Découvrez vos députés de la 14ème législature !

Intervention de Jacques Belle

Réunion du 19 janvier 2011 à 10h00
Commission de la défense nationale et des forces armées

Jacques Belle, président de la Commission consultative du secret de la défense nationale :

Comme vous le savez, la Commission consultative du secret de la défense nationale fonctionne depuis plus de douze ans, en application de la loi du 8 juillet 1998. Elle vient, dans son cinquième rapport, de publier le bilan de son action. Mais elle est désormais entrée dans une nouvelle phase : son fonctionnement et surtout son rythme de travail ont été modifiés en raison de l'adoption de la loi du 29 juillet 2009 relative à la programmation militaire pour les années 2009 à 2014. Il est cependant encore un peu tôt pour apprécier l'application de cette nouvelle loi, les décrets nécessaires n'ayant été publiés que onze mois plus tard, le 21 juin 2010. Ses dispositions ne s'appliquent donc que depuis six mois.

Pendant ces douze ans passés sous le régime de la loi de 1998, le nombre de saisines est resté limité. Ainsi, dans les six premières années, la Commission a rendu 49 avis, soit une dizaine par an en moyenne. Pendant la durée de mon mandat, soit les six années suivantes, elle en a rendu 112, soit environ vingt par an. Ces chiffres recouvrent toutefois des réalités diverses, car une même affaire peut donner lieu à plusieurs avis. Ainsi, les événements de Bouaké, survenus en novembre 2004, font l'objet d'une très longue instruction pour laquelle nous avons rendu dix-sept avis. De même, nous en avons rendu six sur le dossier de l'attentat de Karachi, autant sur l'affaire des frégates de Taïwan, cinq ou six sur Clearstream, etc. Je cite les dossiers les plus récents, mais nous sommes également saisis dans le cadre de procédures plus anciennes : ainsi, dans l'affaire Ben Barka – sur laquelle nous avons rendu trois avis –, les faits concernés datent de 1965, mais la plainte a été déposée en 1975. C'est dire si certaines instructions peuvent durer.

La CCSDN est amenée à travailler dans des délais de plus en plus courts, même si la loi prévoit qu'elle dispose, pour rendre son avis, de deux mois à compter de sa saisine par une autorité administrative. Notons que cette dernière – qui peut être un ministre, le Premier ministre, voire, c'est arrivé deux fois, le Président de la République – doit saisir « sans délai » la Commission consultative lorsqu'elle reçoit, de la part d'une juridiction française, une demande motivée de déclassification et de communication d'informations protégées au titre du secret de la défense nationale.

L'expression « juridiction française » recouvre tous les ordres de juridiction, y compris l'ordre administratif, même si ce dernier n'est pas, il faut le reconnaître, notre principal « client », contrairement à l'autorité judiciaire. Un problème se pose toutefois : un procureur de la République est-il une juridiction française ? À cette question, la Commission consultative a répondu par l'affirmative, indépendamment de ce que peuvent en penser le Conseil constitutionnel, les hautes autorités judiciaires ou la Cour européenne des droits de l'homme. La loi lui impose en effet de prendre en considération les missions de service public de la justice. Donner son avis sur une demande de déclassification adressée par un procureur à l'autorité administrative en charge de la classification paraît répondre à ce critère.

La Commission consultative va d'ailleurs délibérer demain sur une demande motivée concernant l'affaire de Niamey, signée vendredi par un procureur et dont elle a été saisie hier par le ministre chargé de la défense. Jamais nous n'avons été amenés à travailler dans une telle urgence. Lorsque nous sommes saisis dans le cadre d'une instruction ancienne, il n'est pas trop difficile de se conformer au délai de deux mois prévu par la loi, quel que soit le temps mis par le ministre pour transmettre la demande. Mais dans l'exemple que je viens de citer, nous disposons d'un délai très court, au point de devoir déroger à notre règlement intérieur : celui-ci prévoit en effet que les membres de la Commission sont convoqués au moins une quinzaine avant la date prévue pour la réunion.

