Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, l'évolution des jurisprudences en matière de garde à vue nous impose aujourd'hui de légiférer dans l'urgence. Est-ce une bonne chose ? Je ne le pense pas. L'encadrement de la garde à vue se révèle en effet aujourd'hui insuffisant au regard de ce que sont devenus, en 2010, les standards constitutionnels et européens.
Le régime français de la garde à vue a ainsi été récemment déclaré contraire à la Constitution, par une décision rendue le 30 juillet 2010 par le Conseil constitutionnel, et à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme, puis dénoncé par trois arrêts de la chambre criminelle de la Cour de cassation, rendus le 19 octobre 2010. Cette décision et ces arrêts imposent à la représentation nationale de procéder à la réforme de la garde à vue avant le 1er juillet 2011. Nous sommes donc dans le cadre d'une réforme contrainte, car le Parlement se voit signifier un ultimatum : il lui faut légiférer en urgence dans un domaine qui représente un enjeu fondamental en termes de libertés publiques et de sécurité. Il aurait été bien préférable que le régime juridique de la garde à vue « à la française », qui distingue la garde à vue de droit commun de procédures dérogatoires, soit révisé dans le cadre d'une réforme globale de la procédure pénale. Influencés par le droit anglo-saxon, nous voici donc contraints de plaquer sur la procédure inquisitoriale qui s'applique en France des mécanismes de protection des libertés adaptés à une procédure accusatoire, ce qui soulève de grandes difficultés.
L'enjeu de la réforme consiste à concilier trois objectifs majeurs : la protection des droits des personnes mises en cause, la préservation de l'efficacité de la police et de la justice contre la délinquance et la garantie des droits des victimes.
Le risque politique essentiel, qui se profile à travers ce projet de loi, est la mise en place d'une réglementation si contraignante qu'elle compromettrait l'efficacité de la police et de la gendarmerie, ce qui enverrait un signal désastreux tant aux Français qui demandent chaque jour plus de sécurité, qu'aux forces de l'ordre qu'il ne faut pas décourager. Je considère donc cette réforme dangereuse, car elle ne peut qu'entraver le travail d'investigation des policiers. La garde à vue est un moment décisif de l'enquête. Il y a d'ailleurs une corrélation frappante entre l'augmentation du nombre de gardes à vue et celle du taux d'élucidation des faits délictueux. Ainsi, entre 2002 et 2009, le nombre de gardes à vue a augmenté de 45 % dans l'agglomération parisienne et – que vous le vouliez ou non, madame Batho, car les chiffres sont têtus – le taux d'élucidation des faits de violence contre les personnes a crû de 51 %.
La présence de l'avocat tout au long de la procédure risque de freiner, voire de pénaliser certaines enquêtes dans les affaires dites complexes, là où l'enquête est accélérée lors de la garde à vue avec le recueil d'éléments de preuve. Ce sera le cas, par exemple, pour les affaires de trafic de stupéfiants, de criminalité organisée ou de terrorisme, dans lesquelles l'isolement des protagonistes est une condition sine qua non de réussite de l'enquête. On ne peut pas demander aux policiers et aux gendarmes toujours davantage d'implication dans le combat contre la délinquance si, dans le même temps, de nouvelles règles viennent asphyxier leur travail.
Monsieur le garde des sceaux, je suis choqué par le climat de suspicion, de défiance, et par les procès d'intention, malheureusement trop répandus, sur les méthodes d'enquête des policiers.