Découvrez vos députés de la 14ème législature !

Intervention de Marie-Claude Dupuis

Réunion du 19 janvier 2011 à 16h15
Commission des affaires économiques

Marie-Claude Dupuis, directrice générale de l'ANDRA :

C'est avec un grand plaisir que je le ferai. Je comprends que ce soit le stockage géologique des déchets de haute et moyenne activité à vie longue qui intéresse le plus votre Commission, mais il me semble important de vous présenter aussi l'Agence.

L'ANDRA est, depuis la loi dite Bataille du 30 décembre 1991, la première spécifique aux déchets radioactifs, un établissement public industriel et commercial. Elle est indépendante des producteurs de déchets et placée sous la triple tutelle des ministres chargés de l'énergie, de l'environnement et de la recherche, avec comme Commissaire du gouvernement le Directeur général de l'énergie et du climat. Elle est chargée de la gestion à long terme de tous les déchets radioactif produits en France et vient d'atteindre le seuil des 500 salariés, dont deux tiers d'ingénieurs et cadres. Elle dispose d'un budget de 180 millions d'euros. La loi de programme du 28 juin 2006 relative à la gestion durable des matières et déchets radioactifs constitue le nouveau cadre de notre action. Nous avons cinq implantations en France : le centre de stockage de la Manche, notre siège social en région parisienne, deux centres de stockage dans l'Aube et notre laboratoire.

L'Agence a plusieurs sources de financement. D'abord, les contrats négociés avec les producteurs pour l'accueil et le stockage de tous les déchets radioactifs – essentiellement les déchets d'exploitation et de maintenance des centrales nucléaires et de démantèlement des anciennes exploitations. Ensuite, la taxe de recherche, collectée par l'Autorité de sûreté nucléaire (ASN) auprès des installations nucléaires de base (INB) – EDF, Commissariat à l'énergie atomique (CEA) et AREVA –, qui finance toutes nos recherches. Elle représente aujourd'hui 118 millions. Une subvention de l'État de 4,5 millions nous permet d'assurer nos missions d'intérêt général : établissement tous les trois ans de l'Inventaire national des matières et déchets radioactifs, prise en charge des objets radioactifs anciens – aiguilles de vieilles horloges, par exemple – et assainissement des sites pollués orphelins, c'est-à-dire dont les responsables sont défaillants. Enfin, élément conjoncturel mais très important, 100 millions ont été attribués à l'ANDRA dans le cadre des investissements d'avenir pour étudier les possibilités d'économiser cette ressource rare que constituent les sites de stockage. Nous réfléchissons, en lien avec les autres industriels du secteur, notamment le CEA et AREVA, sur des sujets tels que le traitement des déchets radioactifs organiques ou le recyclage des déchets radioactifs dans la filière nucléaire.

Les déchets radioactifs sont de multiple nature. Ils peuvent d'abord être classés selon leur durée de vie. On appelle déchet radioactif à vie courte un déchet dont la période de demi-vie est de trente ans, c'est-à-dire dont l'activité est réduite par deux en trente ans. Toutefois, la durée de vie complète est à peu près dix fois supérieure : un centre de stockage à vie courte nécessite donc une vigilance de trois cents ans – dans le nucléaire, la notion de vie courte est toute relative ! Quant aux vies longues, elles peuvent aller jusqu'à plusieurs centaines de milliers d'années.

Les déchets sont aussi classés par niveau d'activité, dans une gamme qui va de la très faible activité – en général, les déchets de démantèlement – à la haute activité – les déchets issus du retraitement du combustible usé. Nous avons aujourd'hui une solution de stockage sur des sites opérationnels pour 89 % des 1 150 969 mètres cubes de déchets radioactifs existants, c'est-à-dire déjà produits ou en cours de production par le parc. Sur l'ensemble de ces déchets d'ailleurs, 62 % seulement proviennent de l'industrie électronucléaire. On oublie souvent en effet de parler des autres producteurs de déchets : utilisateurs du contrôle par gammagraphie, hôpitaux, instituts de recherche qui utilisent des traceurs… Mais si la question est réglée donc pour 89 % des déchets, nous n'avons pas encore de solution opérationnelle pour les 0,2 % qui représentent au total 95 % de la radioactivité et qui, issus du retraitement du combustible usé, sont très actifs et très dangereux. Ils sont pour l'instant entreposés sur les sites d'AREVA, à la Hague, ou du CEA, à Marcoule, pour les combustibles anciens.

