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Intervention de Delphine Batho

Réunion du 19 janvier 2011 à 15h00
Garde à vue — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaDelphine Batho :

Hier soir, dans votre intervention, monsieur le rapporteur, vous avez eu l'honnêteté de reconnaître que ce que vous appelez la « culture du résultat » – et que j'appelle, moi, la « politique du chiffre » – est directement responsable de l'explosion quantitative du nombre de gardes à vue.

Soit dit en passant, j'ai également écouté avec intérêt que vous expliquiez l'augmentation du nombre des gardes à vue par celle de la délinquance. Ce raisonnement intéressera probablement le ministre de l'intérieur qui a été obligé de reporter sa conférence de presse du début à la fin de la semaine – sans doute pour revoir les statistiques – et qui nous explique régulièrement que la délinquance diminue. Fermons la parenthèse.

Quoi qu'il en soit, nous n'acceptons pas cette façon de faire porter aux policiers et aux gendarmes une responsabilité qui est d'abord la vôtre. Si vous vouliez réduire le nombre de gardes à vue, il n'était pas nécessaire d'attendre une quelconque modification du code de procédure pénale. Il suffisait d'en finir avec cette politique du chiffre, et tous ses effets pervers, que nous n'avons cessé de dénoncer depuis 2003, auraient cessé.

Pendant des années, le Gouvernement et la majorité parlementaire ont brandi l'augmentation du nombre de gardes à vue comme un bulletin de victoire dans la lutte contre l'insécurité. C'est le Président de la République, Nicolas Sarkozy lui-même, qui a inventé ce système lorsqu'il était ministre de l'intérieur, en publiant, chaque mois, le nombre de gardes à vue comme une preuve du bon travail des services de police. J'ai ici quelques-uns des tableaux qu'il produisait alors dans ses conférences de presse et qui indiquaient, par exemple, une hausse de 39 % du nombre de gardes à vue. Il y en a des pages et des pages !

Cette politique du chiffre, qui a privilégié la statistique quantitative sur la qualité et sur les résultats de l'enquête, a été basée sur une hausse, en grande partie fictive, du taux d'élucidation. L'appareil statistique de la police nationale considère qu'un fait est élucidé dès lors que, pour un fait constaté, un mis en cause est placé en garde à vue. Par ce système biaisé, certains faits sont comptés comme élucidés alors même que, à l'issue de la garde à vue, l'intéressé a été disculpé. C'est ce que, dans le jargon, on appelle une « GAV sans MEC », c'est-à-dire une garde à vue sans mis en cause.

Ainsi, l'amélioration du fameux taux d'élucidation résulte mécaniquement de la hausse du nombre de gardes à vue, véritable pierre angulaire de la politique de sécurité de Nicolas Sarkozy depuis 2002. Cela fait d'ailleurs plusieurs années que l'Observatoire national de la délinquance, présidé par Alain Bauer, recommande d'en finir avec ce fameux taux d'élucidation qui ne veut rien dire et propose de le remplacer par un taux d'identification des auteurs de l'infraction, un taux d'interpellation et un taux de défèrement à la justice.

Vous n'avez pas voulu procéder à cette réforme qui aurait eu un impact positif sur le nombre de gardes à vue, parce que toute la légende que vous entretenez, mais à laquelle les Français ne croient plus, et selon laquelle vous avez de bons résultats dans la lutte contre l'insécurité, est fondée sur cet indicateur pervers. Aujourd'hui, vous versez des larmes de crocodile sur l'augmentation massive du nombre de gardes à vue, mais il ne tenait qu'à vous qu'il en soit autrement.

Je veux aussi rappeler que c'est l'actuelle majorité parlementaire, et Nicolas Sarkozy lorsqu'il était ministre de l'intérieur, qui a supprimé, par la loi pour la sécurité intérieure de 2003, la référence, dans l'article 63-1 du code de procédure pénale, à la notification du droit de faire des déclarations, de répondre aux questions ou de se taire.

Cela m'amène à ma deuxième question : ce texte va-t-il mettre la procédure pénale française en conformité avec les exigences de la Cour européenne des droits de l'homme ? La réponse est non. Bien des collègues ont développé ce point de vue, mais j'y reviens. C'est une hérésie de vouloir réformer la garde à vue sans examiner le reste de la procédure pénale. Vous faites une réforme à l'envers, en mettant la charrue avant les boeufs, alors que la garde à vue n'est pas séparable du reste de la procédure pénale. On voit bien l'impasse où cela vous conduit, avec ce débat, qui traverse même la majorité, sur le contrôle de la garde à vue relevant du parquet ou du juge des libertés et de la détention. Si vous aviez commencé par le statut du parquet, comme l'a demandé la Conférence nationale des procureurs de la République et comme l'exige la Cour européenne des droits de l'homme, la réforme aurait été plus cohérente.

Troisième question : les droits des personnes placées en garde à vue seront-ils mieux respectés ? Ils le seront en théorie, même si le texte est imparfait et peut être amélioré sur plusieurs points, mais, en pratique, cela n'est pas certain. Nous sommes pour notre part attachés à l'effectivité de ces droits. Nous ne pouvons pas nous satisfaire des inégalités sociales et territoriales qui vont résulter de cette réforme.

De même que le contrôle de l'autorité judiciaire peut sembler parfois théorique, quand, en pratique, des fax sont envoyés et arrivent dans des pièces vides où personne ne les lit, le droit à l'assistance d'un avocat en garde à vue ne doit pas être un droit à géométrie variable, selon que l'on connaît un avocat ou pas, selon que l'on a les moyens de le rémunérer ou pas, selon que l'on habite un grand centre urbain ou en milieu rural. Il y aura un droit théorique à la présence de l'avocat, mais en pratique, malgré la volonté des barreaux de s'organiser, tel ne sera pas le cas sur tout le territoire. Le risque, c'est qu'il y ait une garde à vue à deux vitesses.

Monsieur le ministre, le dispositif de l'aide juridictionnelle est totalement insuffisant. Je veux rappeler que, pour bénéficier de l'aide juridictionnelle totale, il faut avoir un revenu mensuel inférieur à 929 euros et que, au-delà de 1 393 euros, il n'y a plus d'aide, même partielle. C'est pourquoi il me semble que nous devrions envisager la création d'une véritable sécurité sociale judiciaire permettant à chaque mis en cause, mais aussi à chaque victime, de pouvoir bénéficier de l'assistance effective d'un avocat.

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