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Intervention de Jacques Testart

Réunion du 12 janvier 2011 à 14h30
Commission spéciale chargée d'examiner le projet de loi relatif à la bioéthique

Jacques Testart, biologiste, directeur de recherches honoraire à l'INSERM :

Je vous remercie de votre invitation. Je vous redirai à peu près ce que je vous ai dit lors de mes auditions précédentes, mais n'est-ce pas le cas de tous ceux que vous avez auditionnés à plusieurs reprises ?

Je vous donnerai surtout mon point de vue sur ce qu'on appelle la recherche sur l'embryon. Si le législateur prend au sérieux la dignité de l'embryon humain, partout réaffirmée, la loi devrait exiger que des expérimentations préalables sur l'embryon animal aient conduit à des avancées indiscutables, avant de passer à des expérimentations sur l'embryon humain. Sinon je comprends mal ce qu'on entend par dignité.

La loi devrait aussi privilégier des voies de recherche présentant moins d'implications éthiques que les cellules souches embryonnaires, comme c'est le cas des recherches sur les cellules adultes reprogrammées, les iPS (induced pluripotent stem cells), qui constituent bien une méthode alternative d'efficacité comparable en l'état des connaissances scientifiques. Rien n'ayant démontré que les recherches directement conduites sur des cellules embryonnaires humaines seraient plus efficaces que sur les iPS ou les cellules embryonnaires animales, ce prérequis me paraît indispensable.

Pour plus des trois quarts, la recherche sur l'embryon ne consiste pas en des recherches sur des embryons, mais sur des cellules issues d'embryons. Aucune application thérapeutique des cellules embryonnaires n'a encore été trouvée chez l'animal. On a pourtant souvent invoqué, devant vous et dans le débat public, l'urgence qu'il y aurait à autoriser la recherche sur les cellules embryonnaires humaines. L'Agence de la biomédecine invoque des arguments thérapeutiques. Les chercheurs font, eux, plutôt valoir que cette autorisation serait nécessaire pour que les industriels réalisent en France les gros investissements qu'implique le criblage (screening) moléculaire et ne soient pas tentés de délocaliser leurs activités. À ce sujet, soit il y a un partage des tâches, soit l'Agence chargée d'expertiser les protocoles de recherche ne poursuit pas le même but que les chercheurs. Certains, évoquant les perspectives thérapeutiques, dramatisent car je ne vois pas en quoi l'apport de quelques chercheurs français dans la recherche mondiale serait si urgent et si indispensable pour la santé de l'humanité.

Il faut ici rappeler que l'équipe du professeur Yamanaka au Japon, qui a découvert les cellules iPS, reprogrammées à partir de banales cellules somatiques adultes pour retrouver la multipotence des cellules embryonnaires, a d'abord travaillé sur l'embryon de souris, et a fabriqué des iPS de souris avant de fabriquer des iPS humaines – ce qui est la démarche habituelle. Et ces iPS permettent d'obtenir un bien plus grand nombre de lignées beaucoup plus diverses que les cellules embryonnaires, ce qui devrait permettre de répondre aux enjeux économiques des tests de toxicité des molécules pharmacologiques.

Parmi les quarante-neuf protocoles de recherche autorisés par l'Agence de la biomédecine, sept portent réellement sur l'embryon. Ces recherches visent soit à faire progresser les connaissances, soit à améliorer les résultats de l'AMP. Pour ce qui est de la connaissance, qu'il me soit permis de dire que la qualité scientifique d'une recherche menée avec quelques embryons humains disparates est bien moindre que celle qu'on peut obtenir avec des embryons d'animal, matériel biologique standardisé, aux conditions d'obtention optimale, pouvant faire l'objet d'essais répétables à volonté.

Un mot de la pertinence scientifique de ces projets. Sur ces sept protocoles, qu'il est d'ailleurs difficile d'analyser car on n'en connaît que l'intitulé et non le contenu, trois au moins me paraissent douteux. L'un d'entre eux porte sur l'inactivation du chromosome X. L'inactivation de l'un des deux chromosomes X existe chez toutes les femelles de mammifères. En quoi une recherche sur l'embryon humain permettrait-elle d'en mieux comprendre les mécanismes alors qu'il est possible de mener le même travail sur l'embryon de souris, de lapine ou de vache ? Un autre vise à étudier la différenciation des cellules germinales – ovules ou spermatozoïdes selon le sexe. Or, cette différenciation se produit bien après l'implantation de l'embryon. Cette recherche est vraisemblablement menée sur des avortons issus d'IVG, et c'est un abus que de la classer comme concernant l'AMP. Un troisième évoque la création de chimères homme-souris. Les chercheurs britanniques, qui se sont livrés à de telles expériences il y a quelques années, ont abandonné cette voie de recherche, en l'absence de projet crédible.

Pour ce qui est d'améliorer les résultats de l'AMP, il faut rappeler que les chercheurs britanniques – qui sont depuis longtemps leaders mondiaux en médecine de la reproduction et nous ont tout appris en ce domaine –, n'ont effectué aucune nouvelle découverte majeure, théorique ou pratique, depuis vingt ans, et ce bien qu'il soit possible dans leur pays de créer spécifiquement des embryons à des fins de recherche.

Il a été dit ici ou là que les résultats de l'AMP stagneraient en France parce que la recherche sur l'embryon y est interdite. C'est absurde. Il n'y a aucun secret entre praticiens dans l'AMP et rien n'est caché. De nombreux congrès internationaux se tiennent chaque année, d'innombrables articles sont publiés : s'il y avait vraiment du nouveau, cela se saurait ! Dans les laboratoires d'AMP, ont lieu quotidiennement des « études » – que la loi de bioéthique distingue des « recherches » – consistant à modifier les conditions de fécondation, à faire varier le pH du milieu de culture ou la durée de culture, ou encore à agir sur l'utérus récepteur et à en observer les conséquences. Comme ces « études » ne portent pas atteinte à l'embryon, aucune autorisation de l'Agence de la biomédecine n'est requise. Cela n'en permet pas moins des progrès dans les pratiques.

Il n'existe en revanche aucun moyen « d'améliorer » un embryon qu'on jugerait déficient. Pour améliorer les résultats de l'AMP en agissant sur l'embryon, il faudrait tout d'abord produire de meilleurs embryons. En premier lieu, en procédant à des études sur la gamétogenèse, en particulier la maturation des ovules, encore mal connue, de même que sur les incidences des stimulations ovariennes, l'induction simultanée de nombreux ovules étant réputée aboutir à des ovules de moindre qualité. Il n'est pas nécessaire de travailler sur l'embryon pour créer de meilleurs embryons.

Pour faire progresser les résultats de l'AMP, on peut aussi sélectionner parmi tous les embryons créés simultanément, ceux jugés « bons ». Et se profile là l'extension du DPI à des critères non plus seulement génétiques, mais métaboliques. Des travaux ont en effet montré qu'en étudiant certains métabolites embryonnaires, on pouvait attribuer à chaque embryon un score de chance de survie, sans rapport avec ses caractéristiques génétiques. Cela mènerait à un DPI systématique : tous les embryons mériteraient de faire l'objet d'un tel diagnostic, au nom même de la performance de l'AMP.

Les véritables problèmes éthiques posés par la recherche sur l'embryon sont liés à ce qu'on entend véritablement par « respect de l'embryon ». Pourrait-on accepter de sacrifier des embryons pour améliorer la santé humaine ? Ce serait, selon moi, un moindre mal, ou bien s'agit-il de participer à la compétition économique, avec dépôt de brevets et enjeux de propriété intellectuelle à la clé ?

La priorité doit être, selon moi, de conduire les recherches avec les cellules iPS humaines et avec les cellules embryonnaires animales, en continuant bien entendu de mener des recherches fondamentales sur l'embryon animal. On a déjà obtenu à partir de cellules embryonnaires de souris au moins soixante lignées de phénotype différent, ce qui permet de très nombreuses recherches. On disposerait par ailleurs déjà en France de plusieurs dizaines de lignées de cellules embryonnaires humaines. Je ne vois pas l'intérêt d'en créer davantage s'il s'agit réellement de recherche fondamentale.

Le prérequis de l'expérimentation animale me paraît relever à la fois d'un principe scientifique et éthique. Je ne vois pas en quoi son respect pourrait être apprécié par une agence technique.

Il faut, me semble-t-il, anticiper les problèmes éthiques que peuvent soulever les nouvelles techniques et s'interroger, à chaque feu vert donné sur le plan législatif ou réglementaire, sur ce à quoi il peut conduire. Prenons l'exemple de la congélation des ovocytes. Cette technique n'a aucune chance d'améliorer le taux de réussite de l'AMP – bien au contraire –, par rapport à la congélation des embryons. Elle permettra en revanche la multiplication des dons d'ovocytes, plus ou moins contrôlés, le développement de grossesses chez des femmes ménopausées et, plus grave, rendra possible la création d'embryons « clandestins » échappant à tout contrôle. En effet, les gamètes ne sont pas individuellement répertoriés et ne font pas l'objet de la même traçabilité rigoureuse que les embryons. Il existe des parades, me rétorquera-t-on. Sans doute, mais il conviendrait d'y réfléchir avant d'autoriser la technique.

L'important – je ne suis certes pas juriste – ne me paraît pas de trancher entre interdiction des recherches sur l'embryon assortie de dérogations ou autorisation de ces recherches sous conditions puisque, de toute façon, les recherches seront possibles dans les deux cas. Ce débat me paraît donc assez vain. L'important me paraît plutôt d'évaluer les promesses des scientifiques : souvenons-nous du « flop » du clonage thérapeutique et de celui du « bébé-médicament », ainsi que des désillusions provoquées par la thérapie génique dont on assurait qu'elle allait révolutionner la médecine. Tout cela devrait nous amener à défendre l'idée d'une expertise indépendante des promesses médicales et des conflits d'intérêts qui y sont assortis. Il peut en effet y avoir confusion entre des intérêts médico-scientifiques et des intérêts commerciaux ou promotionnels.

Les recherches sur les cellules iPS et sur les cellules embryonnaires animales constituent une alternative aux recherches sur l'embryon humain. La loi doit en tenir compte.

Enfin, des limites seront toujours nécessaires. S'il n'y en avait pas, dans un souci à la fois sanitaire et d'efficacité médicale maximale, tous les embryons devraient faire l'objet d'un DPI génétique et métabolique. La FIV pourrait ainsi être généralisée dès que ses servitudes seront allégées, c'est-à-dire dès que l'on pourra obtenir des embryons nombreux par une production abondante d'ovules ex vivo.

Pourquoi, alors que ce sont là des conclusions d'évidence, la réflexion éthique avance-t-elle beaucoup moins vite que la science ? Lors des États généraux de la bioéthique, le panel citoyen de Marseille avait proposé que lors d'un DPI ne puisse être recherchée qu'une seule maladie, afin d'éviter un screening inconsidéré des embryons. Il est significatif que dans le rapport de ces États généraux, il soit seulement indiqué que les citoyens se sont inquiétés des risques de dérives eugéniques, sans qu'on en tire aucune conséquence. Notre code civil interdit toute pratique eugénique organisant une sélection des personnes : peut-on dès lors tolérer une sélection des personnes potentielles que constituent les embryons ? Je me demande bien pourquoi cet avis citoyen a été écarté et qui cela gênait qu'on prévoie dans la loi qu'un seul variant génétique pourrait être recherché lors d'un DPI… Certains projets seraient-ils tus ?

En matière de bioéthique, l'évolution va toujours dans le sens d'une plus grande permissivité. Le Comité consultatif national d'éthique, le CCNE, a ainsi proposé qu'on détecte la trisomie 21 lors de tous les DPI. C'est parfaitement logique mais où s'arrêter dans cette logique ? De même, certains des scientifiques que vous avez auditionnés, venus exiger que les recherches sur l'embryon soient autorisées, sans d'ailleurs définir précisément ce qu'ils chercheraient, parlent déjà de créer des embryons pour la recherche. Il n'y a qu'un pas de la recherche sur des embryons surnuméraires à la recherche sur des embryons spécifiquement créés à cette fin.

Résister à cette instrumentalisation de l'humain n'est pas l'apanage des catholiques, ni, d'une manière plus générale, des croyants. Je ne suis ni l'un ni l'autre. Je suis simplement tenant d'un humanisme laïc. Je n'ai aucune opposition de principe à la recherche sur l'embryon humain mais je souhaiterais que l'on y procède seulement après avoir apporté la preuve de son absolue nécessité. Sinon la dignité de l'embryon n'a pas de sens. De même, ce n'est pas pour empêcher que les embryons soient éliminés au travers du DPI que je me méfie des perspectives ouvertes par cette technique, mais bien pour protéger les survivants de ce tamis génétique qui aboutira à une société de plus en plus eugénique.

Humaniste laïc, je milite pour une science de qualité, demeurant à l'écart des pressions commerciales et déjouant les mystifications. Je rappellerai seulement en conclusion que le professeur Philippe Menasché, qui réclame que soient autorisées les recherches sur l'embryon, a déclaré ici même que la loi actuelle n'empêchait pas ces recherches mais qu'elle freinait les investissements industriels. Le professeur Axel Kahn, pour sa part, vous a expliqué que les cellules embryonnaires humaines ne sont pas nécessaires à la médecine régénérative et que les cellules iPS sont plus prometteuses.

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