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Intervention de Jacques Belle

Réunion du 19 janvier 2011 à 10h00
Commission de la défense nationale et des forces armées

Jacques Belle, président de la Commission consultative du secret de la défense nationale :

C'est une vieille question, insoluble selon moi.

Tout d'abord, le caractère nécessaire d'une classification évolue dans le temps. C'est pourquoi une instruction du Secrétaire général de la défense et de la sécurité nationale – SGDSN – prévoit que le versement de documents classifiés aux archives doit s'accompagner d'une révision de la classification. Mais, on le sait bien, la question des archives est rarement prise au sérieux. Il faut parfois plusieurs rappels des conservateurs pour que les administrations procèdent au versement des documents, considéré comme une corvée dont il faut se débarrasser au plus vite. Si, en plus, il faut réviser la classification… En réalité, personne ne le fait, si bien que les documents sont archivés tels quels à Vincennes, même lorsque la classification ne se justifie plus. Nous avons été confrontés à ce problème dans le cadre de l'affaire Ben Barka, dans le dossier du génocide rwandais ou dans celui des conséquences sanitaires de la Guerre du Golfe – c'est-à-dire chaque fois que les faits étaient anciens et que les rapports et messages afférents à l'objet de l'enquête avaient été versés aux archives.

La classification peut être une façon de protéger une action. Elle est nécessaire pendant l'action, mais peut ne plus avoir la même importance six mois plus tard. Un exemple significatif est celui des enquêtes de commandement, effectuées à propos de tout accident survenant dans les armées, y compris lorsqu'il y a blessure ou mort d'homme. Cela peut concerner des matelots qui « jouent » avec un obus de 20 mm dans une chambrée, par exemple, ou bien les conditions dans lesquelles ont été blessés des officiers ou des sous-officiers en opération spéciale aux confins du Darfour ou de l'Afghanistan. Le problème est qu'avec la juridiciarisation de la société, la médiatisation, le caractère instantané de l'information, on veut désormais tout savoir tout de suite. Lorsqu'un incident survient, les autorités sont donc tentées de promettre aux familles des victimes qu'elles disposeront de toutes les informations voulues. Dans le cas de la manipulation d'explosifs dans une chambrée, cela peut ne pas prêter à conséquences – et encore : si l'enquête touche aux conditions de sécurité mises en oeuvre dans un bâtiment donné, on peut entrer dans un domaine sensible. Mais lorsqu'il s'agit d'une opération au Darfour, la divulgation des informations peut poser un problème, quand bien même l'exécutif aurait promis toute la lumière aux familles des victimes. La sincérité des réponses apportées par les différents degrés de la hiérarchie interrogés pendant l'enquête de commandement pourrait en effet s'en trouver affectée, dans la mesure où des responsabilités, des carrières sont susceptibles d'être remises en cause. De même, certains dispositifs, certaines chaînes de commandement pourraient s'en trouver dévoilés. Tout ne peut donc pas être déclassifié dans une enquête de commandement, même si certains éléments peuvent avoir perdu de leur actualité.

C'est donc un exercice d'analyse et de découpage dans le temps et dans l'espace que nous sommes appelés à faire, en liaison avec l'autorité concernée. Le président de la Commission consultative est en effet habilité, dans le cadre des pouvoirs d'investigation qu'il a reçu de la loi, à poser à tout agent les questions qu'il souhaite. Cela lui permet de compléter l'information de la commission et d'éclairer son jugement avant de rendre son avis.

On pourrait observer que l'avis de la Commission consultative n'a pas une si grande importance, l'autorité administrative n'étant pas obligée de s'y conformer pour prendre sa décision. Mais nous partons du postulat selon lequel tout avis favorable emporte une décision favorable au déclassement, et donc le versement des documents concernés au dossier judiciaire. Dès lors, soit l'affaire n'intéresse personne et on n'en entend jamais parler, soit, au contraire, tout est publié dès le lendemain dans tous les journaux.

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