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Intervention de Alain Privat

Réunion du 12 janvier 2011 à 14h30
Commission spéciale chargée d'examiner le projet de loi relatif à la bioéthique

Alain Privat :

Je vous remercie de m'accueillir et de me donner l'occasion de m'exprimer. Lorsque mes recherches ont débuté, il y a une quarantaine d'années, on ne parlait pas encore de « cellules souches » au sens où on l'entend aujourd'hui, c'est-à-dire des cellules capables de se multiplier et de se différencier en cellules matures fonctionnelles. Nous savions seulement que, dans le cerveau des rats et des souris adultes, des cellules étaient susceptibles de se multiplier dans des zones particulières, comme la paroi des ventricules latéraux (la zone sous-ventriculaire).

Avec mon maître de l'époque, Charles Leblond, nous sommes parvenus à montrer que les cellules situées dans cette région étaient capables de se multiplier chez l'adulte et de donner naissance à des cellules gliales, les cellules accessoires des neurones. Le chercheur américain Joseph Altman a par la suite démontré que ces cellules pouvaient migrer vers la partie antérieure du cerveau, vers les bulbes olfactifs, et donner naissance à des petits neurones. Plus tard, nous avons découvert que, chez les petits mammifères, une autre région du système nerveux central, l'hippocampe – directement impliquée dans les phénomènes d'apprentissage et de mémorisation – pouvait elle aussi contenir des cellules capables de se multiplier et de se transformer en neurones.

Depuis, notre recherche s'est orientée vers des domaines plus appliqués. L'unité de l'INSERM que j'ai dirigée pendant plus de vingt ans a centré son travail sur une région particulière du système nerveux central, la moelle épinière pour deux raisons. En premier lieu, il s'agissait d'une question de santé publique : les lésions de la moelle épinière, provoquées par les accidents sur la voie publique, touchent un millier de personnes par an, souvent jeunes, et l'on dénombre en France 40 000 paraplégiques et tétraplégiques. La seconde raison est que cette région du système nerveux central était susceptible de constituer un marchepied pour la compréhension de phénomènes plus complexes qui se situent au niveau du cerveau : s'il est difficile d'évaluer les effets chez l'animal d'une lésion cérébrale en termes de déficits fonctionnels, il est relativement aisé de mesurer les conséquences d'une lésion ou d'une section de la moelle épinière sur la motricité ou sur la sensibilité d'un petit mammifère. Nous pouvions ainsi essayer de comprendre la physiopathologie des lésions, et, éventuellement, tenter de modéliser des stratégies thérapeutiques.

Nous avons ainsi pu montrer il y a une vingtaine d'années que la greffe de cellules nerveuses foetales au niveau d'une moelle épinière lésée pouvait permettre de rétablir un certain nombre de fonctions. Cela nous a amenés à remettre en cause le dogme selon lequel le système nerveux central ne pouvait être ni réparé ni régénéré. Nous avions utilisé, pour ce faire, des cellules nerveuses foetales animales, ce qui ne posait pas de problème éthique. Mais nous savions que pour tenter d'appliquer cette recherche à des pathologies humaines, il fallait réfléchir en termes d'outils thérapeutiques, le terme « thérapeutique » ayant ici toute son importance. Il n'était évidemment pas question d'utiliser des cellules embryonnaires humaines, puisqu'il aurait fallu en prélever des millions, voire des dizaines de millions, sur des embryons ou des foetus.

Entre autres alternatives, nous avons réfléchi à la possibilité de stimuler la régénération du système nerveux central, sans apport de cellules nouvelles. Contrairement à ce qui était communément admis depuis les travaux de Santiago Ramón y Cajal, prix Nobel de médecine en 1906, le système nerveux central des mammifères est capable de se régénérer spontanément. Mais les phénomènes cicatriciels qui apparaissent après une lésion et qui permettent dans un premier temps de reconstituer l'homéostasie du tissu nerveux, deviennent ensuite obstructifs et empêchent toute régénération.

Des études menées sur des souris transgéniques nous ont permis de découvrir qu'en inactivant les protéines responsables de la cicatrisation, il était possible d'obtenir une régénération spontanée chez l'animal. Nous réfléchissons aujourd'hui à des thérapies géniques chez l'homme qui permettraient non pas de toucher au génome mais à l'ARN interférent – l'intermédiaire entre l'ADN et la protéine – pour bloquer la synthèse, de façon ciblée dans le temps et dans l'espace.

Il y a deux ans, nous avons pu mettre en évidence des cellules souches dans la moelle épinière d'humains adultes. Avec l'autorisation de l'agence de la biomédecine (ABM), nous avons réalisé des études anatomiques et des cultures de cellules provenant de moelles épinières prélevées chez des personnes en état de mort cérébrale : nous avons ainsi pu montrer que ces cellules pouvaient se multiplier et se différencier en neurones, en oligodendrocytes (cellules responsables de la formation de la gaine de myéline, autour des axones) et en astrocytes (cellules responsables de l'homéostasie dans le système nerveux central).

Notre objectif, à terme, est de réaliser, avec des outils de thérapie génique, un ciblage de ces cellules intrinsèques pour leur permettre de se différencier dans un type cellulaire bien particulier : un neurone dont le neurotransmetteur sera connu. Ainsi, des cellules souches intrinsèques adultes, issues de la moelle épinière mais aussi d'autres régions du système nerveux central, pourront être utilisées à titre thérapeutique.

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