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Intervention de Sylvia Pinel

Réunion du 19 janvier 2011 à 15h00
Garde à vue — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaSylvia Pinel :

Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, parce que la garde à vue constitue une mesure privative de liberté susceptible de porter gravement atteinte aux droits fondamentaux reconnus à chaque citoyen, les députés radicaux de gauche seront particulièrement attentifs aux débats visant à réformer son régime juridique.

Le régime de la garde à vue, qui avait longtemps été pratiquée de manière officieuse, est le fruit de lois successives qui ont favorisé le développement d'une phase d'enquête préalable à l'instruction. Ce n'est qu'en 1958 que cette pratique sera légalisée à l'occasion de l'élaboration du code de procédure pénale. Depuis lors, ce temps judiciaire n'a cessé d'être banalisé, non sans demeurer conforme à sa vocation originelle, celle d'amener le suspect jusqu'à l'aveu. Cette finalité non dissimulée a valu à la France plusieurs condamnations de la Cour européenne des droits de l'homme.

Plus récemment, au mois d'octobre 2009, la Cour européenne est venue ébranler les fondations du rapport Léger, rappelant que « le droit de tout accusé à être effectivement défendu par un avocat figure parmi les éléments fondamentaux du procès équitable ». Cet arrêt s'est vu conforté par la décision du Conseil constitutionnel du 30 juillet 2010, puis par trois arrêts de la Cour de cassation rendus le 19 octobre 2010, qui mettent également en lumière l'incapacité de notre pays à respecter une conception exigeante des droits reconnus aux personnes gardées à vue.

Je saisis d'ailleurs cette occasion pour revenir sur l'intérêt majeur de ce nouveau droit qu'est la question prioritaire de constitutionnalité. Pour la première fois depuis son adoption en 2008, elle était soulevée par un justiciable. Il s'agissait en l'espèce de contester les conditions de la garde à vue au motif qu'elles porteraient atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution.

La procédure de la garde à vue actuellement en vigueur est-elle conforme à la Constitution ? La réponse est non, cela ne fait aucun doute. Elle ne permet pas plus de garantir les droits essentiels de la défense que d'assurer le respect de la dignité de la personne humaine.

De fait, une question s'impose : en l'absence de toute mise en demeure, pendant combien de temps encore notre pays se serait-il accommodé de ces graves manquements ? Pendant combien de temps encore le Gouvernement serait-il resté de marbre face aux propositions de loi présentées par le Parlement pour réformer la garde à vue ?

C'est bien le couteau sous la gorge – passez-moi l'expression –, sur injonction des juridictions européennes et nationales que le Gouvernement, peu soucieux jusqu'à présent du respect des libertés individuelles, présente ce projet de loi.

Rappelons tout de même que le débat revêt une importance capitale. Il s'agit d'un réel enjeu de société puisque, en 2009, cette procédure a concerné près de 800 000 personnes, les privant de la liberté fondamentale d'aller et venir, sans que cela soit, dans une grande majorité des cas, ni justifié ni proportionné à la gravité des faits incriminés. La culture de l'aveu et du chiffre, la banalisation et le dévoiement du recours à la garde à vue traduisent la réalité de choix politiques qui ont largement contribué à ruiner les fondations de notre procédure pénale.

Permettons enfin à la garde à vue d'être à la hauteur des exigences républicaines. Parmi celles-ci priment la dignité de l'homme, l'équité de la procédure, le principe du contradictoire et la culture de la preuve. La crédibilité – nationale et internationale – de l'État repose en effet sur l'édiction de règles irréprochables. C'est notamment pour cette raison qu'il est fort dommage que ce texte ne soit pas intégré à une réflexion qui tendrait à clarifier et à moderniser la procédure pénale dans son ensemble. La promesse a été faite, mais elle n'a pas été tenue.

L'urgence qui nous amène à nous prononcer sur la garde à vue ne révèle que la partie émergée de l'iceberg. Qu'en est-il précisément de la réforme globale de la procédure pénale dont tout le monde s'accorde pourtant à reconnaître qu'elle est une nécessité juridique ?

C'est donc contraints, sous la menace d'une révolution judiciaire, qu'il nous appartient de réformer la garde à vue. Par ce texte autonome, le Gouvernement prétend viser un double objectif : diminuer le nombre de gardes à vue tout en conciliant respect des droits fondamentaux reconnus à la personne et efficacité des enquêtes pénales. Il s'agit d'allier garantie des droits de la défense et protection de l'ordre public, alchimie pour le moins complexe.

C'est pourquoi mes collègues députés radicaux de gauche et moi-même tenons à souligner plusieurs dispositions de ce texte qui constituent en elles-mêmes des progrès juridiques au regard du droit actuellement en vigueur, à commencer par le rétablissement de la notification du droit au silence, le droit d'être assisté par un avocat dès le début de la garde à vue, la présence de ce dernier lors des auditions ou encore la garantie des conditions matérielles qui assurent le respect de la dignité humaine.

Par ailleurs, comment ne pas saluer les travaux de la commission des lois ? Ils ont notamment permis la suppression du dispositif de l'audition libre. L'instauration d'un temps préalable à celui de la garde à vue, sans aucune reconnaissance des droits du suspect entendu, relève de la mascarade, et l'abandon de ce nouveau dispositif était inévitable. C'est pourquoi nous vous demandons, monsieur le ministre, de confirmer votre sage décision d'y renoncer et de ne pas réintroduire par voie d'amendement des possibilités d'audition hors garde à vue.

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