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Intervention de Michel Diefenbacher

Réunion du 19 janvier 2011 à 15h00
Garde à vue — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaMichel Diefenbacher :

Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, qu'il faille réformer la garde à vue, personne ne le conteste. Ce n'est pas seulement une nécessité légale, qui résulte des décisions rendues par la Cour européenne des droits de l'homme et par le Conseil constitutionnel, mais également l'expression d'une volonté politique : celle de trouver le plus juste équilibre entre la nécessaire efficacité de l'action répressive et la non moins nécessaire protection des droits de la défense.

Depuis quelques années, des progrès considérables ont été accomplis en matière d'investigation : généralisation de la police scientifique et technique, interconnexion des fichiers, recours systématique à l'informatique, réorganisation des services d'investigation, intensification de la formation des agents. En dix ans, le taux d'élucidation des crimes et délits a été porté de 25 % à près de 40 %, c'est-à-dire à un niveau historique, jamais atteint.

Il faut en féliciter vivement les policiers et les gendarmes. Il faut aussi en tirer les conséquences sur l'exercice des libertés et la protection des droits de la défense. À tout progrès dans l'efficacité de l'action répressive doit correspondre une avancée dans la protection des droits de la personne mise en cause.

Vouloir renforcer la sécurité, ce n'est pas faire l'impasse sur les libertés. Le Gouvernement nous le rappelle. Il a raison. Je ne doute pas que nous le suivions sur ce chemin.

Permettez-moi toutefois quelques observations sur les trois points les plus sensibles de cette réforme.

La première porte sur le principe de l'audition libre qui figurait dans le projet du Gouvernement et qui a disparu du texte adopté par la commission. Le débat est clos, puisque le Gouvernement se rallie à la position de la commission, ce dont je me réjouis. Cependant, pour la clarté de nos débats et pour la bonne interprétation du texte, il me paraît important de souligner que, demain comme aujourd'hui, la liberté des auditions restera la règle et la garde à vue l'exception.

Lorsque, dans sa rédaction, la commission prévoit que la personne mise en cause « est maintenue à la disposition des enquêteurs dès lors que cette mesure constitue l'unique moyen de parvenir [aux] objectifs » de l'enquête, elle signifie d'une manière explicite non seulement que la garde à vue n'est pas automatique, mais qu'elle revêt au contraire un caractère subsidiaire.

Il en résulte que l'audition libre est donc la règle de droit commun. Sans doute faut-il en préciser le cadre. Telle est la volonté du Gouvernement que, personnellement, je partage.

Ma deuxième observation a trait au contrôle de la garde à vue. La commission propose que cette responsabilité soit retirée au parquet pour être confiée à un magistrat du siège. C'est un sujet majeur. Si cette position prévalait, ce serait, pour notre organisation judiciaire, un changement fondamental aux conséquences hautement symboliques. Surtout, tout l'équilibre de notre système judiciaire en serait modifié en profondeur. La portée d'une telle mesure excéderait de très loin l'objet même de la loi dont nous débattons, qui est limité à la seule garde à vue.

Qu'une mesure de cette importance soit examinée à l'occasion de la réforme d'ensemble de la procédure pénale, cela serait parfaitement légitime. Mais qu'elle soit adoptée au détour d'un texte plus technique, tel celui dont nous débattons aujourd'hui, ce serait à mon sens entièrement déplacé. Nous connaissons le sort réservé aux cavaliers budgétaires ; n'inventons pas aujourd'hui ce qui serait un véritable cavalier judiciaire.

Au demeurant, nous savons tous que, sauf à Paris et peut-être dans les plus grands tribunaux de province, rares sont les juridictions dont les effectifs et l'organisation permettraient au siège d'exercer réellement un tel contrôle. Confier une mission à un magistrat qui, concrètement, n'aurait pas les moyens de l'exercer reviendrait à fragiliser les droits de la défense et à opérer un recul dans la protection de la personne mise en cause : c'est tout le contraire de ce que nous voulons.

Ma troisième observation concerne le délai de carence. Le texte de la commission des lois prévoit un délai de deux heures entre l'avis adressé à l'avocat et le début de la première audition. La commission ajoute que, si l'avocat se présente après l'expiration de ce délai et alors que l'audition a commencé, celle-ci « est interrompue si la personne gardée à vue le demande ».

Il est certes légitime de laisser à l'avocat un délai raisonnable pour se rendre auprès de son client. De toute façon, les formalités préalables à l'audition – notification des motifs de la garde à vue, notification des droits, informations sur l'identité de la personne gardée à vue, relevés anthropomorphiques et, le cas échéant, visite médicale – nécessitent un minimum de temps avant que l'audition ne puisse effectivement commencer.

Pour autant, personne ne comprendrait que le droit ouvert à l'avocat d'être présent dès la première heure se traduise en fait par un report systématique de la première audition à la troisième heure de la garde à vue.

Il faut donc que des exceptions soient apportées à la règle du délai de carence chaque fois que les nécessités de l'enquête l'imposent. Le texte de la commission en prévoit. Les exceptions ainsi énumérées sont-elles suffisantes ? Notre débat le dira.

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, beaucoup de progrès ont été faits dans la lutte contre la délinquance, mais il suffit d'écouter nos concitoyens pour mesurer que beaucoup reste encore à faire. S'il est à la fois légitime et nécessaire de renforcer les droits de la défense, il est également essentiel de ne porter atteinte ni à l'efficacité des services chargés des enquêtes ni aux droits des victimes.

La lutte contre la délinquance reste, aujourd'hui comme hier, une priorité majeure. Dans ce domaine comme dans les autres, c'est à nos résultats que nous serons jugés. Ne l'oublions pas.

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