Le centre de la Manche, l'un des premiers en surface dans le monde, a été fermé en 1994 après vingt-cinq ans d'exploitation. Il stocke plus de 500 000 mètres cubes de déchets de faible et moyenne activité. Nous n'avons plus qu'à assurer sa surveillance et renforcer la couverture pour garantir son absence d'impact pendant les deux ou trois centaines d'années qui viennent. Nos deux centres opérationnels sont, eux, dans l'Aube. Le centre de stockage des déchets de faible et moyenne activité de Soulaines-Dhuys a été ouvert en 1992. Sa capacité autorisée est d'un million de mètres cubes et il est rempli au quart – essentiellement de déchets d'exploitation et de maintenance des centrales nucléaires –, ce qui nous laisse soixante ans d'exploitation. En revanche, le centre de stockage des déchets de très faible activité de Morvilliers, ouvert en 2003 pour une capacité autorisée de 650 000 mètres cubes, se remplit beaucoup plus vite que prévu : il ne reste que quinze ans d'exploitation. En effet, le démantèlement des anciennes installations nucléaires s'apparente aujourd'hui à des travaux de chantier : le site se remplit de ferrailles, de bétons…, tous déchets de démantèlement qu'il conviendrait plutôt d'optimiser.

Ces deux derniers centres se trouvent en pleine forêt. Celui de Soulaines-Dhuys est constitué d'ouvrages en béton dans lesquels sont entreposés des fûts métalliques ou en béton. Le centre pour déchets de très faible activité, lui, ressemble étrangement à un centre d'enfouissement technique des déchets dangereux classique, à la différence que les alvéoles qui reçoivent les déchets sont creusées sous une couverture afin d'empêcher les infiltrations d'eau – notre principal ennemi, qui peut entraîner les radioéléments vers la nature et donc vers l'homme. C'est pour cela que nous aimons tant l'argile, qui nous permet de confiner la radioactivité dans le milieu.

J'en viens aux centres de stockage en projet. Le centre pour les déchets de haute et moyenne activité à vie longue a reçu un nom l'année dernière : le centre industriel de stockage géologique. Ce Cigéo sera une INB atypique, puisqu'il sera construit et exploité en souterrain, à 500 mètres de profondeur, dans une couche d'argile, et qu'il sera agrandi au fur et à mesure du remplissage pendant une centaine d'années. Il a vocation à accueillir tous les déchets de haute et moyenne activité à vie longue, soit environ 100 000 mètres cubes, et aura des installations en sous-sol et en surface. Une alvéole de moyenne activité consiste en un tunnel de huit à neuf mètres de diamètre sur quatre cents mètres de long, où l'on empile les cubes en béton qui contiennent les colis primaires, tandis qu'une alvéole de haute activité est un micro-tunnel de moins d'un mètre de diamètre sur quarante mètres de long.

Ce qui fait la sûreté de ce stockage, c'est la couche d'argile, que nous étudions sous toutes ses coutures depuis quelques années dans notre laboratoire souterrain de Bure, dans la Meuse, à la limite de la Haute-Marne. Les connaissances scientifiques et techniques qu'il nous fournit font de la France le leader mondial sur ce concept de stockage géologique dans l'argile, les Suédois étant les premiers pour le stockage géologique dans le granite. Ce laboratoire exceptionnel, à 500 mètres de profondeur, mène d'abord des expériences scientifiques sur l'argile. Maintenant que nous connaissons ses qualités exceptionnelles d'imperméabilité et de confinement de la radioactivité, nous devons vérifier qu'elle les gardera lorsque nous l'aurons creusée pour y faire les alvéoles et que nous l'aurons exposée à la chaleur, à la radioactivité, à l'acier et au béton. Nos expériences visent à comprendre les déformations, à les modéliser et à faire une démonstration de sûreté sur un million d'années. Par ailleurs, le laboratoire mène aussi des essais technologiques. Nous devons en effet être capables industriellement de construire le stockage. Nous testons donc différentes méthodes de creusement pour les alvéoles ou les galeries.