En ce qui concerne la motivation des demandes, des progrès importants ont été réalisés en douze ans. Au début, les juges avaient des difficultés pour justifier la nécessité d'une déclassification de documents. Depuis, plusieurs circulaires ont été adressées au parquet par le garde des sceaux, et transmises pour information aux magistrats du siège. Leurs recommandations ont été suivies, les juges ayant compris qu'il était de leur intérêt de livrer à la Commission consultative le maximum d'éléments utiles pouvant être extraits du dossier, de façon à lui permettre de répondre dans les meilleures conditions et dans les meilleurs délais. Cependant, si la demande s'inscrit dans un temps court, si elle est effectuée au début de l'enquête préliminaire d'un procureur, la motivation tend à se réduire à sa plus simple expression.

Si je m'attarde sur ce point, c'est pour montrer que la capacité de réaction de la Commission pourrait être mise à l'épreuve. De même, la manière dont la loi est rédigée peut poser un problème : peut-être serait-il nécessaire de modifier, dans l'article du code de la défense qui reprend l'article 1er de la loi de 1998, l'expression « juridiction française », de façon à s'assurer que la Commission pourra répondre, demain, à la demande d'un procureur qui serait devenu, à la suite d'une réforme de la justice, le principal, voire l'unique directeur de l'enquête.

J'en viens au budget de la Commission. Nous répondons régulièrement aux questionnaires parlementaires sur les moyens de fonctionnement. Depuis six ans, notre budget est inférieur à 200 000 euros. Si la CCSDN est la seule autorité administrative indépendante relevant des attributions de votre commission, elle n'est pas, parmi les institutions de ce type, la plus grosse consommatrice de crédits ! Cependant, la mise en oeuvre des dispositions de la loi du 29 juillet 2009 implique certaines astreintes et certains déplacements sur de longues distances qui justifieraient une augmentation de nos moyens – même si la loi de finances pour 2011 ne le prévoit pas.

Je vais évoquer à présent les dispositions contenues dans la loi de programmation militaire pour les années 2009 à 2014. L'essentiel de ces dispositions concerne l'accès à certains lieux protégés. Ceux-ci sont classés en deux catégories : les lieux classifiés et les lieux abritant des éléments couverts par le secret de la défense nationale. Conformément à la loi, l'arrêté du Premier ministre fixant la liste des lieux classifiés a été pris après avis de la CCSDN. Le contenu de cette liste étant lui-même classifié, il m'est difficile d'être plus précis. Toutefois, chaque nouvel avis de la Commission relatif à l'accès à un de ces lieux conduit à dévoiler son caractère classifié. Ainsi, deux des avis rendus en application de la loi de 2009 concernaient le siège de la Direction générale de la sécurité extérieure – DGSE, qu'il n'est pas surprenant de voir figurer sur la liste. Dans le premier cas, le président de la Commission consultative, saisi conformément à l'article 56-4 du code de procédure pénale, a donné un avis favorable à l'accès aux lieux concernés, et cet avis a été suivi par le ministre – à l'époque, M. Morin. Dans le deuxième, au contraire, saisi à l'initiative d'un autre juge et pour une autre affaire, le président a donné un avis défavorable, suivi en cela par le Premier ministre. L'accès à ce lieu n'a donc pas été autorisé au juge.

Il convient de noter que c'est désormais le Premier ministre, en tant que signataire de l'arrêté du 21 juin 2010, qui prend la décision d'autoriser ou non la déclassification, et non plus le ministre directement concerné.

