de bienvenue à une délégation étrangère — Discussion d'une proposition de loi

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaDominique Raimbourg, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République :

Madame la présidente, monsieur le ministre chargé des collectivités territoriales, mes chers collègues, la proposition de loi que nous soumettons à l'Assemblée a pour but d'abroger la loi du 3 janvier 1969 qui réglemente la circulation de certaines catégories de citoyens.

La loi de 1969, qui faisait suite à une loi de 1912, impose aux gens du voyage, aux nomades, trois titres de circulation : le premier est un carnet réservé à ceux qui sont sans ressources et qui doivent le faire viser tous les trois mois par les services de la gendarmerie ; le deuxième est un livret de circulation pour ceux qui ont des ressources et qui doivent le faire viser tous les ans ; le troisième est le livret de commerçant, dont il existe deux versions et qu'il était nécessaire de faire viser par les autorités consulaires des chambres de commerce – obligation supprimée en 1988.

Dans une décision de 2007, la Haute autorité de lutte contre les discriminations a considéré que les obligations qui pèsent sur cette catégorie particulière de nos concitoyens qu'on appelle les « gens du voyage » relevaient d'un traitement discriminatoire. Il l'est, en effet, à trois titres. D'abord, ces restrictions à la liberté de circulation ne sont pas imposées à la totalité de la population, mais à une seule catégorie de citoyens, et elles ne se fondent sur aucune raison particulière de sécurité.

Ensuite, la mention de la commune de rattachement sur la carte nationale d'identité en désigne infailliblement le titulaire comme appartenant à une catégorie de population qui se rattache aux gens du voyage. Ce signe distinctif est discriminatoire.

Enfin – et c'est peut-être le plus grave –, la loi de 1969 est discriminatoire en ce qui concerne le droit de vote. Les gens du voyage ne peuvent bénéficier du droit de vote dans leur commune de rattachement que trois ans après s'y être déclarés. En effet, la loi de 1969 n'a pas seulement prévu des titres de circulation particuliers, elle a imposé l'obligation de se rattacher à une commune. C'est le préfet qui, au niveau départemental, organise la gestion du dispositif, proposant aux communes le rattachement d'un certain nombre de gens du voyage. Les communes peuvent accepter ou refuser, mais le préfet a la possibilité d'imposer sa décision : toutefois, en aucun cas le nombre de titulaires d'un titre de circulation ne peut excéder 3 % de la population municipale de la commune de rattachement. L'inscription sur les listes électorales et le droit de vote sont subordonnés à une durée minimale de rattachement de trois années. Le code électoral prévoit, pour les personnes sans domicile stable, une procédure d'élection de domicile qui permet l'inscription sur les listes électorales au bout d'un délai de six mois. Dans les deux cas, ces personnes sont dans la même situation, puisqu'elles n'ont pas de domicile stable. Trois ans pour les uns, six mois pour les autres : le traitement réservé aux gens du voyage est bel et bien discriminatoire.

Il nous semble urgent, nécessaire et opportun, de mettre fin à cette discrimination. C'est même d'autant plus opportun qu'elle ne sert à rien. On pourrait invoquer des raisons d'ordre public, considérer que les sédentaires sont plus faciles à contrôler puisqu'ils ont une adresse et que ceux qui ne sont pas sédentaires doivent pouvoir être contrôlés plus facilement. Mais, en réalité, ces dispositions sont en très grande partie tombées en désuétude. Les services de gendarmerie que nous avons interrogés reconnaissent que cette législation ne sert à rien : bien souvent, les gens du voyage ne font pas apposer les visas, les gendarmes ne dressent pratiquement pas de procès-verbaux et les tribunaux ne sont plus saisis – quand bien même ils le seraient, sans doute ne prononceraient-ils pas de condamnations pour des infractions aussi bénignes.

On ne peut pas non plus invoquer les graves événements qui se sont déroulés cet été à Saint-Aignan dans le Loir-et-Cher : ils impliquaient des gens qui se sont comportés comme des délinquants et qui doivent être stigmatisés, poursuivis et condamnés comme tels. Ces événements ne peuvent en tout cas nullement justifier un traitement discriminatoire à l'encontre de l'ensemble d'une communauté.

J'ajoute que, plus on discrimine, plus on a tendance à renforcer les comportements communautaires, en marge du comportement ordinaire.

Il serait extrêmement simple de mettre fin à cette discrimination : il suffirait d'abroger la loi de 1969. Et il ne serait pas utile de la remplacer par un nouveau dispositif particulier. Nous retrouverions simplement le droit commun : la procédure de l'élection de domicile, qui vaut pour les gens sans résidence stable, pourrait bénéficier aux gens du voyage, lesquels auraient ainsi la possibilité d'exercer plus facilement leur droit de vote. De même, elle permettrait aux gens du voyage d'avoir une adresse ou d'être rattaché à une commune sans le mécanisme de la loi de 1969.

La seule objection que l'on pourrait nous opposer concerne la compatibilité de cette abrogation avec la loi Besson sur les aires d'accueil. Mais rien n'interdit de prévoir que l'accès de ces aires est réservé à ceux qui sont nomades tout au long de l'année et qui, pour une cotisation plus ou moins symbolique, ont adhéré à une association nationale. Ainsi, les aires d'accueil ne risqueraient pas d'être assimilées à des terrains de camping.

Il est urgent d'abroger la loi de 1969, car n'importe quel citoyen peut, en faisant jouer le mécanisme de la question prioritaire de constitutionnalité, demander au Conseil constitutionnel de statuer sur un procès-verbal dressé en application de cette loi. Avons-nous vraiment envie de nous retrouver dans la situation où nous avons été à propos de la garde à vue ? Nous avons été obligés de réformer dans l'urgence, parce que nous n'avions pas pris à temps les mesures nécessaires et n'avions ainsi pu éviter une condamnation du Conseil constitutionnel, de la Cour européenne des droits de l'homme et de la Cour de cassation.

Je n'ignore pas que la mission sur l'application de la loi Besson n'a pas encore rendu son rapport. Les calendriers se télescopent, mais il s'agit d'un simple hasard, n'y voyez aucune manoeuvre, aucune mauvaise manière. Du reste, cela ne change rien : il sera toujours temps de revenir sur les questions générales du stationnement des gens du voyage, des aires d'accueil, de la sédentarisation, du traitement social ou des droits et des devoirs. Aujourd'hui, nous sommes en présence d'un traitement discriminatoire, et c'est l'honneur de la République que de considérer que tous les citoyens sont égaux et doivent être traités de la même manière. C'est pour cela que le groupe socialiste vous demande de voter ce texte qui ferait du bien à notre République, tout simplement. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et GDR.)

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