Le calendrier du projet est fixé par la loi de programme de 2006 : le stockage doit être mis en service en 2025 et notre demande d'autorisation de création doit être déposée en 2015. Fin 2009, nous avons remis des propositions au Gouvernement. La zone d'intérêt pour la reconnaissance approfondie que nous avions définie pour l'implantation du site, une zone d'une trentaine de kilomètres carrés dans le département de la Meuse, a été validée. Nos travaux de reconnaissance géologique de cet été montrent que la couche d'argile, à 500 mètres de profondeur, y présente les mêmes qualités que celle que nous étudions au laboratoire. La surface totale nécessaire pour le stockage – puisqu'il nous a été demandé de stocker tous les déchets du parc nucléaire français jusqu'à sa fin de vie, soit cinquante-neuf réacteurs, EPR de Flamanville compris – sera d'une quinzaine de kilomètres carrés. Nous étudions donc la couche d'argile afin de déterminer la bonne zone. Au vu de ce calendrier, la France devrait être le premier pays à se doter d'un stockage géologique des déchets radioactifs dans l'argile. Les Suédois, pour ce qui est du granite, visent aussi l'échéance de 2025.

Toute la difficulté de ce projet est qu'il doit répondre à des enjeux à la fois politiques, de sûreté, économiques et industriels.

Pour ce qui est des enjeux politiques, si la zone d'intérêt pour la reconnaissance approfondie, qui concerne les installations souterraines, est entièrement située dans la Meuse, nous avons voulu ouvrir plus de possibilités pour l'implantation des installations de surface. Ainsi, si les puits d'accès doivent être à l'aplomb des ouvrages souterrains, la création d'une descenderie – une rampe en pente douce – permet d'envisager aussi une entrée en Haute-Marne. Le dialogue est en cours avec les collectivités territoriales. Nous avons proposé au Gouvernement de ne pas fixer définitivement le choix du site avant le débat public prévu par la loi de programme de 2006, qui devrait avoir lieu fin 2012 début 2013. Ce débat ne portera pas, comme celui de 2005, sur la politique générale des déchets radioactifs, mais sur le projet industriel Cigéo proprement dit, avec une proposition d'implantation et une description technique précises.

L'un des sujets délicats est l'obligation de réversibilité du stockage géologique posée par la loi de programme de 2006. Nous constatons tous les jours que cette demande, venue du Parlement, traduit au mieux les attentes des élus et des populations : il est rassurant de savoir que la démarche de l'ANDRA ne sera pas irréversible après que l'autorisation aura été donnée. Nous devons maintenant donner un contenu à cette notion de réversibilité. Le Parlement attend du Gouvernement un projet de loi sur les conditions de réversibilité, afin de pouvoir statuer aux environs de 2016. Mais compte tenu du calendrier prévu par la loi de 2006, notre demande d'autorisation devra avoir été déposée avant… Le Parlement attend des propositions de l'ANDRA en la matière.