Autant la liste des lieux classifiés est courte – de l'ordre d'une vingtaine, conformément à ce que le Gouvernement avait promis lors des débats parlementaires –, autant celle des lieux abritant des éléments couverts par le secret de la défense nationale – c'est-à-dire des lieux où un juge ne peut procéder à une perquisition que s'il est accompagné du président de la CCSDN ou de son représentant – dépasse tout ce que nous aurions pu imaginer. C'est comme si tout le monde avait voulu s'inscrire dans cette catégorie ! Ainsi, une première liste établie par le Premier ministre comprenait plus de 9 000 sites, certains définis de façon générique, d'autres cités précisément. Y figuraient, par exemple, toutes les brigades de gendarmerie – au motif qu'elles sont toutes détentrices d'une partie du plan Vigipirate – et même le secrétariat général de la Comédie française ! En outre, la liste comportait certaines incohérences : telle école militaire y était entièrement incluse – y compris les chambrées des élèves –, tandis que dans telle autre, seul un local précis – le bureau du directeur, par exemple – était concerné. De même, étaient classés parmi les « lieux abritant » tous les bâtiments de la marine nationale : pas seulement le bureau du commandant ou du chef des opérations, mais aussi, par exemple, le fond des cales…

Avant même qu'une perquisition n'ait eu lieu dans un des sites concernés, nous nous sommes inquiétés de l'ampleur de cette liste. Depuis, d'après nos informations, il est en projet de la resserrer, puisque le nombre de lieux passerait de 9 000 à environ 2 000. De plus, les locaux concernés au sein d'un site donné font l'objet d'une définition plus précise. La tendance à interpréter la loi de façon trop extensive est donc sur le point d'être corrigée.

Dans un lieu classifié, un magistrat habilité – c'est-à-dire un juge d'instruction ou un procureur – ne peut procéder à une perquisition que s'il est accompagné du président de la CCSDN ou de son représentant, membre de la commission. Or celle-ci ne comprend que cinq membres, dont deux parlementaires. Dans la mesure où ces derniers sont trop occupés pour pouvoir être inscrits au tableau d'astreintes, dans les faits, trois personnes seulement peuvent se rendre disponibles pour accompagner un magistrat dans un lieu classifié. C'est peu, mais nous nous sommes organisés pour répondre aux demandes.

Lorsque la perquisition est effectuée dans un lieu abritant un secret de la défense nationale, le président de la CCSDN peut également être représenté par un des membres de la commission, mais aussi par le secrétaire général ou par un délégué choisi sur une liste déterminée. Une telle disposition est rassurante dans la mesure où les lieux concernés non seulement sont très nombreux, mais peuvent être situés à une très grande distance de Paris, à Kourou ou à Nouméa, par exemple. Cela représente une contrainte majeure dès lors qu'une réponse doit être apportée sans délai à la demande d'un magistrat qui souhaite perquisitionner dans un tel lieu.

S'agissant du déroulement de la perquisition, ma seule expérience est celle de la recherche de documents effectuée au siège de la DGSE par le juge Ramaël dans le cadre de l'affaire Ben Barka. Je peux en parler, l'avis de déclassification des documents saisis ayant été publié en novembre.

Lors des débats parlementaires sur la loi de 2009, une analogie avait été faite entre la perquisition faite dans un cabinet d'avocat – dont les modalités sont définies par l'article 56-3 du code de procédure pénale – et celle effectuée sur un lieu abritant des éléments protégés au titre du secret de la défense nationale. Mais dans un cabinet d'avocat, c'est le juge qui perquisitionne, tandis que le bâtonnier ou son représentant n'est présent qu'en tant que témoin. Dans un « lieu abritant », et en vertu de la procédure que vous avez mise en place en 2009, c'est l'inverse : pendant la perquisition, c'est le président de la CCSDN ou son représentant qui fait le travail. C'est même un nouveau métier pour nous : il faut effectuer un tri parmi les documents en fonction des éléments fournis par le juge. Pour ma part, je ne l'ai fait qu'une fois, mais j'ai alors pu me rendre compte qu'une perquisition s'apparentait à la pêche au chalut : on collecte des cartons entiers de documents, puis on fait le tri à la maison. Ainsi, à la DGSE, la perquisition a duré dix heures, mais il en a fallu douze de plus pour trier les documents.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion