Permettez-moi de renouveler les voeux que je forme pour chacun d'entre vous et de nous souhaiter collectivement de bons travaux, dans un esprit d'intelligence, quels que puissent être les désaccords susceptibles de naître entre nous. J'ai hélas pu constater ces derniers jours, aux Etats-Unis, que les tensions extrêmes, l'expression de la colère et de la violence dans le débat politique pouvaient conduire des déséquilibrés à commettre des actes épouvantables. Le spectacle de l'Assemblée nationale tout à l'heure comme la qualité des travaux de votre commission témoignent d'un esprit extrêmement précieux qu'il nous faut préserver. Frédéric Lefebvre et moi-même, ainsi que les membres de notre administration, nous attacherons à en faire preuve, même dans les situations de désaccord.
Je voudrais, pour commencer, rappeler dans quel contexte la LME a été présentée et discutée au Parlement. Les objectifs que nous poursuivions étaient avant tout la croissance et l'emploi. Les prévisions faites à l'époque se sont révélées – du moins pour l'année 2009, car il est un peu tôt pour tirer des conclusions sur l'année 2010 – un peu pessimistes. Nous avions tablé sur une croissance de 0,3% par an sur cinq ans et sur 50 000 créations d'emplois par an. L'approche microéconomique et les rapports publiés tant par le FMI – dans le cadre de la revue par pays prévue par l'article 4 de ses statuts – que par l'OCDE en 2009 et en 2010 montrent que notre pays est en mouvement ; diverses modifications sont intervenues pour apporter davantage de réactivité et de flexibilité dans les mécanismes, dans le but de favoriser la croissance et l'emploi. Les chiffres peuvent évidemment s'améliorer encore, mais depuis quatre trimestres, l'économie française croît à un rythme annuel de 2% ; et en ce qui concerne les créations nettes d'emplois, notre prévision pour 2010 – 80 000 – sera sans doute dépassée puisque nous en avons déjà enregistré 74 000 sur les trois premiers trimestres. La LME a incontestablement contribué à ces résultats. Grâce à elle, nous avons davantage d'entrepreneurs, de concurrence et des outils plus adaptés à une économie moderne.
Votre commission est parfaitement informée tant des vicissitudes que des succès du statut d'auto-entrepreneur. Comme souvent, nous sommes plus sensibles aux premières qu'aux seconds ; il faut dire que diverses professions protestent contre l'irruption de ces auto-entrepreneurs qui, selon eux, jouissent d'un peu trop de liberté. Nous sommes revenus sur ce statut pour le consolider et davantage l'équilibrer. Il n'en demeure pas moins qu'il a généré 1,9 milliard d'euros de chiffre d'affaires et que, fin octobre 2010, l'ACOSS recensait 598 000 comptes d'auto-entrepreneur administrativement actifs. Permettez-moi enfin de préciser qu'une grande majorité de ces auto-entrepreneurs à compte actif sont des femmes, ce dont je ne peux que me féliciter.
Sans l'associer directement à celui d'auto-entrepreneur, il convient de mentionner ici le statut d'entrepreneur individuel à responsabilité limitée (EIRL) que vous avez contribué à développer et qui permet – légitimement – de distinguer le patrimoine professionnel du patrimoine personnel.
Avec les diverses améliorations que vous lui avez apportées, concernant notamment les obligations en matière de formation professionnelle, l'application spécifique aux professions libérales ou l'inscription aux caisses de retraite, le statut d'auto-entrepreneur est indéniablement propice à l'activité, sans être pour autant outrageusement offensif à l'égard des professions fonctionnant dans le cadre d'un statut classique.
Autre succès de la LME : la réduction des délais de paiement, très bénéfique pour les PME. Dans le seul secteur automobile – non concerné par les 39 dérogations qui ont été sollicitées –, les sous-traitants ont bénéficié de 2,5 milliards d'euros de trésorerie supplémentaire, dans une période où la situation économique était très difficile pour eux. Nous avons ainsi rattrapé une partie de notre retard sur nos voisins européens.
J'en viens à la concurrence.
Avant la LME, les relations très opaques entre fournisseurs et distributeurs se traduisaient, sous couvert d'accords de coopération commerciale, par les fameuses marges arrière. Le bilan de la réforme est à mes yeux positif ; j'en veux pour preuve les résultats fournis par l'Observatoire des prix. Depuis 2008, la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) établit chaque mois des relevés de prix et de marges et retrace l'évolution des prix des produits de grande consommation vendus par la grande distribution ; l'Observatoire observe trois catégories de prix : prix payés, prix affichés dans les rayons, prix des produits de grande consommation (PGC) relevés par l'INSEE. Selon l'INSEE, les prix – qui avaient connu une augmentation de l'ordre de 3,8% en 2008 – se sont stabilisés en 2009, fléchissant même de 0,2%. Il semble qu'en 2010, on observe une tendance identique. La LME a donc contribué, par la modération des prix, à l'amélioration du pouvoir d'achat des ménages.
Nous escomptions que deux dispositifs contribueraient à faire jouer la concurrence et baisser les prix dans l'intérêt du consommateur. Il s'agit d'un part des dispositions relatives à l'urbanisme commercial, qui avaient pour objet de simplifier les règles d'implantation des grandes et moyennes surfaces – car, malgré leur effet sur les prix, ces règles n'avaient pas empêché que les alentours d'un certain nombre de villes soient défigurés. D'autre part, la LME a permis de mettre notre législation en conformité avec le droit communautaire et de redynamiser des relations souvent cristallisées au profit d'enseignes qui se partageaient les zones de chalandise. Nous étions convenus, après de longs débats – car les enjeux locaux sont importants – de revenir sur ce dispositif, afin d'aligner l'urbanisme commercial sur les règles de droit commun. La proposition de loi de Patrick Ollier et de Michel Piron est l'instrument qui va nous permettre d'y parvenir. Je souhaite très vivement que cette réforme nécessaire ne conduise pas à restreindre la concurrence : il faut absolument conserver cet acquis, tout en reconnaissant le rôle des responsables des collectivités territoriales dans les implantations commerciales. J'espère que ce texte, qui va être prochainement examiné en séance publique au Sénat, traduira ce nécessaire équilibre.
En ce qui concerne la négociabilité commerciale, la LME avait un objectif clair : apporter de la transparence à une relation qui était opaque – je pense en particulier aux accords de coopération commerciale, constructions juridiques pour lesquelles la créativité était sans limites – pour remettre de la liberté dans le rapport de négociation entre le distributeur et le fournisseur, tout en évitant la dépendance du faible par rapport au fort. C'est tout l'enjeu de la décision qui sera rendue le 13 janvier par le Conseil constitutionnel sur la question prioritaire de constitutionnalité.
Quel est le bilan ? On constate une très nette diminution des marges arrière, évaluées à 32% en 2008 et ramenées en 2009 à 11% – correspondant, semble-t-il, à de la vraie coopération commerciale, donc à la rémunération des distributeurs pour des services effectivement rendus aux fournisseurs. Nous resterons bien entendu très vigilants sur ce sujet.
Ces résultats sont à mettre au crédit du travail de concertation et de promotion des bonnes pratiques que nous avons mené ensemble, qui a permis d'éviter le recours au contentieux dans un certain nombre de cas. Je rends ici hommage aux travaux de la CEPC, conduits sous l'autorité du regretté Jean-Paul Charié, puis de Mme Catherine Vautrin. Je pense en particulier aux « mardis de la LME » et aux différents travaux menés pour essayer de corriger les pratiques abusives – pénalités, stocks déportés, garanties de marges. Je pense que l'identification technique que vous avez assurée a permis aux grandes enseignes de remédier à ces situations. Néanmoins il existe toujours des pratiques condamnables. En témoigne le nombre de fiches signalétiques sur les menaces de déréférencement – huit en 2010 et cinq en 2009 – et les neuf assignations auxquelles nous avons procédé et qui ont donné lieu à un engagement de procédure. Sur ce sujet également, nous attendons avec beaucoup d'impatience, mais aussi de confiance, l'interprétation que donnera le Conseil constitutionnel de la notion de « déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties ».
Je laisserai à Frédéric Lefebvre le soin de vous parler des soldes flottants. Il s'agit de prendre en considération l'intérêt public, et non des intérêts catégoriels : les travaux effectués par le CREDOC et par des fédérations professionnelles me semblent assez concluants à cet égard.
Un mot sur le livret A. Sa généralisation, qui avait donné lieu à des débats passionnés, lui a permis de se développer de manière significative : 10 millions de livrets ont ainsi été ouverts, et des sommes très importantes ont pu être collectées. Il était normal que ce produit ne soit plus réservé à seulement trois opérateurs.
La création de l'Autorité de la concurrence, que vous avez évoquée M. le Président, a effectivement été considérée comme une mesure phare. On avait reproché au Conseil de la concurrence de manquer de moyens et d'indépendance : l'objectif était donc de créer un organisme moderne et efficace, à même de lutter contre les distorsions de concurrence. Les décrets d'application de la LME – plus de 300 – sont aujourd'hui publiés à plus de 99%, mais ceux concernant l'Autorité de la concurrence l'ont été très rapidement de sorte que, dès mars 2009, l'Autorité était opérationnelle. Le bilan est positif : le contrôle des opérations de concentration a été transféré, pas moins de 232 décisions ont été rendues entre le 1er janvier et le 17 décembre 2010 ; par ailleurs le Conseil d'État, saisi d'un premier dossier, a validé dans un arrêt du 30 décembre 2010 la méthode de travail et l'avis prononcé par l'Autorité de la concurrence au sujet de l'acquisition par TF1 du capital du groupe AB.
En matière de pratiques anti-concurrentielles, les compétences ont été réparties entre la DGCCRF et l'Autorité de la concurrence. Un équilibre a là aussi été trouvé, même si la DGCCRF se sent parfois un peu orpheline de son corps d'élite.
S'agissant de l'affaire du « cartel de l'acier », le Gouvernement n'a, en effet, pas souhaité se pourvoir en cassation après l'arrêt de la cour d'appel de Paris réduisant significativement les amendes prononcées, l'écart entre les deux montants traduisant indéniablement une difficulté d'appréciation de l'indemnisation du préjudice. J'ai chargé trois personnalités qualifiées – Jean-Martin Folz, Alexander Schaub et Christian Raysseguier – de réfléchir à la prévisibilité du mode de calcul des sanctions afin d'éviter des sanctions sans véritable lien ni avec la gravité du comportement, ni avec la nature du préjudice. Sur la base du très bon rapport qu'ils m'ont remis, j'ai demandé au président de l'Autorité de la concurrence d'éclairer les acteurs économiques sur la manière dont les sanctions seraient prononcées ; je lui ai récemment rappelé son engagement de publier rapidement ces lignes directrices.
Je voudrais enfin évoquer un outil souvent oublié et pourtant très efficace : le fonds de dotation, créé par la LME, qui rappelle les endowment funds utilisés de longue date aux États-Unis pour des fondations à but d'intérêt général ou des organismes de recherche universitaires. 516 ont été créés à ce jour. Ils ont permis de collecter un peu plus de 250 millions d'euros, auxquels s'ajoutent les dotations en nature. Le fonds de dotation bénéficie d'un régime fiscal très voisin de celui de la fondation, mais il est beaucoup plus simple, ce qui lui permet d'être utilisé tant par le Louvre que par le SAMU social ou l'Institut Pasteur.