L'exemple du site d'Asse montre bien l'intérêt de la réversibilité. Les Allemands ont commencé à entreposer des déchets dans cette mine de sel avant même les années 70 – on était loin de la maturité sur la question. Or, c'était tout ce qu'il ne fallait pas faire. Lorsqu'on creuse une mine en effet, c'est ce que l'on en retire ce qui est intéressant. On ne se préoccupe pas des trous qu'on laisse au fond. Au contraire, lorsque l'on creuse un stockage géologique, c'est le matériau qui reste qui est important, en l'occurrence l'argile qui fait la sûreté à long terme. Dans la mine d'Asse, le sel était censé assurer l'imperméabilité. Mais certaines des galeries qui ont été réutilisées avaient été creusées très près de la limite de la couche de sel. L'eau a donc fini par s'infiltrer et aujourd'hui, les déchets radioactifs baignent dans le sel. Ce stockage, qui n'avait pas été prévu pour être réversible, pose aujourd'hui tellement de problèmes que les Allemands sont en train de réfléchir aux possibilités techniques et au coût du retrait de tous les déchets de la mine. Quand la réversibilité n'a pas été prévue en amont, cela revient très cher… Outre donc l'intérêt du principe de réversibilité en matière d'acceptation des populations, peut-être constitue-t-il aussi un atout technique. L'ANDRA réfléchit en tout cas à ces questions. Nous venons d'organiser à Reims, avec l'Agence pour l'énergie nucléaire, une conférence internationale présidée par le député Claude Birraux pour faire le point sur les approches de récupérabilité et de réversibilité des stockages géologiques. Un consensus est en train de naître.

J'en viens aux enjeux de sûreté et de sécurité. La loi prévoit que l'ANDRA sera le maître d'ouvrage et l'exploitant de cette installation nucléaire. L'Agence souhaite donc pouvoir en assumer les choix de conception, puisqu'elle aura à en répondre. Nous devons d'abord faire une démonstration de sûreté à long terme, sur un million d'années, d'où les expériences que nous menons avec tous les organismes de recherche. Mais il y aura aussi de forts enjeux en termes de sûreté d'exploitation puisque nous aurons à gérer, à 500 mètres de profondeur, la cohabitation des travaux de creusement et de l'activité de stockage des déchets radioactifs. Cela n'a encore jamais été fait dans le monde, en tout cas dans l'argile. Aucun référentiel n'existe aujourd'hui, par exemple pour la gestion de l'incendie. Il y a beaucoup de choses à créer.

Quant aux enjeux économiques, la loi de programme de 2006 présente l'avantage de s'intéresser à la fois au financement et à la protection de celui-ci. Ainsi, les exploitants des installations nucléaires de base doivent provisionner dans leurs comptes toutes les charges de long terme et mettre en place les actifs dédiés correspondants. C'est le ministre chargé de l'énergie qui arrête l'évaluation de ce coût du stockage, sur la base d'un devis de l'ANDRA et après consultation des producteurs de déchets et de l'Autorité de sûreté nucléaire. Cet exercice a été fait pour la dernière fois en 2005. Le coût que l'ANDRA doit prendre en considération est absolument complet : on nous demande de chiffrer non seulement l'investissement pour l'ouvrage proprement dit, mais aussi l'exploitation pendant 120 ans et le démantèlement des installations de surface ensuite. On nous demande même de calculer les impôts et taxes à payer sur la durée de l'exploitation, puisque les industriels doivent provisionner l'ensemble de ces coûts – des provisions qu'ils doivent inscrire dans les comptes au fur et à mesure de la production des déchets.

Les seuls chiffres officiels dont nous disposons ont été fixés par le ministre de l'industrie de l'époque, M. Loos, à l'intérieur d'une fourchette allant de 13,5 à 16,5 milliards, sachant qu'il s'agit de chiffres exprimés en concepts et conditions économiques de 2002, suivant des données brutes non actualisées sur la durée d'exploitation. À l'époque, la Direction générale de l'énergie et du climat (DGEC) avait estimé que cela représentait environ 1 % du coût de production de l'électricité. Une nouvelle évaluation du coût du stockage devrait être établie avant le débat public de 2012. Les chiffres qui ont paru dans la presse sont très prématurés, puisque les discussions viennent seulement de commencer. À partir de son rapport de 2009, qui donne une bonne idée des options de conception du projet, l'ANDRA a communiqué un premier devis à la DGEC, aux producteurs et à l'Autorité de sûreté nucléaire. Mais ce chiffre doit être discuté sur la base des risques et des opportunités d'optimisation envisagés, et, au final, la seule personne habilitée à donner le résultat sera le ministre. Si vous tenez à un commentaire sur l'augmentation probable de ce coût, j'insiste sur le fait que la simple évolution des conditions économiques depuis 2002 – inflation, coût du béton et de l'acier – porte mécaniquement les chiffres antérieurs, soit entre 13,5 et 16,5 milliards, à une fourchette de coût entre 21 à 26 milliards. Par ailleurs, et même si cela a pu être vrai à un moment donné, on ne peut pas prétendre qu'un stockage géologique coûte trois fois plus qu'un EPR, parce que ce n'est pas comparable. Le coût d'un EPR se résume à celui de l'investissement. Le coût du stockage, lui, comprend les impôts provisionnés sur cent ans ! Il faut dépassionner les choses et prendre le temps de travailler sérieusement, dans l'ordre. La DGEC est mandatée à cet effet.

Pour ce qui est, enfin, des enjeux industriels, le projet Cigéo doit doter la France d'une solution de gestion sûre à long terme pour tous les déchets radioactifs produits par son parc électronucléaire. Le démarrage de la phase industrielle du projet sera progressif. Nous sommes en train de préparer les premiers grands contrats de maîtrise d'oeuvre de la première tranche d'exploitation, correspondant aux cinq ou dix années initiales d'exploitation. Mais les industriels nucléaires, de leur côté, doivent définir précisément les déchets qui devront être stockés dès 2025 : il ne peut s'agir en aucun cas des déchets de haute activité qui sont sur le site d'AREVA, puisqu'ils ne pourront pas être descendus dans l'argile avant une période de refroidissement de plusieurs dizaines d'années. D'après nos études en effet, il ne faut pas mettre au contact de l'argile des déchets à plus de 90 degrés, pour ne pas la perturber. En outre, il a été démontré que plus les déchets de haute activité avaient refroidi en surface, plus le stockage pouvait être compact – les alvéoles plus proches les unes des autres –, ce qui permet de faire des économies de creusement. À la mise en service, il s'agira donc plutôt de déchets de moyenne activité à vie longue. Ils sont de diverses catégories. Certains proviennent du CEA, d'autres d'EDF… Nous avons donc absolument besoin, pour définir la première tranche, de connaître le choix des producteurs en matière de séquencement des livraisons. Un travail en commun reste donc à faire.

Les producteurs ont aussi contribué à définir avec nous des pistes d'optimisation des coûts. Nous ne voyons aucun inconvénient à ce que l'État les intègre dans son évaluation des coûts du stockage, si elles lui paraissent sérieuses. En revanche, nous ne pourrons nous-mêmes les utiliser comme option de référence avant d'avoir pu démontrer la solidité des solutions techniques et les tester industriellement. Il est beaucoup question de la possibilité d'utiliser un tunnelier pour creuser à 500 mètres de profondeur, ce qui n'a jamais été fait dans le monde. Nous avons donc prévu un essai dans le laboratoire à partir de 2012, pour en étudier la faisabilité. L'optimisation d'un tel ouvrage doit se faire le plus possible en amont du dossier de demande d'autorisation de création. Nous nous y efforcerons, avec l'aide des maîtrises d'oeuvre qui vont commencer à travailler avec nous sur ce sujet. Mais elle se fera aussi après. Nous discutons d'ailleurs avec l'Autorité de sûreté nucléaire et avec l'État afin que le processus d'autorisation du stockage soit lui-même progressif. Les concepts vont en effet forcément évoluer au cours des cent années d'exploitation, et l'autorisation initiale doit permettre ces évolutions.

Pour ce qui est des déchets de faible activité à vie longue, il s'agit de déchets pour l'essentiel déjà produits, ou qui se trouvent dans des installations arrêtées. Leur volume est modeste : environ 150 000 mètres cubes, à comparer au million de mètres cubes du stockage de Soulaines-Dhuys et aux 650 000 de celui de Morvilliers. Bref, c'est un stockage important, mais petit. Plusieurs types de produits sont concernés. Il y a par exemple les déchets de graphite, ceux qui avaient poussé le Parlement à accélérer les choses – la loi prévoit une mise en service pour 2013 – car EDF ne voulait pas entamer le démantèlement des réacteurs uranium naturel-graphite-gaz, ces réacteurs de première génération aujourd'hui arrêtés, avant d'avoir un exutoire pour le graphite. L'idée était d'optimiser les flux et de stocker au fur et à mesure qu'on démantelait. Quant aux déchets radifères, ils sont plutôt issus de l'industrie classique. Rhodia, par exemple, en a quelques milliers de mètres cubes, issus de son activité d'extraction de terres rares : le groupe importe des minerais naturellement radioactifs. Une fois qu'il a extrait les éléments qui l'intéressent, le minerai devient un déchet radioactif qu'il faut stocker.

Pour ce petit stockage, nous avions imaginé une solution intermédiaire, ni en surface ni en grande profondeur, dans une couche d'argile entre 15 et 100 mètres de fond. En 2008, nous avons lancé un appel à candidature aux plus de trois mille communes qui répondaient aux critères. Nous avons reçu 41 candidatures, dont 30 en Champagne-Ardenne. L'ANDRA a fourni au Gouvernement un classement des communes en fonction de leurs qualités géologiques, ainsi que quelques données sur la position des populations. Force est de constater que les communes sélectionnées par le Gouvernement en juin 2009 ont retiré leur candidature sous la pression des opposants. Il faut donc prendre le temps de réfléchir à la façon de relancer le projet. Dans le cadre du Plan national de gestion des matières et déchets radioactifs (PNGMDR) de juin 2010, un rapport sera ainsi établi sur les solutions techniques et sur les nouvelles démarches envisageables. Le Haut comité pour la transparence et l'information sur la sécurité nucléaire (HTCISN) a aussi souhaité s'emparer du sujet, et doit bientôt rendre son rapport. Il est important pour tout le monde de faire le point sur cette démarche qui se voulait progressive et ouverte et de comprendre les raisons de son échec.

Enfin, le savoir-faire de la France en matière de gestion des déchets radioactifs mériterait d'être développé à l'international. Jusqu'à la loi de 2006, nos ministres de tutelle avaient souhaité que l'ANDRA se consacre aux projets nationaux, déjà suffisamment importants. Mais depuis, le Président de la République a décidé de mettre l'accent sur le savoir-faire industriel français dans le domaine du nucléaire, ANDRA comprise. Il est vrai que notre centre de stockage pour les déchets d'exploitation des réacteurs est aujourd'hui une référence dans le monde – un savoir qui n'a d'ailleurs pas été protégé : nous nous montrons beaucoup plus prudents aujourd'hui, avec une politique de dépôt de brevets et de protection de notre savoir-faire. De nombreux pays qui passent commande d'un stockage pour des déchets de maintenance de centrales nucléaires prennent le centre de l'Aube comme modèle. Ce que je regrette, c'est que les discussions de vente de réacteurs à l'étranger mettent trop l'accent sur le retraitement des combustibles usés. Je ne conteste pas ce choix industriel de la France mais à force de penser à l'entreposage et au stockage géologique, on en oublie les déchets d'exploitation, qui devront pourtant être pris en charge dès que le réacteur sera en fonctionnement – à raison d'à peu près cent mètres cubes par an et par réacteur. Il serait intéressant, en même temps qu'on vend un réacteur, de proposer le stockage de déchets d'exploitation et de maintenance qui va avec. Cela permet de regrouper le réacteur et le stockage sur le même site, ce qui fait moins d'emprise à trouver. En outre, au lieu de traiter le déchet comme un problème, on se présente avec une solution. Nous en avons parlé récemment aux acteurs de la filière et au ministère : c'est une idée à creuser. Il faut garder à l'esprit que l'ANDRA est un des rares organismes dans le monde à être compétent à la fois pour tous les types de déchets radioactifs, des déchets radifères aux combustibles usés et aux déchets d'exploitation, et pour l'ensemble de la mission, de l'inventaire des déchets à la définition, la conception et l'exploitation du stockage.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion