Découvrez vos députés de la 14ème législature !

Intervention de Marie-Hélène Amiable

Réunion du 13 janvier 2011 à 15h00
Suivi des enfants en danger par la transmission des informations — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaMarie-Hélène Amiable :

Madame la ministre, chères collègues, la proposition de loi que nous examinons aujourd'hui se fixe pour objectif de mieux protéger les enfants dont les familles font l'objet d'une enquête sociale, en garantissant la poursuite de cette enquête jusqu'à son terme. Pour cela, le président du conseil général serait chargé de transmettre, en cas de déménagement, les données concernant ces enfants à son homologue du département où s'installe la famille.

Puisque, bien souvent, les ménages concernés ne laissent pas d'adresse, le président du conseil général de départ aurait la possibilité de saisir la caisse primaire d'assurance maladie ou la caisse nationale d'allocation familiale afin de les localiser, pour ensuite transmettre les données dont il dispose au président du conseil général du département d'accueil. Sur le fond, nous ne pouvons qu'approuver cette démarche, qui va dans le sens d'un meilleur suivi des enfants et pourra sans doute éviter des drames.

Néanmoins pour que ce dispositif soit efficace, encore faut-il en définir précisément les contours et dégager les moyens nécessaires à son bon fonctionnement. L'ambiguïté de ce texte ne se trouve donc pas dans son contenu mais plutôt dans ces « oublis », directement liés au contexte plus global du désengagement de l'État des politiques de protection de l'enfance et de la jeunesse.

En tout état de cause, la procédure mérite d'être affinée, au moins sur deux points : tout d'abord, pour garantir, la confidentialité des données sur les personnes, en appliquant la règle du « secret professionnel partagé » et en fixant des critères objectifs permettant de lister les enfants concernés ; ensuite pour définir les responsabilités de chacun, à commencer par celles du président du conseil général et des organismes de sécurité sociale qui seront saisis. Savons-nous bien jusqu'où iront ces responsabilités en cas de dysfonctionnement ? Qui, dans les services départementaux, sera chargé d'assurer le suivi des enfants, et quels moyens seront dégagés pour ces tâches nouvelles ?

De ce point de vue, il est à noter que l'assemblée des départements de France a fait des propositions pertinentes, par exemple l'élaboration d'un décret d'application sur la base d'un avis de la commission nationale de l'informatique et des libertés, propositions que nous avons reprises dans nos amendements et dont le Gouvernement a d'ailleurs tenu compte dans la nouvelle rédaction qu'il nous propose aujourd'hui.

Par ailleurs, je ne vois aucune trace d'une quelconque réflexion sur les moyens financiers et humains qu'il faudrait mettre à disposition pour s'assurer de l'efficacité de ce dispositif. Cela est d'autant plus préoccupant que les exemples du désengagement de l'État ne manquent pas en matière de protection de l'enfance.

Avec la réforme des collectivités territoriales et le principe du non-remplacement d'un fonctionnaire sur deux partant à la retraite, je ne suis pas certaine que les départements et les caisses d'allocation familiales ou d'assurance maladie puissent absorber une nouvelle charge de travail. Les transferts de compétences vers les départements se multiplient alors que les moyens de ceux-ci, financiers comme humains, s'amenuisent. L'État se défausse et ce sont les jeunes citoyens qui en pâtissent.

Je tiens à rappeler que l'article 27 de la loi du 5 mars 2007 prévoyait la création d'un fonds national de protection de l'enfance, dont la gestion devait être confiée aux départements. Ce fonds devait être abondé par la CNAF et par un versement annuel de l'État. Si la CNAF a d'ores et déjà provisionné plus de 30 millions d'euros à cet effet, l'État est aux abonnés absents, une fois de plus. Peut-être allez-vous nous rassurer sur ce point, madame la ministre ?

L'actualité nous confirme ces choix d'orientation, avec la suppression du Défenseur des enfants, dont nous venons de débattre. Les missions de ce dernier seront dorénavant diluées parmi les multiples attributions du Défenseur des droits, qui devra partager son temps et son attention entre les victimes de brutalités policières, les contribuables en conflit avec le fisc, les personnes rencontrant des difficultés avec une administration quelconque, les victimes de discrimination...

Comme le Gouvernement l'a fait à maintes reprises, notamment en remettant en cause les ordonnances de 1945, cela constitue, encore une fois, la négation des particularités de la personne humaine au stade de son évolution qui s'appelle l'enfance. Vous niez cette spécificité et ces problématiques propres, qui, jusqu'ici, étaient reconnues, notamment par l'existence du Défenseur des enfants.

De plus, en focalisant sur les cas de maltraitance, c'est-à-dire sur les responsabilités individuelles des membres de la famille, vous éludez la question fondamentale de notre responsabilité collective, liée à la violence subie par les enfants en raison de leurs conditions de vie et de celles de leurs parents. Or, s'il est indispensable d'intervenir auprès des adultes qui maltraitent les enfants et de combler les failles qui, dans notre législation, leur permettent d'échapper à leurs responsabilités, il est tout aussi essentiel de s'attaquer à ce qu'a décrit Mme Dominique Versini dans son ultime rapport, à savoir la violence sociale causée par la précarité, les difficultés d'accès à la santé, le « mal-logement ».

Je rappelle que deux millions d'enfants vivent aujourd'hui en France sous le seuil de pauvreté. Comment suivre une scolarité normale, comment se construire dans un équilibre familial et personnel lorsque l'on est entassé dans des appartements trop petits, insalubres, ou ballotté d'hôtels en foyers d'hébergement ? Chez ces enfants, explique Mme Versini, l'impact d'une expulsion peut être comparé à celui d'une guerre.

Il s'agit bien ici d'une responsabilité collective, particulièrement celle du Gouvernement qui, selon la Défenseure des enfants, « n'a pas la volonté politique » de faire appliquer la loi SRU par toutes les communes de plus de 5 000 habitants. C'est ce que nous ne cessons de réclamer depuis que la loi a été adoptée, il y a dix ans. Je rappelle, par exemple, que, dans un département comme les Hauts-de-Seine, sur trente-six communes, quatorze sont toujours hors-la-loi.

Alors on peut, bien sûr, s'attacher à mieux dépister et « pister » les familles défaillantes – encore une fois, nous soutenons cette volonté –, mais la lecture de ce constat sévère, jointe au désengagement financier de l'État et à la suppression du Défenseur des enfants, nous inquiète. Il est évident que vous ne lutterez pas contre les dangers auxquels sont exposés les enfants en vous contentant de mieux signaler les parents « maltraitants » d'un département à l'autre.

C'est pourquoi ce texte, auquel nous ne sommes évidemment pas opposés, nous paraît réducteur et cache mal le désengagement de l'État en matière de protection de l'enfance. Il sera sûrement inefficace, compte tenu des choix que vous faites par ailleurs et qui influent sur les situations sociales des familles. Les déclarations de bonnes intentions ne suffisent pas pour répondre aux enjeux fondamentaux de la protection de l'enfance. Les clignotants sont aujourd'hui au rouge en la matière.

En tout état de cause, nous ne saurions adopter la proposition de loi en l'état. Des précisions sur la procédure doivent impérativement être apportées. Nous espérons que le débat le permettra. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion