Oui, de la part de l'État.
Le décalage entre propriété du sol et propriété du bâti est un élément de blocage important, notamment pour ce qui concerne l'application locale des procédures en vigueur. Ainsi, celles relatives aux opérations de résorption de l'habitat insalubre (RHI) sont inapplicables dans les départements et régions d'outre-mer. Cela explique qu'aucune opération n'ait pu être achevée depuis au moins vingt ans, sauf à La Réunion, où le préfet accepte d'adapter la réglementation et de créer des périmètres d'insalubrité afin de dissocier la propriété du sol de celle du bâti. En matière de résorption de l'habitat insalubre, c'est le code de la santé publique qui détermine les conditions d'accès à l'opération en définissant un périmètre dans lequel toutes les maisons sont considérées comme insalubres. Comme dans un périmètre donné, toutes les maisons ne le sont pas nécessairement, il y a blocage : on est obligé d'intervenir maison par maison, et non par quartier.
De même, les procédures de péril, de police de l'insalubrité, ainsi que toutes celles qui permettent le financement des opérations à la suite d'une déclaration d'insalubrité, ne peuvent pas s'appliquer.
Par ailleurs, il est impossible d'indemniser une famille que l'on souhaite « décaser » – c'est-à-dire déloger – pour réaliser une opération d'urbanisme, quand bien même cette famille occupe le logement depuis trente ans et y a investi. Il est dès lors impossible de démolir des logements lorsque l'on veut construire des réseaux, aménager une place ou intervenir sur la voirie.
L'impossibilité d'appliquer le droit dans les départements d'outre-mer, outre qu'elle compromet les opérations d'urbanisme, rend plus difficile la lutte contre l'habitat indigne et les marchands de sommeil. Ces derniers ont en effet une très belle vie. Quant à la vulnérabilité des occupants, elle ne fait que s'accroître.
Nous proposons plusieurs dispositions destinées à combler ce vide juridique. Tout d'abord, nous proposons à l'article 7 une définition de l'habitat informel et sa transcription au sein du g) de l'article 4 de la loi du 31 mai 1990 dite « loi Besson ». En effet, pour que les maisons concernées ne soient pas identifiées individuellement, mais dans le cadre d'un périmètre déterminé, il est nécessaire que le plan départemental d'action pour le logement des personnes défavorisées (PDALPD) prenne en compte l'habitat informel tel qu'on peut l'observer dans les pays d'outre-mer. De même, le champ d'action de l'observatoire de l'habitat indigne est modifié pour prendre en compte l'habitat informel.
Ensuite, les dispositions de la section 1 de la proposition de loi ont pour objet de reconnaître sur le plan juridique, dans des conditions limitées et encadrées, certaines situations d'habitat informel définies afin d'ouvrir un droit à l'indemnisation pour perte de jouissance et d'usage d'un bien, sur le fondement de la décision de la Cour européenne des droits de l'homme du 30 novembre 2004. Il était en effet nécessaire de trouver une solution juridique pour permettre l'indemnisation des familles dont le logement est situé sur un terrain appartenant à quelqu'un d'autre. Il ne s'agit pas d'enlever au propriétaire du terrain son droit de propriété, mais de dissocier l'indemnisation à laquelle il peut prétendre de celle dont bénéficiera l'occupant.
Cinq possibilités peuvent se présenter. Dans le cas d'une démolition de locaux d'habitation ou à usage professionnel construits sans droit ni titre sur terrains publics, l'indemnisation est possible lorsque l'occupation a été continue et paisible depuis au moins dix ans. C'est ce que prévoit l'article 1 de la proposition de loi. Le relogement est alors à la charge de la personne publique à l'initiative de l'opération.
L'article 2 concerne les constructions situées sur des terrains privés. Une expropriation est alors nécessaire. Le juge peut octroyer une indemnité aux occupants s'il s'agit d'une résidence principale ; en revanche, les bailleurs ne peuvent pas en bénéficier.
L'article 3 prévoit le cas dans lequel une construction sans droit ni titre sur terrains publics est donnée à bail. L'indemnisation est alors ouverte aux bailleurs de bonne foi, sous certaines conditions.
L'article 5 précise que la démolition de locaux à usage d'habitation donnés à bail ou de locaux à usage professionnel ne donne lieu à aucune indemnisation si ces locaux sont frappés d'un arrêté d'insalubrité ou d'un arrêté de péril.
Enfin, l'article 6 prévoit le cas des locaux construits sans droit ni titre sur des terrains exposés à des risques naturels.
Après la question de l'indemnisation, un des points les plus importants de la proposition de loi est la disposition contenue dans l'article 8, qui prévoit l'institution d'un périmètre insalubre à contenu adapté. Aujourd'hui, lorsque, dans un même quartier, certaines constructions de très bonne facture côtoient des bâtiments insalubres, l'application du code de la santé publique peut conduire à déclarer toutes les maisons insalubres si le quartier n'a pas accès au réseau d'eau potable, par exemple. La proposition de loi, en prenant pour modèle une pratique intelligente instaurée par un préfet de La Réunion, prévoit donc la création d'un périmètre ad hoc, à l'intérieur duquel un arrêté du préfet précise au cas par cas quelles sont les constructions insalubres et celles qui peuvent être conservées. Ainsi, la procédure est transparente et non contestable. En outre, le projet de réhabilitation peut concerner les maisons elles-mêmes et non pas uniquement l'assainissement. Enfin, une telle solution permet de bien configurer le droit des occupants et facilite l'application de la loi Vivien dans le cadre du périmètre RHI.
Nous prévoyons par ailleurs une procédure adaptée pour lutter contre l'insalubrité dans l'urbain diffus, tel qu'on peut le rencontrer à Fort-de-France ou à Pointe-à-Pitre.
De même, l'article 10 adapte la procédure d'arrêté de péril aux situations d'habitat informel, tandis qu'une autre disposition précise et adapte des mesures pénales destinées à lutter contre les marchands de sommeil.
Enfin, la proposition de loi donne la possibilité, en cas de risque naturel avéré, d'engager des opérations de démolition et de relogement. Songeons qu'un tremblement de terre de la même puissance que celui qui a frappé Haïti ferait, en Martinique, entre 3 000 et 10 000 morts. Plutôt que de stocker à la préfecture les sacs destinés à recueillir les corps des futures victimes, il serait préférable de commencer à décaser les personnes occupant des terrains classés en rouge sur les plans de prévention des risques !
L'article 13 prévoit que des groupements d'intérêt public (GIP) puissent être créés pour conduire certaines opérations d'aménagement urbain. En effet, on ne peut aménager l'urbain en oubliant les individus. À ce titre, le GIP permet de conjuguer les moyens financiers pour travailler sur le social, les aides à la pierre, les RHI ou les actions d'insertion par l'économique ou la culture. Aujourd'hui, la dispersion des sources de financement est telle qu'elle conduit à la sclérose.
Dans très peu de temps, Mayotte sera un département. Nous avons donc précisé les dispositions de la proposition de loi applicables à ce territoire. Par ailleurs, l'article 15 autorise explicitement les opérations publiques de résorption de l'habitat insalubre dans la zone des cinquante pas géométriques à Mayotte.
Enfin, l'article 16 prévoit une procédure adaptée à la situation des terrains vacants, applicable à l'outre-mer comme à la métropole.
Je remercie mon groupe, qui a accepté de présenter cette proposition de loi, ainsi que les ministres qui m'ont commandé l'étude sur l'habitat insalubre. Cette question suscite une attente énorme de la part des professionnels, des élus locaux et surtout des quelque 200 000 personnes actuellement en situation de non-droit. L'adoption de cette proposition de loi représenterait pour eux un signal fort.